dimanche 31 juillet 2011

Hemingway / Second Thin Skin




Hemingway, c’est l’autre groupe de Demian Johnston et de Shane Mehling et c’est surtout le groupe qui a laissé perplexes nombre de fans de Playing Enemy, la précédente formation de ces deux zigotos : imaginez un peu une sorte de noise ambient virant à l’occasion au harsh et surtout s’étalant volontiers à longueurs de « compositions » labyrinthiques et sans queue ni tête. Le genre – appelons ça, pour beaucoup plus de facilité et de compréhension universelle, de l’ambient drone harsh expé noise planant – a ses amateurs/expérimentateurs du dimanche, plus ou moins nombreux, et on peut même affirmer que l’ambient drone harsh expé noise planant a suscité ces dernières années un certain intérêt auprès d’une horde de bozardeux ou assimilés, désireux surtout de faire de la musique à tout prix mais bien trop feignants pour s’en donner réellement la peine. Voilà bien un des effets pervers des avancées technologiques à la portée des bourses de tout le monde : virez-moi vite fait bien fait ce delay, cette loop station, ce sampler ou ce laptop et il n’y a plus personne.
Les amateurs/admirateurs de telles prouesses sont encore plus nombreux que ceux qui les commettent, j’en fais souvent partie et ce pour une seule et bonne raison : il n’y a peut être pas en ce bas monde beaucoup de Lord x Gonzo* à l’humour sarcastique et décapant, il n’y a pas non plus beaucoup de Sanair* pouvant développer des constructions sonores incroyables de tenue et riches en trouvailles mais cela vaudra toujours le coup de supporter toute une cohorte d’abrutis et de va-nu-pieds prétentieux pour uniquement avoir le plaisir de découvrir quelque chose, une musique, un musicien (tels Lord x Gonzo et Sanair, donc), qui en vaille la peine.
Mais je comprends celles et ceux qui se lassent facilement, estiment qu’ils ou elles ont autre chose à faire que de fouiller dans les poubelles d’internet ou sur les catalogues des tape labels pour dénicher la musique qui les réconciliera avec le néant. Et je comprends encore plus celles et ceux qui se sont contentés de ricaner bêtement à l’écoute des premiers enregistrements de Hemingway : CDr de 3 pouces limités à 34 exemplaires ou cassettes home made dupliquées parcimonieusement 23 fois et dument numérotées, uniquement pour la beauté du geste et de l’inutile, des CDr ou des cassettes que jusqu’ici Hemingway avait fait paraitre via Dead Accents, le label de Demian Johnston.
Pourtant, la cassette en question et ce titre sans fin qui se résumerait presque qu’à un long grincement insupportablement irritant avaient quelque chose, suffisamment en tous les cas pour que l’on en vienne à s’intéresser d’un peu plus près à Second Thin Skin, premier vinyle – à ma connaissance – de Hemingway. Cette fois ci il s’agit d’une coproduction entre Dead Accents et Rom Plow records, label qui si mes souvenirs sont bons avait annoncé la publication posthume et en vinyle également d’enregistrements inédits de Playing Enemy, publication qui n’a jamais eu lieu (on peut par contre se rabattre sur le CD My Life As The Villain).
Première surprise, Second Thin Skin démarre avec un My Retired Suit étonnamment calme et allégé, et surtout agrémenté de chant (à deux voix à certains moments). Assez maladroit, en tous les cas fragile, My Retired Suit aurait presque un côté émotionnel s’il n’avait cette qualité d’enregistrement aussi approximative que bienvenue ainsi qu’une deuxième partie, incluant rythmes sommaires et bidouilles à côté de la plaque. La saturation prend de l’ampleur et même si les structures chaotiques ne suivent pas on n’est pas si éloignés que cela de Playing Enemy ou du moins d’une abrasivité et d’une coloration dont on pensait Hemingway pourtant totalement dépourvu. Or le duo ne s’arrête pas là, tutoyant presque le folk (certes plutôt dark) sur Magisteria puis écrasant le tout sous un bref interlude bruitiste (These Are Brave Days/Tell All Everyone). Ainsi avec Second Thin Skin Hemingway perpétue son entreprise de déstabilisation mais en employant des moyens différents que ceux déjà utilisés auparavant : le chant est la plupart du temps l’élément central de compositions qui jouent autant avec les masses sonores que les grésillements et on trouve également des riffs plombés qui ne dépareilleraient pas sur un disque de post hardcore. Seulement ici point de niaiserie, de larmoyance ou de mysticisme pompeux mais une sorte d’obscurité malade et déglinguée.
Seul titre de la face B, Making Bricks And Beds est une blague stressante qui vous fait relever quinze fois de votre siège pour vérifier que le disque n’est pas rayé ou que le diamant de la platine n’est pas irrémédiablement foutu : hélas la réponse est non car Making Bricks And Beds est une suite de boucles sans fin évoquant un scratch de vinyle opéré par un enfant de 10 mois sur un disque de Merzbow à l’aide d’un mange-disques Playschool**. Un moment complètement ridicule et inutile – sur la tranche du disque, à la fin du sillon (fermé), on peut lire ces mots faussement explicatifs : « silent groove ». Gloups.

