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Le concert au ras de pâquerettes de la semaine et dans le sens littéral du terme c’est à dire avec des fleurs de partout et de l’amour sucré qui colle autant qu’un dragibus sur une molaire plombée. Serafina Steer est une jeune anglaise qui chante avec un tout petit filet de voix en s’accompagnant d’une harpe -une vraie, qui mesure deux mètres de haut et pèse cinq cents kilos. C’est doucement amer, gentiment acidulé et dans le meilleur des cas ça me fait penser à CocoRosie (sans le kitsch ni l’alcotest positif) qui se prendrait pour Mary Poppins sauf que cette fois-ci ça fait vraiment peur. Sur un titre ou deux son chéri l’accompagne au banjo et je me dis que ces deux là doivent passer de sacrées soirées ensemble. A noter pas mal de reprises, dont une de Brian Eno (d’après ce qu’elle dit, mais je n’en sais rien) et une autre de The River Of No Return, chanson popularisée pendant les années 50 par une blonde célèbrissime. Mais qu’est ce que je fous là ?
La réponse est toute simple, je suis venu pour Agathe Max. La demoiselle entame son set à la voix, quelques pédales d’effet à ses pieds et une petite lampe qui l’éclaire de face tandis que les lumières rouges de la scène du Sonic la placent en contre-jour. Elle met en boucle, superpose, entasse, déforme, interrompt, ranime, mélange, extrait puis attrape son violon dont elle tire ces sons toujours aussi effrayants et leur fait suivre le même traitement qu’aux voix. Une trame répétitive est définitivement installée, reviendra sans cesse hanter une première partie de prestation qui s’étire sur la longueur sans effets secondaires indésirables -si faire de la musique minimalisme consiste à abolir le temps (dans le sens de continuum), le résultat obtenu par Agathe Max est de ce point de vue particulièrement spectaculaire.
De violentes interruptions du motif principal me ramènent parfois un peu plus à la réalité, surtout lorsque le son devient très fort et les stridences magnifiquement insupportables. Je suis plongé dans une espèce d’hébétude débarrassée de tout complexe idiot, je me laisse porter et j’ai à peine le temps de remarquer qu’Agathe Max a repris son micro ou se penche parfois pour modifier les réglages de ses pédales. Puis elle prend une lampe de poche, fait la circulation aérienne autour d’elle, aveugle une partie du public. Durant toute cette première partie elle n’aura eu de cesse de développer ses sons, restant maîtresse d’un processus qui ne semble à aucun moment lui échapper, décidant dans cette marée de sensations sonores ce qui doit être et ce qui ne doit plus être : la musique s’interrompt brutalement alors que la machine à émotions aurait pu continuer pendant encore longtemps. Un second et dernier petit titre et c’est la fin, un peu de promotion pour le CD qui vient tout juste de paraître sur Angry Ballerina records et dont je vais me faire un plaisir de reparler très bientôt.
Il reste un dernier groupe pour la fin de la soirée. Spires That In The Sunset Rise est un duo de filles (ne me demandez pas pourquoi elles sont trois sur les photos) et elles arrivent très en retard sur le coup des 22h30, après seize heures de train disent-elles. J’ai une grosse envie de partir et cette envie grossit au fur et à mesure qu’elles prennent tout leur temps pour s’installer, régler leur son, déplacer un ampli un peu vers la droite, accorder un violoncelle. Je patiente en ironisant facilement avec quelques connaissances sur l’allure toute campagnarde de ces deux jeunes filles -Laura Ingalls étudiante aux Beaux Arts- et nous nous attendons, moi et mes préjugés laxistes, à un concert au moins aussi fleuri et enchanteur mon amour que celui donné par Serafina Steer. Je ne résiste pas aux deux premières minutes d’une musique folk d’opérette et prétentieuse et j’abandonne la partie avant que les bonnes résonances insufflées un peu plus tôt par Agathe Max ne disparaissent -même si au fond je doute que cela soit réellement possible.