Ce type là, juste au dessus, qui vous regarde droit
dans les yeux et qui tente avec une certaine réussite d’imiter Eugene Robinson
déguisé en Jean-Michel Basquiat, c’est MICAH GAUGH, un
chanteur/saxophoniste/poète basé à New-York. On ne sait pas trop ce qu’il a
bien pu faire d'autre que The Blue Fairy Mermaid
Princess*, sans doute plein de choses puisque ce disque est une sorte de
compilation regroupant des enregistrements (souvent) live datant de 1994, 1996
et 1997. Tout ce que l’on a fini par découvrir c’est que Micah Gaugh a chanté
occasionnellement sur les deux seuls albums de Storm And Stress – on ne peut
que vous enjoindre à découvrir sans plus tarder et si ce n’est pas déjà fait le
premier d’entre eux, sans titre, qui est de loin le meilleur des deux.
C’est à cette occasion que Micah Gaugh
a sympathisé avec Kevin Shea, batteur de Storm And Stress et qui joue également
sur The Blue Fairy Mermaid Princess
(il est en outre responsable des enregistrements et des prises de son du
disque). Daniel Bodwell complète le line-up du MICAH GAUGH TRIO : un
groupe pas vraiment (free) jazz ou plutôt un groupe qui oscille
merveilleusement entre le jazz et la chanson, ce dernier terme étant à prendre dans
son acceptation la plus poétique du terme.
Qu’importe que Micah Gaugh ne chante pas toujours
très juste ; qu’importe également qu’il ne joue pas très bien du saxophone
alto : le plus important c’est la beauté violente et irrésistible qui
s’échappe des douze compositions/chansons** de The Blue Fairy Mermaid Princess, un mélange de fragilité, de
fébrilité, de lyrisme, de passion et même de sauvagerie. Il suffit que Micah
Gaugh décide de castafiorer de tout son cœur comme une diva pour qu’il devienne
effectivement une diva ; il suffit qu’il décide de chanter une berceuse
pour qu’il se transforme en marchant de rêves ; il suffit qu’il empoigne son alto pour en
faire sortir de moments de vérité à la beauté bancale dignes d’un Albert Ayler
(El Mar Rojo, absolument dément) ou d’une
expressivité sèche évoquant Ornette Coleman (Hunger ou Cat Club Tree House).
Sur ces enregistrements Kevin Shea est égal
lui-même c'est-à-dire qu’il joue complètement ailleurs mais qu’il réussit par
on ne sait quel miracle à faire en sorte que ses parties de batterie collent parfaitement
à l’ensemble*** ; pendant ce temps la contrebasse de Daniel Bodwell a
l’intelligence de ne pas suivre coûte que coûte la batterie (en fait elle emboite
très souvent le pas aux lignes de chant) et le trio semble constamment en état
d’apesanteur, même lorsqu’il décide de ruer dans les brancards et de s’offrir
une escapade réellement free.
The Blue
Fairy Mermaid Princess est un vrai beau bordel mais en même temps ce disque
restaure une certaine idée du jazz vocal en ce sens que l’émotion – le feeling
si on veut – y prédomine sur les prouesses et autre exhibitionnisme chanté :
vous avez toujours préféré le grain si particulier d’une Billie Holiday au côté
beaucoup trop lisse d’une Ella Fitzgerald ? Vous aimez la fragilité ténue mais
profonde d’un Johnny Hartmann ? Et bien The Blue Fairy Mermaid Princess est (peut-être) fait pour vous, non
pas que ce disque ressemble à ces illustres exemples – parce que, rappelons-le,
Micah Gaugh chante aussi bien comme une patate avinée que comme une grenouille
émasculée – mais plutôt parce que comme eux il possède quelque chose d’unique
et qui lui est réellement propre****. De la magie.
* The Blue
Fairy Mermaid Princess est publié en CD digipak par Africantape
** les textes sont imprimés à l’intérieur du
disque
*** chose que malheureusement il n’a pas toujours
réussie dans le passé
**** le Micah Gaugh Trio sera en tournée
européenne au printemps 2013 ; la bonne nouvelle pour les
lyonnais c’est qu'ils auront la chance de voir et entendre le groupe lors d’une date au Périscope le 2 mai prochain