Suite des aventures discographiques d’Oren Ambarchi pour le label Black Truffle records. Après Imikuzushi, un troisième album en
compagnie de Keiji Haino et de Jim O’Rourke, l’australien a cette fois ci enregistré
avec Thomas Brinkmann qui – les
spécialistes le savent déjà – est l’un des pontes de la techno minimal
allemande ayant émergé dans les années 90. Cette association n’a en soi rien
d’étonnant puisque on soupçonne depuis longtemps Oren Ambarchi d’être un garçon
aussi ouvert que curieux : que Audience Of One, son dernier album
solo en date pour Touch records, soit un demi échec n’enlève rien au fait que
le musicien/compositeur est aussi allé explorer d’autres musiques avec ce
disque.
Non, ce qui surprend le plus à propos de The Mortier Trap c’est d’apprendre que
cette pièce tourne autour du For Bunita
Marcus composé par Morton Feldman en 1985. Voilà qui semble être une fausse
bonne idée : For Bunita Marcus
est l’une des pièces pour piano solo les plus belles et les plus sensibles
écrites par le plus grand compositeur de la fin du XXème deux années
seulement avant sa mort et en hommage à son élève préférée et amie. Et le seul
point commun qu’un esprit chagrin pourrait trouver entre For Bunita Marcus et The
Mortimer Trap, c’est la durée extensible de ces deux pièces qui chacune s’étale
au delà des 70 minutes.
C’est un fait que la musique de Morton Feldman
s’étend sur la durée, est semi aléatoire et économise ses moyens. Elle ne peut
pas être qualifiée de musique minimaliste en ce sens qu’elle n’est pas
répétitive (comme celle d’un Steve Reich ou même celle d’un LaMonte Young) mais
elle s’adonne malgré tout à un certain minimalisme car – particulièrement dans
le cas de For Bunita Marcus – chaque
note joué jouit d’une double vie, aussi courte qu’éternelle. La musique de
Morton Feldman est tel un flot incessant de notes et que celles-ci soient
jouées de manière ténue, forte, lente ou rapide ne change rien au fait que l’on
entend comme une litanie spectrale et enveloppante. Chaque note est reliée aux
autres comme au sein d’un système plus vaste. Imaginez-vous allongé une nuit
d’été en train de contempler un ciel sans lune et par conséquent chargé
d’étoiles. Si chaque étoile ou planète scintillant à vos yeux émettait en même
temps un son, ce que vous entendriez serait très proche d’une composition de
Morton Feldman. Comme un gouffre sans fin de notes décrivant l’harmonie
immatériel née du chaos lointain de l’univers en expansion.
The Mortimer
Trap réussit son pari dans le sens où Oren Ambarchi et Thomas Brinkmann ont
composé une musique formellement extrêmement éloignée de celle de Feldman (utilisation
de modes opératoires propres à la musique électronique moderne, de samples ou
de manipulations sonores) mais dont les effets, mais les effets uniquement, finissent par être similaires.
Au début on pense avoir seulement affaire à une énième – quoiqu’excellente – resucée
ambient/drone de l’idiome électronique or The
Mortimer Trap est également surchargé de détails (grésillements spectraux,
fausses pulsations, accidents sonores, rythmique pointilliste, nappes sonores
taillées au laser et même des voix) qui grouillent dans la masse, en font
intégralement partie et finalement lui donnent vie. Un peu comme les cheminements
impromptus empruntés par les notes libérées par Morton Feldman.
Si on ne connait pas la musique du compositeur
américain, au passage l’une des plus belles musiques du monde, ou bien –
hypothèse stupide mais malheureusement plausible – si on ne souhaite pas la
connaitre, on peut écouter The Mortimer
Trap tel quel puisqu’en définitive l’hommage imaginé par Ambarchi et
Brinkmann ne lui ressemble absolument pas. Mais ce long morceau est vraiment
très beau, son évanescence finit par devenir complètement folle et par bonheur on
doute également que The Mortimer Trap
puisse se terminer un jour car il y a un réel sentiment de bien-être qui se
dégage de cette musique, sorte de chill out métaphysique. Cet
« hommage » tient donc plus de l’intention que du résultat formel.