lundi 18 mars 2013

Micah Gaugh / The Blue Fairy Mermaid Princess





Ce type là, juste au dessus, qui vous regarde droit dans les yeux et qui tente avec une certaine réussite d’imiter Eugene Robinson déguisé en Jean-Michel Basquiat, c’est MICAH GAUGH, un chanteur/saxophoniste/poète basé à New-York. On ne sait pas trop ce qu’il a bien pu faire d'autre que The Blue Fairy Mermaid Princess*, sans doute plein de choses puisque ce disque est une sorte de compilation regroupant des enregistrements (souvent) live datant de 1994, 1996 et 1997. Tout ce que l’on a fini par découvrir c’est que Micah Gaugh a chanté occasionnellement sur les deux seuls albums de Storm And Stress – on ne peut que vous enjoindre à découvrir sans plus tarder et si ce n’est pas déjà fait le premier d’entre eux, sans titre, qui est de loin le meilleur des deux.
C’est à cette occasion que Micah Gaugh a sympathisé avec Kevin Shea, batteur de Storm And Stress et qui joue également sur The Blue Fairy Mermaid Princess (il est en outre responsable des enregistrements et des prises de son du disque). Daniel Bodwell complète le line-up du MICAH GAUGH TRIO : un groupe pas vraiment (free) jazz ou plutôt un groupe qui oscille merveilleusement entre le jazz et la chanson, ce dernier terme étant à prendre dans son acceptation la plus poétique du terme.
Qu’importe que Micah Gaugh ne chante pas toujours très juste ; qu’importe également qu’il ne joue pas très bien du saxophone alto : le plus important c’est la beauté violente et irrésistible qui s’échappe des douze compositions/chansons** de The Blue Fairy Mermaid Princess, un mélange de fragilité, de fébrilité, de lyrisme, de passion et même de sauvagerie. Il suffit que Micah Gaugh décide de castafiorer de tout son cœur comme une diva pour qu’il devienne effectivement une diva ; il suffit qu’il décide de chanter une berceuse pour qu’il se transforme en marchant de rêves ;  il suffit qu’il empoigne son alto pour en faire sortir de moments de vérité à la beauté bancale dignes d’un Albert Ayler (El Mar Rojo, absolument dément) ou d’une expressivité sèche évoquant Ornette Coleman (Hunger ou Cat Club Tree House).
Sur ces enregistrements Kevin Shea est égal lui-même c'est-à-dire qu’il joue complètement ailleurs mais qu’il réussit par on ne sait quel miracle à faire en sorte que ses parties de batterie collent parfaitement à l’ensemble*** ; pendant ce temps la contrebasse de Daniel Bodwell a l’intelligence de ne pas suivre coûte que coûte la batterie (en fait elle emboite très souvent le pas aux lignes de chant) et le trio semble constamment en état d’apesanteur, même lorsqu’il décide de ruer dans les brancards et de s’offrir une escapade réellement free.
The Blue Fairy Mermaid Princess est un vrai beau bordel mais en même temps ce disque restaure une certaine idée du jazz vocal en ce sens que l’émotion – le feeling si on veut – y prédomine sur les prouesses et autre exhibitionnisme chanté : vous avez toujours préféré le grain si particulier d’une Billie Holiday au côté beaucoup trop lisse d’une Ella Fitzgerald ? Vous aimez la fragilité ténue mais profonde d’un Johnny Hartmann ? Et bien The Blue Fairy Mermaid Princess est (peut-être) fait pour vous, non pas que ce disque ressemble à ces illustres exemples – parce que, rappelons-le, Micah Gaugh chante aussi bien comme une patate avinée que comme une grenouille émasculée – mais plutôt parce que comme eux il possède quelque chose d’unique et qui lui est réellement propre****. De la magie.

* The Blue Fairy Mermaid Princess est publié en CD digipak par Africantape
** les textes sont imprimés à l’intérieur du disque
*** chose que malheureusement il n’a pas toujours réussie dans le passé
**** le Micah Gaugh Trio sera en tournée européenne au printemps 2013 ; la bonne nouvelle pour les lyonnais c’est qu'ils auront la chance de voir et entendre le groupe lors d’une date au Périscope le 2 mai prochain