* j’ai d’autres exemples mais ces deux là me paraissent particulièrement appropriés pour étayer la pseudo-démonstration que vous êtes en train de lire, chacun de situant à l’une des deux extrémités d’un spectre reliant le bruit blanc à l’ambient expérimental

** dimanche 7 aout 2011 : une mise à jour importante s’impose… Un fidèle lecteur m’informe que son exemplaire de Second Thin Skin est un LP monoface, en vinyle transparent avec une sérigraphie sur la face B, comme le montre la photo de l’exemplaire mise en ligne sur le site de Dead Accents.
Assez incroyablement, mon LP de Second Thin Skin n’a lui aucune sérigraphie et il y a bien un sillon enregistré sur la face B. On peut surtout en déduire que l’ordre des quatre titres se retrouvant intégralement sur la face A est tout chamboulé : si on appelle dorénavant le dernier passage bruitiste Making Bricks And Beds, le morceau folk devient These Are Brave Days/Tell All Everyone et la partie percussive de My Retired Suit serait alors Magisteria mais tout cela est ardu à vérifier, le vinyle transparent du disque ne laissant apparaitre que trois plages toutefois difficilement discernables. Quant à ce que l'on entend sur la face B, normalement muette, voilà un mystère qui n'en vaut pas vraiment la peine.
Quoi qu’il en soit, puisqu’il s’avère que je suis l’heureux propriétaire d’un LP monoface d'Hemingway défectueux parce que sans sérigraphie, dans quelques années je pourrai revendre celui-ci à prix d’or lorsque Demian Johnston et Shane Mehling seront enfin célèbres.

