La discographie d’Electric Wizard est peut être conséquente mais chaotique, comptant sept albums et presque autant de EP en vingt années. Aussi n’est-on pas vraiment étonnés d’avoir attendu pas moins de trois années avant que ces anglais ne donnent une suite à Witchcult Today avec un nouvel album du nom de Black Masses. Et comme à chaque fois ou presque (Let Us Prey en 2002 étant la seule exception notable) on se fait franchement avoir par le doom seventies pourtant pas original pour deux sous de la bande à Jus Oborn. Il n’y a pourtant objectivement aucune bonne raison à cela : la terminologie post sabbathienne du groupe est des plus éculées – même si Electric Wizard a complètement et génialement su renouveler le genre avec deux albums incontournables : Come My Fanatics en 1997 et surtout Dopethrone en 2000 – tout comme l’imagerie et les thématiques abordées sans aucune retenue, en gros la drogue, l’occultisme, H.P. Lovecraft ou les films de la Hammer. Réinventeur d’un genre ultra codifié, Electric Wizard en est également prisonnier. En cela le groupe rencontre le même « problème » que les Cramps (dans un genre tout différent) : avec une musique et des thèmes résolument tournés vers le passé, ceux-ci étant évoqués dans le kitsch le plus total, au point de friser la caricature, ces deux groupes sont à la fois gardiens du temple et seuls habilités à éventuellement faire un peu bouger les choses à condition que ce soit dans le respect de la tradition. Une position centriste dignement réactionnaire de chrétiens-démocrates sauf que les membres d’Electric Wizard font évidemment plus penser à des satanistes totalitaires.
Ce qui fait qu’Electric Wizard nous rattrape à chaque fois, c’est l’exaltation et la ferveur avec lesquelles le groupe perpétue le culte et vénère la bête. Si rien ne semble laissé au hasard sur Black Masses – les artworks encore une fois hyper chiadés sont l’œuvre de Jus Oborn, tout comme l’intégralité des paroles dégueulasses et 80 % de la musique, seuls trois titres étant cosignés par la guitariste Liz Buckingham – de fait ce ne sont pas l’anticipation rationnelle ni une analyse poussée du marché moribond du disque qui sont la source d’un disque aussi réussi mais bien la croyance pure et dure en ce que l’on fait. Dans le cas d’Electric Wizard c’est parfaitement suffisant, tout comme cela l’a toujours été pour les Cramps, pour les Ramones (jusqu’à un certain point) et pendant très longtemps pour Motörhead (mais plus maintenant). On en arrive à constater de la part d’Electric Wizard comme une sorte d’aveuglement allant de paire avec l’illumination fanatique (on y revient), le tout dégageant une certaine fraîcheur, non pas de la musique (!) mais de son appréciation.
Cette croyance se traduit sur Black Masses par une collection de titres hallucinants et hallucinés, chapelet de hits glauques et maléfiques qui font dire aussi qu’il n’y a pas de mauvais titres sur le disque. On n’est pas loin de penser que tout ici est presque parfait et ce pour la première fois depuis le génial Dopethrone. Tout comme son prédécesseur, le déjà excellent Witchcult Today, Black Masses a été enregistré dans un vieux studio entièrement équipé de vieux matériel analogique pour un résultat vintage (comme on dit chez les jeunes snobs qui ne savent pas encore ce qu’être vieux signifie vraiment) mais inimitable. Mais alors que Witchcult Today était une célébration orgiaque du riff sabbathien, Black Masses travaille plus sur les ambiances et sur le son. La rythmique avec cette basse gonflée à la fuzz y prend encore plus d’importance. Non pas que les riffs de tueurs soient absents du disque, au contraire (rien que le morceau titre en ouverture puis The Night Child ou Satyr IX), mais la tonalité générale de l’album est davantage à la brume et à l’op(i)acité, aux ténèbres et aux profondeurs. Le mix est pour beaucoup dans cet état presque second, le chant de Jus Oborn ayant judicieusement été placé en retrait. Black Masses s’avère ainsi être carrément l’un des deux ou trois meilleurs albums du groupe.
Electric Wizard est justement en tournée européenne et le groupe passera le dimanche 13 mars par l’Epicerie Moderne de Feyzin – attention : ouverture des portes à 19 heures ! – où il pourra donner tout le sens de sa démesure. Electric Wizard sera pour l’occasion accompagné en première partie des excellents Sofy Major, c’est vraiment ce que l’on appelle une belle affiche.