Pour tout fan de Motörhead et de Ian Fraser Kilmister dit Lemmy, regarder ce film évoquant la vie, l’œuvre et la personnalité de ce dernier représente un cruel dilemme. On ne peut en effet s’empêcher de se sentir partagé entre un sentiment d’admiration sincère et un agacement certain. On connait tout ou presque de ce héro du rock’n’roll, sa passion pour l’histoire et notamment pour la seconde guerre mondiale – il possède en outre une magnifique collection d’objets nazis –, ses excès permanents en matière de drogues et d’alcools, sa passion pour les machines de jeu, son amour des femmes mais aussi sa droiture, sa dignité, son honnêteté et sa fidélité envers ses amis. Dans son genre Lemmy est le mec absolument parfait et c’est ce que se plaisent à marteler les musiciens, chanteurs, patrons de bars et autres strip-teaseuses interviewés dans la première partie de Lemmy : qu’il est long et disparate le cortège des louangeurs regroupant vieilles gloires, retraités du show bizness made in Los Angeles, ringards patentés, admirateurs à genoux, amoureux sincères et collègues de scène de Lemmy. C’est la partie complètement artificielle du film et elle frise les limites du supportable, tout comme la séquence dans un magasin de disques pendant laquelle Lemmy se voit offrir par la gérante son exemplaire « personnel » du coffret mono des Beatles parce qu’il n’y en a plus en rayon. On préfère penser que cette scène est bidonnée tellement Lemmy y semble mal à l’aise (on admettra tout de même que Lemmy a l’air gêné par la présence de caméras sur 95% du film, ce qui se comprend aussi).
Entendre Billy Bob Thornton prétendre ensuite que Lemmy a un look parfaitement naturel et qu’il a bien fait de s’établir il y a plus de 15 ans à Los Angeles car Los Angeles est justement une ville où on ne peut pas tricher est un autre grand moment de bonheur (surtout parce que l’un des intervenants précédents, Tommy Lee de Mötley Crüe, est l’exemple même de l’artificialité d’une ville entièrement vouée au paraître mais pouvant également être séduisante comme telle). Au dessus de la mêlée, Dave Grohl, bien qu’ayant toujours ce comportement de sale gamin arrogant et frondeur, est quasiment le seul musicien interviewé à avoir quelque chose d’intéressant à dire sur Lemmy. Son œil pétille comme celui d’un sale gosse lorsqu’il parle de son héro, désormais ami, et avec lequel on le voit même enregistrer en studio. C’est ce pétillement qui manque au film, même si on le retrouve un peu lors des interventions des membres de Metallica. Lemmy (le film) offre donc dans un premier temps un point de vue très stéréotypé et très américain sur Lemmy (l’homme) et il est très difficile de s’y faire.
La partie musicale du film lui permet par contre largement de décoller. Il n’y a pourtant que peu d’extraits complets de Motörhead en concert mais l’évocation des Beatles (dont Lemmy est un grand fan et c’est normal, « les Beatles sont toujours le meilleur groupe du monde »), de Jimi Hendrix (dont il était le roadie et le dealer), des Rockin’ Vickers et d’Hawkwind (deux de ses principaux anciens groupes) et bien sûr de Motörhead élève singulièrement le niveau général des débats et il était temps. C’est dans ces moments là que le fan se sent enfin concerné par un film qui sinon sent bon l’embaumement pré-mortem. Plus loin Lemmy et Metallica répètent Damage Case, vieux standard incontournable tiré d’Overkill, en vue d’un featuring de Lemmy pour un concert de Metallica à Nashville (Lars Ulrich, encore adolescent, a été le président du premier fan club américain de Motörhead) et sur l’extrait en concert qui suit la magie semble effectivement opérer.
