jeudi 24 mai 2012

Turing Machine / What Is The Meaning Of What





Je vais essayer d’être gentil.

En dehors de toutes considérations « artistiques » – c'est-à-dire l’appréciation de la musique en elle-même – il semble bien que l’objectif majeur du music business soit désormais de faire chanter/jouer les morts. On est habitués maintenant aux politiques de rééditions de disques en version remasterisée/deluxe/etc (dernier exemple en date : les deux albums et une compilation de EPs de My Bloody Valentine), rééditions toujours meilleures et plus indispensables que les précédentes, cela va de soit. On est également habitués aux reformations de groupes tous plus ringards les uns que les autres il n’y a encore pas si longtemps que cela. Ces pratiques pointant directement sur la nostalgie sont monnaie courante aussi bien chez les majors que chez les indépendants. Mais il y a encore une autre façon de procéder : celle qui consiste à terminer puis publier un disque sur lequel joue un musicien disparu. Un disque posthume donc. Pas un enregistrement testamentaire pour mettre un point final à l’histoire, tourner la page et se laver les mains. Non : un enregistrement soi-disant pour l’avenir.
What Is The Meaning Of What des américains de Turing Machine est de ceux-là.  Turing Machine était un groupe composé de Justin Chearno et Scott DeSimon, deux anciens Pitchblende – groupe noisy/arty des 90’s à redécouvrir absolument, trois excellents albums au compteur – ainsi que du batteur Gerard Fuchs (également dans !!! et Maserati). On connait l’histoire : Gerard est mort dans un stupide accident d’ascenseur le 8 novembre 2009 à presque 35 ans. On connait également l’histoire de Maserati qui a terminé son album Pyramid Of The Sun dont l’enregistrement avait débuté avant la mort de Fuchs. Les pistes du batteur préalablement enregistrées ont été incluses sur l’album, quelques pistes manquantes ont été rajoutées par des batteurs invités et Maserati a enfin publié son quatrième album en 2010 avant de repartir en tournée, jusqu’en Europe.
On assiste avec Turing Machine et What Is The Meaning Of What à quasiment la même chose. Turing Machine a toujours été un groupe assez lent – quatre années séparent le premier album A New Machine for Living (2000) du deuxième, le génial Zwei (2004) – et Justin Chearno, Scott DeSimon et Gerard Fuchs se sont retrouvés en 2008 seulement pour donner une suite à leurs enregistrements. On peut comprendre que les deux musiciens survivants aient voulu terminer ce disque, ne serait-ce que par amitié, pour la beauté du geste, comme un hommage…
Là où on comprend beaucoup moins c’est qu’à l’écoute de What Is The Meaning Of What la déception est de taille. On ne reconnait tout simplement pas Turing Machine. Zwei avait été un disque merveilleux, mariant folie math rock et psychédélisme kraut à la perfection. Guitare tour à tour voltigeuse et noise, basse inventive et extrêmement présente, batterie à l’avenant. Un modèle du genre, encore inégalé. What Is The Meaning Of What c’est à peu près tout l’inverse c'est-à-dire une collection de poncifs musicaux qui font fureur du côté des groupes instrumentaux soi-disant expérimentaux. Yeah, C’Mon ! pourrait être du Trans Am ultra robotique (son intro pourrait elle être du Marvin), Lazy Afternoon Of The Jaguar est carrément un pompage de Maserati époque Inventions For The New Season… Et on se demande bien où est passé le jeu de batterie de Jerry Fuchs et pourquoi le reste de Turing Machine s’est senti obligé d’engager des batteurs remplaçants : on entend quasiment systématiquement tout le temps une batterie ultra métronomique voire une grosse caisse marquant chaque temps de chaque mesure (Slave Of The Algorithm et What Is The Meaning Of What, tout simplement stupides et vains). Autant se servir d’une boite à rythmes. Dans le même genre d’idée on part à la recherche des lignes de basse virevoltantes d’antan : lorsqu’on arrive à discerner à peu près cet instrument c’est pour s’apercevoir qu’il se contente d’assurer un groove funk aussi éculé que racoleur. Par contre les couches de synthés en base rythmique sont bel et bien là. Quant à Sex Ghost et It’s Gone (It’s On) avec Brian Case de Disappears en guest, on n’y entend que des assemblages de boucles formatées à l’ordinateur. La belle affaire.
Tout ça pour ça ? Et bien oui. What Is The Meaning Of What pourra certainement ravir les jeunes gens branchés et les vieux hipsters avides d’electro rock à la DFA/LCD Sound System mais il ne fait clairement pas honneur au passé de Turing Machine pas plus qu’il rend hommage à la mémoire de Gerard Fuchs. On ne remercie pas Temporary Residence d’avoir publié un tel disque, même si celui-ci redonne furieusement envie de se replonger dans les sinuosités psychédéliques de Zwei.