mardi 29 mars 2011

Report : Helen Money, Kanine et Raymond IV au Sonic
























Pendant qu’une toute petite partie repue de l’humanité découvre en direct devant son écran de télévision ou d’ordinateur que la radioactivité c’est dangereux, que la guerre c’est mal et que la vie en bleu c’est pas vraiment ça, quelques énergumènes complètement dénués de tout sens moral et du moindre sens éthique décident malgré tout de continuer à faire de la musique, à organiser des concerts ou – ceux-là sont les pires – à assister à ces mêmes concerts et ce dans le mépris le plus total pour l’effondrement généralisé du monde qui les entoure et malgré aussi un passage à l’heure d’été d’autant plus saugrenu qu’il s’est révélé malheureusement consécutif à deux nuits (presque) blanches ainsi qu’à une biture carabinée.
Une envie irrépressible de musique, cela ne se commande pas mais cela ne s’ignore pas non plus. Aussi la valeureuse et désormais vénérable association Partage & Equité, spécialisée dans le soutien intensif de ses ouailles en matière de cholestérol et d’hyperglycémie, s’est donc fendue d’un programme dominical à faire sortir de sa tanière l’amateur de gentilles bizarreries expérimentales. Non, « gentilles » n’est pas ici employé de façon péjorative : voilà une façon comme une autre pour dire que ce soir il n’y a eu aucune trace d’agression hypersonique – les harsheurs on les aura.
















Raymond IV joue en premier. Je ne l’ai pas revu depuis cette première fois, en première partie de Chevreuil et pendant laquelle il m’avait fait forte impression. Petite déception au départ : le garçon va jouer sans les projections au sol qui en ce mois de novembre avaient illuminé son concert. La déception est malgré tout de courte durée, notre ami Raymond se montrant parfaitement capable de se passer d’un tel subterfuge optique.
Je vous refais un bref descriptif de son installation ? OK. Raymond joue donc au sol et entouré de multiples pédales d’effet (du delay…) et de sa guitare. Il gratte quelques cordes, monte des boucles, superpose tout ça, joue avec les masses sonores, les volumes, les déplacements, les déséquilibres et les répétitions. C’est du drone alors ? Non pas vraiment : la musique de Raymond IV pourrait faire penser à celle de Dirk Serries/Fear Falls Burning (par exemple) sauf qu’il ne s’enferme jamais très longtemps dans un même schéma et accentue volontairement les mouvements – quitte parfois à se planter ou à tomber dans l’approximation. Après le drone qui granule, le drone qui ronronne et le drone qui bruitise, Raymond IV a inventé le drone qui tintinnabule et qui papillonne aux quatre vents – sans ironie aucune : la recette est perfectible mais les effets sont déjà là.
















Kanine est le nouveau projet de Franck Gaffer et comme à chaque fois avec ce bouillonnant garçon la curiosité nous titille de plus en plus et notre enthousiasme s’en retrouve de moins en moins démenti : que ce soit avec Loup, Hallux Valgus, Kandinsky, Neige Morte, en trio avec Weasel Walter et Mario Rechtern ou en solo sous le nom de Sheik Anorak, ce garçon ne déçoit pas souvent et semble aller toujours plus loin dans son désir de découvertes et sa soif d’expériences.
Kanine, qu’est ce que c’est ? Un duo entre Franck (batterie uniquement) et Arthur, au saxophone ténor. Voilà bien le premier projet de monsieur Gaffer auquel j’assiste et dans lequel il n’a pas recours à l’électricité ni à toutes les manipulations et autres effets que techniquement elle permet de nos jours. Kanine est donc un duo de free jazz s’inscrivant dans une certaine tradition née dans les années 60 et amplifiée dans les années 70, celle d’un free à la fois écorché-vif et libertaire – Albert Ayler, Peter Brötzmann, etc. Autant dire que le projet est plutôt casse-gueule.
L’originalité ce n’est pas ce qui caractérise Kanine, l’excellence non plus – pour cela il faut se ruer sur Interstellar Space du duo John Coltrane/Rashied Ali – mais on sait bien également que le but de Kanine n’est pas de rivaliser avec de grands anciens inaccessibles. Non, le but de ces deux musiciens c’est d’improviser ensemble, d’y prendre du plaisir, de partager et de le communiquer, ce que le duo arrivera très bien à faire après un petit tour de chauffe. Ce soir c’était le tout premier concert de Kanine et espérons qu’il y en aura d’autres.
















Après la découverte de l’album In Tune d’Helen Money, une seule question s’imposait : allais-je autant aimer la violoncelliste en concert ? Tout l’album va y passer, aussi bien les titres calmes et enveloppants (Untitled) que les plus virulents (In Tune) sans compter cette reprise assez drôle et très bien menée de Political Song For Mickael Jackson To Sing des Minutemen. Quel que soit le registre emprunté, Helen Money y excelle, se servant bien évidemment de boucles et de samples pour reproduire les structures et les arrangements de ses compositions. Une seule constance pendant tout le concert : l’intensité du jeu de la dame, débout sur scène, arcboutée sur son instrument, semblant vouloir le faire ployer, le pinçant, le tordant, le triturant ou au contraire le caressant toujours avec la même netteté et fermeté dans les gestes. Un volontarisme contrastant étrangement avec les interventions parlées d’Helen Money entre les titres, d’une toute petite voix, à peine audible, avec un petit sourire pour, semble-t-il, cacher le maximum de choses, sauf le plaisir de jouer ce soir.
Ce rapport très physique d’Helen Money avec son violoncelle, on le perçoit encore plus dans les sonorités qu’elle arrive à tirer de son instrument – si la regarder jouer était fascinant, l’entendre tout simplement en fermant les yeux l’était tout autant. Tremblements, grincements, grondements, éclats et saturation mais également veloutés, ondulations, oscillations, courants d’air chaud, volutes, ressacs alternent et s’entremêlent – un son riche, vibratoire, profond, émouvant… Ce fut vraiment un beau concert.

[des photos du concert à regarder (ou pas) ici]