samedi 30 juillet 2011

No Balls / Less





Pas de couilles ? Ça c’est eux qui le disent. Dans No Balls ont retrouve en effet deux anciens (?) Brainbombs à la guitare sursaturée, à la batterie et quelques autres trucs… Alors, forcément, No Balls ça pue presque autant le sperme dégoulinant qu'un trou du cul béant et écartelé aux forceps avec la bonne vieille méthode suédoise. On est même dans un premier temps ravi de toute cette débauche de saturation, de crasse, de rage, de foutre et de merde. Car les No Balls sont – pas autant que les Brainbombs, donc, mais en bonne voie quand même – champions poids lourds du punk minimal, du rock’n’roll animal, du garage et de la noise réunis. On s’en prend plein la gueule, éjaculation faciale de luxe, puis vient le doute. Et, finalement, l’ennui.
Il n’y a rien de mauvais dans ce disque, on peut même donc dire qu’il n’y a que du bon mais le problème c’est qu’il n’y en a pas assez. On en veut plus et surtout on voudrait un peu plus de chant – du vrai chant, même éclatant d’une voix aphone, même complètement débraillé, même racontant des histoires de pêche à la ligne ou de cervidés décapités à l’orée d’une forêt à grands coups de pare-buffles. Tout ce que vous voudrez les gars mais du chant et plus de hurlements en continu, vicieux et méchants, obsédants et malades. A la place de cela on a juste droit à une toute petite minorité de titres chantés et qui plus est chantés du fond des chiottes (ou alors le mec qui fait ça est resté enfermé dans le placard à balais de l’entrée), ce qui fait que ce chant on le devine plus qu’on ne l’entend et que dans ces cas là il sert plus d’aiguillon, d’appât et de drogue subliminale qu’autre chose.
A nouveau, on aurait peut être pu se contenter de cette façon de faire si les chiottes – ou donc le placard à balais – avaient été occupés non stop, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Les No Balls ont beau enchainer des riffs tous plus bâtardisés et sales les uns que les autres, le son de ce disque a beau refléter le chaos le plus total, la jouissance a beau se trouver presque systématiquement au bout du chemin qui mène également à la douleur, ce trop bien nommé Less finit malheureusement par tomber à côté, tournant dans le vide, s’écrasant à bout de souffle dans une flaque de vomi.
On imagine forcément le groupe autrement plus efficace et méchant sur un format court (et définitif) que sur un LP entier sur lequel tout est malheureusement délayé. On espère – peut être à tort ? – que par contre No Balls en concert, ce doit vraiment être n’importe quoi, un vrai bordel, une bonne tranche de chaos, une grosse séance dégueu de sexe assortie d’une vraie bonne torgnole.

[sinon vous pouvez toujours aller voir du côté de Streaks records et de Who Can You Trust ? records]

vendredi 29 juillet 2011

Great Falls - Pastor Tonal / split




Au milieu de l’avalanche de parutions du label Dead Accents – le micro label de Demian Johnson, au passage c’est lui qui en assure tous les visuels –, en voici une qui mérite d’attirer toute notre attention : un split CD partagé entre Great Falls et Pastor Tonal. Great Falls, on connait déjà, il s’agit du duo composé de Shane Mehling (basse) et de Demian Johnston (guitare), tous deux vétérans de Playing Enemy. Sur les quatre titres de ce disque ils sont en outre accompagnés par Ryan McKenney, plus connu pour être le hurleur homologué – mais pas très original il faut bien l’avouer – des affreux Trap Them.
Quatre titres c’est peu mais bien suffisant pour découvrir le mélange improbable de hardcore et de boite à rythmes de Great Falls : le son est sale et épais, lo-fi et grésillant, précisément ce qu’il faut pour ne pas tomber dans la caricature post Godflesh pour les nuls, et ce que l’on retiendra le plus des quatre compositions ici présentes, c’est le côté plus vicieux que frontal et massif, plus asphyxiant que monolithique. Great Falls synthétise ainsi les racines hardcore (et metal) de Johnston et Melhing tout en les débauchant de manière assez inattendue : à ce titre les deux musiciens ont bien fait de faire appel à McKenney (qui est peut être un chanteur très efficace mais dénué de toute personnalité) car sa façon de chanter, aussi monocorde que monobloc, réussit surtout à mettre en avant les trouvailles et envies des deux autres – tournure particulièrement flagrante sur le pourtant très (trop ?) court Twitching How The Wheels Turn. On se retrouve ainsi avec un mix hardcore chaotique 90’s ralenti/Godflesh sous perfusion/Big Black en filigranes pas aussi abouti que sur le premier « album » de Great Falls (Fontanelle) mais qui déjà écrase tout le monde, surtout les éventuels concurrents.
Pastor Tonal
est l’autre groupe qui occupe ce split CD, avec deux titres d’une musique bidouillée et partiellement bruitiste qui en général défrise les mélomanes mais dont on ne peut nier le charme. Lapis Lazuli (pt.1) est surtout un montage de bandes passées à l’envers et à des vitesses de lecture judicieusement inappropriées – un peu comme les premiers travaux de Control Bleeding – alors que Lullabies For An Aching Heart est une longue plage à base de boucles (beaucoup de guitare) qui évite l’ennui grâce à un esprit ludique et je-m’en-foutiste qui manque à la plupart des musiciens beaucoup trop sérieux qui d’habitude expulsent ce type d’étrons sonores avec tout l’aplomb dont peut faire preuve un intellectuel tourmenté des boyaux de la tête. Une récréation joyeuse et réussie à base de n’importe quoi.

