Au dos de la pochette de ce LP on découvre, outre un texte extrait de conversations avec le musicien/compositeur Manu Holterbach, la photo d’une belle jeune femme marchant dans la nature. Cette jeune femme c’est Eliane Radigue. Elle est surtout l’une des plus extraordinaires compositrices de musique sur bandes du XXème siècle. Musique qu’elle a essentiellement composée à l’aide d’un synthétiseur modulaire ARP 2500. Finalement peu connue du grand public et auteure d’œuvres certes peu nombreuses qu’elle a mis des années à composer – citons seulement La Trilogie De La Mort et Adnos* – mais absolument essentielles et d’une beauté saisissante, Eliane Radigue est restée une femme de l’ombre, admirée voire adulée d’un trop petit nombre.
Après des rééditions publiées en 2010 par Important records, rééditions d’un intérêt plus mineur que les œuvres déjà citées (il s’agissait des pièces Vice Versa et de Triptych) c’est au tour du label italien Alga Marghen de rééditer uniquement en vinyle et avec le concours du Musée d’Art Moderne de Paris deux autres pièces d’Eliane Radigue : Jouet Electronique datant de 1967 et Elemental de 1968. A cette époque Eliane Radigue était encore la toute jeune collaboratrice de Pierre Henry, alors en pleine compositions sur l’Apocalypse De Saint Jean. Son travail consistait à classer et archiver selon les instructions du maître l’incroyable banque de données sonores dont il se servait pour composer. Eliane Radigue a commencé à bidouiller dans son coin pendant son temps de libre, histoire de se libérer l’esprit après de dures journées d’un travail exigeant.
Jouet Electronique est une pièce basée uniquement sur le feedback et le larsen** dont elle a beaucoup appris aux côtés de Pierre Henry mais qu’elle a appris à maîtriser et à codifier toute seule. Jouet Electronique propose ainsi plusieurs interprétations sonores d’un même matériau. Elemental est un travail en quatre parties sur les éléments naturels (eau, feu, air, terre mais aussi leurs variantes : pluie, vent, etc), une évocation parfois très concrète et un peu primitive des dits éléments qu’Eliane Radigue a enregistrés elle-même du côté de Nice où elle vivait alors, première tentative de field recordings ensuite manipulés sur bande. Dans les deux cas on est encore loin de la teneur formelle des grandes œuvres à venir d’Eliane Radigue mais on tient là les fondements – passionnants – de ce qui se révèlera être une personnalité bien singulière. Jouet Electronique/Elemental dépasse ainsi l’intérêt purement historique d’une simple réédition d’archives.
Vu le faible tirage de ce LP (300 exemplaires, déjà épuisés, mais le label aurait déjà prévu un nouveau tirage) ce n’est pas ça qui donnera à Eliane Radigue un peu plus de reconnaissance publique, reconnaissance qu’elle mérite pourtant amplement. Par contre la compositrice recevra bientôt un prix honorifique, le « Quartz Pierre Schaefer », pour l’ensemble de son œuvre. Les Quartz sont une manifestation annuelle et internationale dont le but avoué est de fédérer toutes les variantes des musiques électroniques – des plus expérimentales et savantes jusqu’au dance-floor – afin de les promouvoir et d’assurer leur essor. L’édition 2011 de cette grande messe œcuménique du temps présent (?) se déroulera du 1er au 3 avril au théâtre du Trianon à Paris. Le président en sera Carsten Nicolai aka Alva Noto et à noter un concert gratuit d’ANBB (Alva Noto + Blixa Bargeld) le 30 mars à la Cigale, toujours dans le cadre des Quartz. Pour mémoire, la chronique de Mimikry, premier album de ANBB et l’un des musts de l’année passée.
* la première est régulièrement rééditée par XI records, le label de Phill Niblock, le second, initialement publié chez Table Of The Elements, est épuisé depuis très longtemps ou alors uniquement trouvable à des prix insupportablement élevés auprès des spéculateurs du net
** comme un couteau qui scie les oreilles m’a dit un jour la plus jeune de mes filles
** comme un couteau qui scie les oreilles m’a dit un jour la plus jeune de mes filles