Le film s’humanise encore plus lorsque les deux réalisateurs (Greg Olliver et Wes Orshoski) font le voyage jusqu’en Angleterre et retrouvent l’ancien collège de Lemmy où ils sont très bien accueillis, quelques collégiennes toutes mouillées déclarent tout leur amour pour le géant du rock’n’roll et un garçon boutonneux interprète au piano une version assez hilarante de Ace Of Spades. L’évocation de Lemmy, l’homme de cœur et d’honneur, son côté plus intime aussi, évite également le casse-gueule et ce de manière assez surprenante : Corey Parks (ex bassiste et cracheuse de feu chez Nashville Pussy) remporte la palme de l’émotion feutrée, devançant Paul, le propre fils de Lemmy, lorsqu’il évoque un amour de jeunesse de son père fusillé par une overdose à l’héroïne. Ces moments sont rares mais bien plus intéressants que le défilé des copains et apportent bien plus d’éclairage sur une personnalité finalement extrêmement pudique. Il n’en demeure pas moins que Lemmy laisse un drôle de goût dans la bouche et ce malgré une dernière séquence enregistrée lors d’un concert à Moscou et pendant laquelle retentit Overkill en guise de générique de fin.
Car juste avant ce final pas très explosif il y a tous ces intervenants qui affirment déjà que quand Lemmy sera mort ce sera une grande fête. Or la plupart des images tirées du quotidien nous ont montré un homme passablement usé, gravement diabétique on le sait, respirant avec difficulté, se déplaçant doucement. Lemmy est vieux. Il est tellement vieux que justement il a souvent l’air déjà mort ou que – bien pire – il est parfaitement embaumé dans sa légende et confiné dans un appartement angelos beaucoup trop petit et ressemblant à s’y méprendre à un musée. Lemmy n’est pas un film sur une légende musicale incontournable, par contre Lemmy est bien une oraison funèbre qui s’ignore tout en soulignant le paradoxe d’un homme qui continue malgré tout de vivre ses rêves de rock’n’roll et est admiré pour cela de tous à travers le monde mais qui en fait n’en peut physiquement plus – le simulacre se lézarde de toutes parts : de la notion de « gardien du temple » on passe allègrement à celle de « gérant du rock’n’roll ». Malgré l’entêtement méritoire et fanatique de ses deux réalisateurs, Lemmy éveille finalement chez l’admirateur du bonhomme un sentiment de pitié assez effroyable dont on se serait bien passé. On évoquait plus haut « la droiture, la dignité, l’honnêteté et la fidélité » de Lemmy : ce film finit par transformer tout cela en appel du vide et enlève surtout à Lemmy le voile de la dignité. Et faut-il également rappeler que l’expression « légende vivante » cache un paradoxe totalement insoluble ?
Entendre Billy Bob Thornton prétendre ensuite que Lemmy a un look parfaitement naturel et qu’il a bien fait de s’établir il y a plus de 15 ans à Los Angeles car Los Angeles est justement une ville où on ne peut pas tricher est un autre grand moment de bonheur (surtout parce que l’un des intervenants précédents, Tommy Lee de Mötley Crüe, est l’exemple même de l’artificialité d’une ville entièrement vouée au paraître mais pouvant également être séduisante comme telle). Au dessus de la mêlée, Dave Grohl, bien qu’ayant toujours ce comportement de sale gamin arrogant et frondeur, est quasiment le seul musicien interviewé à avoir quelque chose d’intéressant à dire sur Lemmy. Son œil pétille comme celui d’un sale gosse lorsqu’il parle de son héro, désormais ami, et avec lequel on le voit même enregistrer en studio. C’est ce pétillement qui manque au film, même si on le retrouve un peu lors des interventions des membres de Metallica. Lemmy (le film) offre donc dans un premier temps un point de vue très stéréotypé et très américain sur Lemmy (l’homme) et il est très difficile de s’y faire.