jeudi 28 juillet 2011

Charlemagne Palestine / Strumming Music





A en croire les exégètes, les multiples tentatives biographiques et autres discographies commentées de Charlemagne Palestine, Strumming Music est resté pendant très longtemps le seul enregistrement disponible ou tout du moins facilement trouvable du compositeur. La première édition remonte à un vinyle paru en 1974 sur le label Shandar de Daniel Caux. Cette nouvelle version datée de 2010 et sortie grâce à tous les efforts du label belge Sub Rosa propose elle pas moins de trois CDs.
« Strumming », pour les chipoteurs, est un terme qui s’applique à la guitare (le fait de balayer les cordes de l’instrument pour en tirer des accords, en fait tout le monde fait du strumming sans le savoir, comme n’importe quel crétin qui parle en prose dans la plus pure ignorance. « Strumming », dans le cas de Charlemagne Palestine et de son indéfectible piano Bösendorfer indique la façon de jouer du musicien, ce martèlement incessant des touches du clavier qui finit par créer un flot continu, les résonances des notes ainsi jouées se correspondant les unes avec les autres, pour aboutir à un raz-de-marée sonore unique en son genre et qui emporte tout. Ceci n’est pas du drone au sens de La Monte Young ou Phill Niblock – puisque les notes et les accords sur un piano ne peuvent pas être tenus, d’où la nécessité du « strumming » – mais a fort à voir avec la musique minimaliste (celle que Reich a popularisée dans les 60’s). Ceci n’est pas du drone (donc) mais finit par s’en rapprocher étonnamment, du moins dans les effets occasionnés, puisque toutes ces successions de notes jouées de plus en plus vite et de plus en plus fort au piano aboutissent à un intense magma sonore dérivant longuement et lentement et ondulant sans cesse (en volume comme en hauteur). Ecouter Strumming Music (à très fort volume évidemment) c’est tenter une expérience musicale et physique qui relève de l’extase. On remarque également un débauche d’énergie – celle du musicien/interprète, toujours secondé par une bonne bouteille de Cognac et ses fidèles peluches – qui contredit l’idée de drone dans le sens zen du terme, on préfèrera donc parler de transe.
La transe, elle continue sur les deux autres CDs de l’édition Sub Rosa de Strumming Music. Sur le CD n° 2 on trouve une version interprétée au clavecin et enregistrée en 1977, expérience s’il en est car les cordes pincées propres à la mécanique du clavecin sont à la fois un atout (percussif) et un frein à la création du magma sonore espéré et attendu. Les harmoniques dégagées sont très différentes que lors de l’utilisation d’un piano par Palestine et sans doute l’interprète de cette version au clavecin – Betsy Freeman – a-t-elle trop compté sur la mécanique de l’instrument pour pallier à son propre manque d’énergie. En fait on se rapproche ici des pièces les plus « rythmiques » d’un Steve Reich (dont la plus connue : Music For 18 Musicians). Le constat avec le CD 3 est différent : Strumming Music interprété par un ensemble de cordes (dirigé par John Adams), en 1977 également, se développe au contraire énormément sur les harmoniques. Les cordes sont jouées à l’archet, en glissendo, donc les notes sont soutenues, les résonances et les mélanges harmoniques persistants. On se situe ici, plus précisément que sur les deux versions précédentes, dans le registre du drone à strictement parler – on pense bien sûr cette fois à Young mais surtout à certains de ses acolytes d’alors, John Cale et surtout Tony Conrad bien que l’attaque initiale et le développement de cette version soient très doux et éloignés du volume grinçant et imposant habituellement expérimenté par les deux musiciens sus-cités. Quoi qu’il en soit, ni cette version pour cordes ni la version au clavecin ne peuvent égaler la version initiale au piano à la fois sur le plan de l’intensité et du continuum sonore. Toutes deux ne sont donc à considérer que comme deux intéressants bonus qui ont tout de même l’inconvénient majeur d’avoir transformé Strumming Music en triple CD avec les conséquences prohibitives que cela implique forcément au niveau du prix de ce disque (en plus les versions 2 et 3 pouvaient largement tenir sur un seul et même CD).

