Alors que le petit monde du football pleure à
chaudes larmes la disparition tardive d’un commentateur sportif
particulièrement beaufisant, franchouillard et limité intellectuellement, le
Sonic s’apprête à accueillir Anne-James
Chaton, un poète sonore dont le travail est l’un des plus intéressants du
moment (et cela fait plus de dix ans que cela dure).
Quel rapport me
direz-vous ? Mais absolument aucun. Disons simplement que les monuments
nationaux sont tous bons à être démolis et que plus précisément la médiocrité
érigée en monument national me donne particulièrement envie de vomir. Le sport
rend con, c’est un fait humainement prouvé et s’enorgueillir de sa propre
connerie étant également un sport de haute volée et très couramment pratiqué,
on peut dire que l’on tourne en rond.
Anne-James
chaton joue donc à Lyon en ce samedi soir dans le cadre d’une mini tournée
de quatre dates entamée deux jours plus tôt. Les occasions de voir le bonhomme
sont plutôt rares, surtout qu’il est cette fois-ci accompagné d’Andy Moor
(survivant de The Ex, ancien Dog Faced Hermans). Les deux hommes se connaissent
depuis 2001 – lors de la rencontre de The Ex et d’Anne-James Chaton – mais
n’ont réellement commencé à collaborer ensemble qu’à partir de 2003. Depuis
cette date ils ont publié nombre d’enregistrements, en particulier sur
Unsounds (le label qu’a monté Andy Moor en
compagnie du compositeur
Yannis Kyriakides et de la photographe/plasticienne Isabelle Vigier) et parmi
lesquels on a remarqué le très bon
Le
Journaliste (2009) ou la plus récente série de 45 tours intitulée
Transfer. C’est précisément autour de
ces deux œuvres que les deux hommes ont décidé de centrer leurs prestations.
Joie.
Ce concert ne fera que confirmer qu’Anne-James
Chaton est finalement un cas à part. S’il est souvent taxé de poète sonore,
force est de constater qu’il est le plus « musical » d’entre tous. Il
ne se contente pas de mots et son débit volontairement mécanique et monotone
est finalement le terrain propice à toutes sortes d’expérimentations sonores.
Anne-James Chaton manipule lui-même des dispositifs électroniques ou il
collabore avec d’autres artistes, musiciens à proprement parlé : Andy Moor
(donc)
mais
aussi Alva Noto.
L’installation d’Anne-James Chaton et d’Andy Moor
sur la scène du Sonic est des plus simples. Le premier se trouve sur la gauche
avec à ses côtés une table supportant laptop et autres bidouilles ; le
second est sur la droite, juste avec sa guitare, un ampli et deux pédales
d’effets – ridiculisant une fois de plus les guitaristes bardés de racks improbables
et à la recherche perpétuelle d’un son parfait qu’évidemment ils ne trouveront
jamais.
Celui de la guitare d’Andy Moor est brut, abrasif et noise à
souhait. Il contraste violemment avec l’aspect froid de la diction d’Anne-James
Chaton et ses manipulations sonores. Il prend même souvent le dessus, la
litanie des mots du second se transformant en un flot d’où émergent de temps à
autre un mot, comme une mise en exergue. Derrière les deux hommes un écran
diffuse parfois des images mais l’artifice vidéo n’est pas une constante chez
le duo tout comme il ne palie à aucun vide.
Ce qui est le plus étonnant chez Anne-James Chaton
c’est l’aspect presque politique dans sa façon de procéder. L’énumération de
faits d’une voix presque atone et robotique, l’accumulation, la juxtaposition
et le choc créent de nouvelles formes de compréhension qui se dessinent petit à
petit, s’imposent en biais mais qui n’assènent aucune vérité de façon
péremptoire et/ou dogmatique. C’est particulièrement flagrant avec une pièce
telle que Vous Êtes Riche pour
laquelle Anne-James Chaton énumère des sociétés cotées en bourse, énumération
assortie de commentaires précisant « vous êtres beaucoup plus riche »
ou « vous êtes moins riche » – renvoyant ainsi à une critique
certaine de l’économie financière et spéculative en contradiction avec le monde
réel.
Mais le monde « réel » (des
réalités ?) en prend également pour son grade : pour Le Journaliste, il sample quelques
titres ou phrases lus en direct dans un journal qu’il feuillette, ces samples
s’accumulent, s’amplifient et finissent par former une immense cacophonie
illustrant la surproduction de l’information immédiate au détriment de
l’information commentée et ouverte aux débats d’idées ; sur Portait Anne-James Chaton énumère des
noms de villes, des personnes et des actions toutes simples (genre « il
fait ses courses au supermarché ») mais également des noms de marques et
d’enseignes – par effet de contrechamp on est à la fois dans la critique de l’hyper
consumérisme comme règle de vie mais aussi à mille lieues de l’idéologie
privilégiant la société du spectacle et le quart d’heure de gloire warholien. Et
tiens, juste pour voir, j’aimerais bien qu’un jour Anne-James Chaton s’intéresse
à la trivialité sportive et à l’absurdité de l’esprit de compétition –
finalement je l’ai trouvé mon rapport avec l’autre matamore télévisuel trépassé.
En première partie on a pu revoir non sans plaisir
Hama Yôko. Et à chaque concert Yoko fait quelque chose d’un peu différent de la
fois précédente bien que l’on reconnaisse immédiatement sa musique à base de
syndrome electro dark, de pop décalée, de castafiorades hallucinées (mais un
peu moins que d’habitude pour le présent concert), d’intimisme perturbé et d’envolées
lyriques.
Le mélange pourrait être détonnant voire indigeste
or Hama Yôko reste toujours en deçà de toute surcharge et de toute saturation
des moyens employés et distille avec pertinence des sensations contradictoires
entre beauté vénéneuse, aliénation vocale – nombre de ses sons sont tirés de
traitements infligés à sa propre voix – et fascination pour un chaos
tourbillonnant d’embruns synthétiques. J’avais c’est vrai un peu moins apprécié
le
concert
donné par Hama Yôko en première partie de Cut Hands alors que cette fois ci
la magie trouble et électrique de la musicienne a parfaitement fonctionné.