La partie musicale du film lui permet par contre largement de décoller. Il n’y a pourtant que peu d’extraits complets de Motörhead en concert mais l’évocation des Beatles (dont Lemmy est un grand fan et c’est normal, « les Beatles sont toujours le meilleur groupe du monde »), de Jimi Hendrix (dont il était le roadie et le dealer), des Rockin’ Vickers et d’Hawkwind (deux de ses principaux anciens groupes) et bien sûr de Motörhead élève singulièrement le niveau général des débats et il était temps. C’est dans ces moments là que le fan se sent enfin concerné par un film qui sinon sent bon l’embaumement pré-mortem. Plus loin Lemmy et Metallica répètent Damage Case, vieux standard incontournable tiré d’Overkill, en vue d’un featuring de Lemmy pour un concert de Metallica à Nashville (Lars Ulrich, encore adolescent, a été le président du premier fan club américain de Motörhead) et sur l’extrait en concert qui suit la magie semble effectivement opérer.
Le film s’humanise encore plus lorsque les deux réalisateurs (Greg Olliver et Wes Orshoski) font le voyage jusqu’en Angleterre et retrouvent l’ancien collège de Lemmy où ils sont très bien accueillis, quelques collégiennes toutes mouillées déclarent tout leur amour pour le géant du rock’n’roll et un garçon boutonneux interprète au piano une version assez hilarante de Ace Of Spades. L’évocation de Lemmy, l’homme de cœur et d’honneur, son côté plus intime aussi, évite également le casse-gueule et ce de manière assez surprenante : Corey Parks (ex bassiste et cracheuse de feu chez Nashville Pussy) remporte la palme de l’émotion feutrée, devançant Paul, le propre fils de Lemmy, lorsqu’il évoque un amour de jeunesse de son père fusillé par une overdose à l’héroïne. Ces moments sont rares mais bien plus intéressants que le défilé des copains et apportent bien plus d’éclairage sur une personnalité finalement extrêmement pudique. Il n’en demeure pas moins que Lemmy laisse un drôle de goût dans la bouche et ce malgré une dernière séquence enregistrée lors d’un concert à Moscou et pendant laquelle retentit Overkill en guise de générique de fin.
Car juste avant ce final pas très explosif il y a tous ces intervenants qui affirment déjà que quand Lemmy sera mort ce sera une grande fête. Or la plupart des images tirées du quotidien nous ont montré un homme passablement usé, gravement diabétique on le sait, respirant avec difficulté, se déplaçant doucement. Lemmy est vieux. Il est tellement vieux que justement il a souvent l’air déjà mort ou que – bien pire – il est parfaitement embaumé dans sa légende et confiné dans un appartement angelos beaucoup trop petit et ressemblant à s’y méprendre à un musée. Lemmy n’est pas un film sur une légende musicale incontournable, par contre Lemmy est bien une oraison funèbre qui s’ignore tout en soulignant le paradoxe d’un homme qui continue malgré tout de vivre ses rêves de rock’n’roll et est admiré pour cela de tous à travers le monde mais qui en fait n’en peut physiquement plus – le simulacre se lézarde de toutes parts : de la notion de « gardien du temple » on passe allègrement à celle de « gérant du rock’n’roll ». Malgré l’entêtement méritoire et fanatique de ses deux réalisateurs, Lemmy éveille finalement chez l’admirateur du bonhomme un sentiment de pitié assez effroyable dont on se serait bien passé. On évoquait plus haut « la droiture, la dignité, l’honnêteté et la fidélité » de Lemmy : ce film finit par transformer tout cela en appel du vide et enlève surtout à Lemmy le voile de la dignité. Et faut-il également rappeler que l’expression « légende vivante » cache un paradoxe totalement insoluble ?
[une première version de cet article, quelque peu différente, a été écrite pour (new) Noise mag et est lisible dans le numéro 3 de ce journal (avec deux couvertures au choix) que je ne saurais trop vous enjoindre à lire/acheter/consulter à la bibliothèque de votre quartier/voler chez votre buraliste poujadiste/taxer à votre petit frère puisqu’il est déjà disponible depuis une dizaine de jours.]