mercredi 27 juillet 2011

Great Falls / Fontanelle






C’est le livret qui l’indique : « Great Falls is Shane Mehling & Demian Johnston », soit le bassiste et le guitariste/chanteur de la toute dernière incarnation de Playing Enemy. Après le split de leur groupe, ces deux-là sont toujours restés plus ou moins ensemble, ont d’abord monté un tout autre projet, du nom d’Hemingway, projet très porté sur le bruit tendance magma hurlant et harsch métallurgiste, et, surtout, Mehling et Johnston ont fini par renouer davantage avec leurs racines grâce à Great Falls, dont ce Fontanelle peut être considéré comme le premier album. Pas facile en effet de suivre le périple discographique du duo tant celui-ci se plait – et c’est encore pire avec Hemingway – à multiplier les parutions sur cassettes home-made, CDr et autres supports à tirages extrêmement limités. Alors, pour faire simple, disons que Fontanelle regroupe quelques démos de Great Falls enregistrées entre 2009 et 2010 mais inclut également un titre déjà publié sur un split CD avec Pastor Tonal sur Dead Accents, le propre label de Demian Johnson. Fontanelle a lui été publié sur l’excellent label Paradigms Recordings et il s’agit sûrement du disque de Great Falls le plus facile à se procurer.
La particularité de Great Falls sur cet enregistrement – mais également sur tous ses prédécesseurs – c’est l’utilisation d’une boite à rythmes : choix peut être surprenant pour deux anciens membres de Playing Enemy (et un ancien Kiss It Goodbye concernant Demian Johnston, faut il le rappeler ?) mais un choix auquel Great Falls a su donner une tournure intéressante. Evidemment, dès que l’on parle de boite à rythmes, de guitares sursaturées, de lignes de basse mastodontes et de chant hurlé on pense automatiquement aux premiers Godflesh et il est vrai qu’à de nombreuses reprises on n’en est pas si loin que cela. Seulement la musique de Great Falls, toute en noirceur et en oppression, garde en toutes circonstances ce côté écorché vif et profondément vindicatif, même lorsque l’ambiance se fait aussi lourde que pesante. Une couleur, forcément très noire, propre aux groupes de hardcore noise et chaotique des années 90 – et dont playing Enemy faisait bien sûr parti. On remarque alors le passage très Big Black de The Bank Agnostic ou le génial All Clean Necks, titre phare mettant tour à tour en exergue toutes les composantes d’une musique particulièrement riche et captivante.
Car, presque étonnamment, le côté industriel ne ressort que davantage de sa confrontation à l’âme hardcore de Great Falls : la boite à rythmes semble tirer ses beats tribaux tout droit d’une banque de données sonores encombrée de bruits métalliques aux genres divers et variés et, en outre, les structures des titres n’ont rien de basiquement linéaire ou de trop direct. Alliées à une certaine rigidité qu’impose forcément l’utilisation de machines, les compositions oppressantes de Great Falls débouchent sur quelque chose de vraiment percutant et aussi original qu’une énième mouture du mélange hardcore + metal + indus + expérimental le permet, ce qui est déjà énorme. On peut même affirmer que Great Falls se révèle aussi inespéré que salutaire : non seulement on s’étourdit à l’écoute des riffs perturbés et parfois asymétriques de Demian Johnston mais surtout on vibre sur les lignes de basse et ce son incroyable de Shane Mehling, lequel occupe plus d’une fois les devants et attire forcément l’attention. Si Great Falls pouvait se passer d’une batterie, le groupe n’aurait apparemment pu que souffrir de l’absence d’une basse.
Pourtant Great Falls ne semble pas vouloir s’en tenir là : le duo vient d’annoncer la parution d’un nouvel album sans titre via Dead Accents, un album enregistré avec un… batteur, en l’occurrence Phil Petrocelli (de Black Noise Cannon et également touring member de Jesu). On en reparle dès que possible, en attendant on peut écouter quelques démos plus ou moins récentes sur la page bandcamp de Great Falls.

