Lorsque un « disque » débarque virtuellement dans les locaux de 666rpm avec à la clef une demande de chronique, la réaction du responsable en chef du politburo éditorial est presque toujours la même, inévitable et injuste : les mp3 envoyés sont tout simplement jetés à la poubelle. Tout au plus une mini séance d’écoute est-elle consacrée à ce qui ne pourra se révéler être, on en est d’avance assurés, qu’un disque pourri de plus parmi tant d’autres. Shit happens.
Dans le cas de celui de Eyes Behind
la proposition était même encore plus floue et incertaine : un seul titre
en écoute et si ça te plait mon gars tu pourras ensuite toujours perdre ton
temps à télécharger tout le reste du disque. Je déteste faire des efforts mais
précisément après avoir écouté I Stumble, l’intégralité de La
Déclinaison a atterri dans la machine à musique pour en occuper durablement
les premières places. Je n’ai jamais pu résister à ce genre de titre
instrumental réactualisant avec succès ce bon vieux kraut rock enflammé et
groovy. Seulement voilà, Eyes Behind n’est pas qu’un groupe lorgnant du bon
côté des musiques expérimentales des années 70 et La Déclinaison est une mine de bonnes surprises.
Déjà il y a du chant chez Eyes Behind, un chant
féminin (assuré par la guitariste), omniprésent et très bon. Le côté
instrumental de I Strumble n’est donc
qu’un one shot. Et Eyes Behind de revisiter toujours avec réussite quelques
musiques du siècle dernier : Slumberland
est un petit bijou electro cold décharné à la Kas Product, She une très belle chanson velvetienne tirant sur le shoegaze, Scissere un déferlement noise entre
gothique et no wave, Omonia réaffirme
une certaine prédominance électro et précieuse, Winter Walk est une chanson noisy pop dont les harmonies vocales
font penser à Electrelane et, enfin, I
Stumble est ce magnifique titre kraut instrumental que l’on a déjà décrit.
Eyes Behind est très certainement un groupe dans
l’air du temps – air du temps qui consiste à piller le passé et à se le
réapproprier pour le meilleur comme pour le pire. Or dans le cas d’Eyes Behind
on est résolument dans le meilleur : les compositions, malgré la grande
variété proposée, possèdent le même niveau d’achèvement et de réussite certaine,
tranchant nettement avec tout ce que Eyes Behind a pu enregistrer auparavant.
La teneur générale est bien sûr aux sensations réfrigérées et à la glaciation
des atmosphères, entre cold wave, synthèse berlinoise et noise new yorkaise,
c'est-à-dire un programme de choix qui n’est pas sans rappeler celui de Talk
Normal.
Tout le reste je ne l’ai appris qu’après avoir
maintes fois écouté La Déclinaison.
Le reste c’est que Eyes Behind est un trio avec deux filles (l’une est donc chanteuse
et guitariste, l’autre est batteuse) et un garçon (bassiste, échappé de Cheveu et arrivé
sur la tard dans le groupe après le départ de la bassiste originelle). Je peux
également vous dire que ce même bassiste a mixé La Déclinaison préalablement
enregistré au studio Mains d’Œuvre tout comme l’avait déjà été le premier album
sans titre de Eyes Behind publié en 2011. Un album que l’on peut en partie
écouter sur la
page bandcamp de Heia Sun et que j’aime nettement moins.
En ce qui concerne La Déclinaison, le
disque a été publié en vinyle uniquement et à 300 exemplaires par Jeet Kune records.