Près de dix sept années se sont écoulées depuis la
parution du premier album de Frédéric Le Junter et Pierre Bastien (chez Vand’Œuvre, 1994). Un
disque bicéphale dans tous les sens du terme puisqu’une première partie
laissait éclater les chansons de Le Junter, sa gouaille imbibée et son humour
tordant sur fond d’instrumentations cabaret pounque/boites de conserve et
bidouille et qu’une deuxième partie (deux titres seulement mais la moitié de la
durée totale de l’album) présentait le travail de Pierre Bastien lorsqu’il
s’amusait avant tout le monde à faire du drone indus mais avec des tubes en pvc
et lorsqu'il provoquait des résonnances multiples en tapant sur des pièces métalliques en
tous genres, à la fois bricolo et visionnaire.
L’Enclume
Des Jours de ces mêmes Pierre Berthet et Fréderic Le Junter a été publié en
avril 2011 par InPolySons, label
spécialisé en pataphysique et absurdité musicales et d’ailleurs il y a fort à
parier que le titre de ce mini album n’aurait absolument pas déplu à Boris Vian
qui fut lui-même Satrape du Grand Collège de Pataphysique.
Les six titres de L’Enclume Des Jours ne sont pourtant pas des enregistrements
récents et Pierre Berthet et Frédéric Le Junter n’ont pas réactivé leur duo.
Les cinq premiers titres ont été enregistrés en 1994 à la même époque que le
premier album, au même endroit (le CCAM de Vandœuvre-lès-Nancy) et par le même
ingénieur du son (François Dietz). Le sixième et dernier titre a lui été
enregistré dans les mêmes conditions mais en 1995 et a déjà été publié sur la
compilation Musique Action 2,
également chez Vand’Œuvre).
Nous voilà donc avec un mini album de vieilles
bandes exhumées du passé. Le principal constat qui s’impose est qu’il n’y a pas
de longs titres répétitifs et résonnants sur L’Enclume Des Jours – on conseillera aux amateurs de la musique de
Pierre Berthet stricto sensu de se rattraper en écoutant par exemple Un Cadre De Piano Prolongé (Sonoris, 1996)
ou Two Continuum Pieces (Sub Rosa,
2000). Non, L’Enclume Des Jours est
un entre-deux, les chansons de Le Junter se retrouvant encore plus contaminées
par les échos sombres ou dénaturés des idées de Berthet. Ainsi les cinq
premiers titres, initialement composés pour accompagner un ballet de William
Douglas, sont d’une tristesse limite insondable et profonde, presque glauque.
On frise la musique industrielle d’un Neubauten à la sauce tupperware.
Par contre Jerrican
– le sixième titre, celui enregistré pour la compil Musique Action 2 – renoue avec la gouaille de Frédéric Le Junter et
sa mélancolie arrosée de marin perturbé. On y entend même une vraie rythmique,
très binaire et de la guitare funky qui donne par moments à Jerrican des airs de The Pop Group dépressif/passé
au ralenti. Seul le final du titre sert de mémorandum aux expérimentations de
Pierre Berthet et réalise en quelque sorte la quadrature du cercle en tant
qu’ultime témoignage enregistré de ce duo hors-normes.