mardi 26 juillet 2011

Joe 4 / Enola Gay




Joe 4, Enola Gay : admettons tout de suite que le nom du groupe n’est pas bien terrible, que le nom du disque ne vaut guère mieux et que l’artwork est simplement moche. Tout cela est malheureusement vrai… seulement on parle de musique n’est-ce-pas ? Alors on va faire un petit effort et écouter correctement les cinq titres d’Enola Gay, CD EP* de Joe 4, un disque qui est arrivé jusqu’à nous par l’entremise de Whosbrain records. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ont toujours eu le nez creux chez Whosbrain, qu’ils ne sont pas trop du genre à proposer n’importe quoi, alors autant admettre également que l’on aurait du commencer par là, y aller directement les yeux fermés et les oreilles grandes ouvertes, à la confiance.
D’ailleurs on se demande où le label est allé chercher Joe 4 puisque ce groupe est d’origine… croate ! Après les groupes italiens encore plus shellac-quiens que l’original, après la guerre des clones austro-hongrois de Jesus Lizard, voici donc que la Croatie s’y met également mais pourquoi pas, après tout ? Comme si le bon goût (supposé) et l’autorisation express de jouer la musique qui en découlerait automatiquement serait une simple affaire de nationalité et de passeport.
Nous voilà avec un groupe croate (donc) qui revendique haut et fort le côté aluminium de ses guitares, la dynamique de ses lignes de basse, la sécheresse de sa frappe de batterie et d’une manière générale une certaine vindicte et un sens de l’énergie tout ce qu’il y a de plus noise. Autrement dit on nage avec Joe 4 en plein dans le Chicago sound des 90’s… Encore ? Oui, encore ! L’originalité de Joe 4 n’est certes pas à prouver puisque le groupe n’en fait preuve d’absolument aucune mais par contre Joe 4 déballe un quota respectable d’idées et a de l’énergie à revendre. Ce qui est largement suffisant. En ces temps de décongélation musicale et de réchauffement des ardeurs d’antan Joe 4 n’est absolument pas anachronique, ringard ou dépassé – le début de 2011 a vu le dernier coup d’éclat de Big’n ainsi qu’une énième tournée triomphale d’Unsane alors qui sait, dans le même ordre d’idée, ce que la fin de cette année va encore nous réserver ? Joe 4 se permet même quelques tubes et l’ensemble ayant fière allure, on aimerait goûter au noise rock du groupe directement en concert puisque on pressent que c’est sur une scène que Joe 4 doit vraiment tout éclater. Après tout, la Croatie, ce n’est pas si loin…

* un CD, c’est l’objet qui est arrivé un beau jour dans la boite aux lettres de 666rpm mais Enola Gay existe bel et bien en vinyle, sous la forme impérieuse d’un 10 pouces, toujours chez Whosbrain

lundi 25 juillet 2011

Aluk Todolo / Ordre





En plus d’A Collaboration, album enregistré en compagnie de Der Blutharsch, le retour d’Aluk Todolo a pris cette année la forme d’un 10 pouces publié sur le label Ajna et intitulé Ordre. Ordre est de fait une longue plage assemblée, dépassant les vingt minutes et répartie sur les deux faces de ce très beau vinyle. Surtout, Ordre est constitué de vieilles bandes, datant à peu près de l’époque de Descencion, le tout premier album d’Aluk Todolo, et indiquées comme ayant été enregistrées aux alentours de 2005. Aucune déception à avoir pour autant, si Ordre ne présente pas un visage réellement neuf d’Aluk Todolo – comme peut le faire A Collaboration – on y retrouve une musique aussi passionnante que trouble et la qualité est inévitablement au rendez-vous.
Quand on parle de « qualité » (terme qu’il conviendrait de mettre au pluriel) on parle déjà de ce son, grésillant, granuleux presque, basse fidélité pourrait-on dire, mais qui donne cette couleur inimitable à une musique qui ne l’est pas moins. Il y a quelques années Aluk Todolo était déjà un groupe à part, avec une vision inimitable, hétérodoxe, blasphématoire presque pour les puristes, qu’ils soient tenants du kraut le plus enfumé ou du metal le plus extrême. Car Aluk Todolo est bien la résultante de tout ça et de beaucoup plus à la fois, à commencer par cette façon d’inclure le bruit comme une composante essentielle de sa musique, de le sculpter en profitant de la moindre de ses aspérités, prouvant qu’il ne débouche pas forcément sur une impasse – comme sur ce passage en accélération et saturation à la fin de la première face, ainsi que tout le début de la seconde, répétitif jusqu’au tournis.
Au gré des deux faces de Ordre, l’auditeur est donc balloté entre vapeurs lancinantes et empoisonnées, explosions sonores, metal mutant et atomisé, incantations funestes et psychédélisme assassin (même si cette dernière composante est devenue encore plus importante avec le temps). L’alchimie ambivalente de la musique d’Aluk Todolo consiste en l’acceptation et l’accentuation permanente du cauchemar, cauchemar débouchant sur un état second à force d’hypnotisme – en cela le groupe n’a jamais dévié de sa ligne de conduite, la transe donnant directement accès à un ailleurs qui semble être sa seule préoccupation : sur Ordre ce sont les bas-fonds bruitistes et la noirceur grésillante qui nous subjuguent, sur A Collaboration le résultat est plus lumineux et presque spirituel. Les deux processus convergent finalement en un seul et même hypothétique endroit et dans tous les cas Aluk Todolo est le cœur passionnel de cette réaction/fusion.

samedi 23 juillet 2011

Enablers / Blown Realms And Stalled Explosions





Que le cap de Patton, premier titre ouvrant Blown Realms And Stalled Explosions, quatrième album d’Enablers, est difficile à franchir… On y reconnait pourtant le groupe de San Francisco, les spoken words autrefois mi appuyés mi rêveurs de Pete Simonelli, les guitares jumelles de Kevin Thompson et de Joe Goldring, ce post rock aérien mais nerveux, ces atmosphères à la fois troubles et lumineuses… Seulement voilà, il y a du nouveau et cela s’entend : même si on n’était pas au courant avant d’écouter Blown Realms And Stalled Explosions, on ne peut que se rendre compte que Joe Byrnes, batteur magnifique et plein de sensibilité, est parti. Son remplaçant ? Doug Scharin, ex-Codeine et surtout – en ce qui me concerne – ex-June Of 44. Doug Scharin non plus ne manque pas de toucher et de personnalité mais son jeu est si différent de celui de Byrnes qu’il va entrainer Blown Realms And Stalled Explosions sur des terrains encore jamais foulés par Enablers. Et ce pas seulement parce qu’il va insuffler une énergie différente au groupe mais aussi et surtout, suppose-t-on, par effet de contagion.
Mais revenons-en à Patton : voilà un titre enlevé, énervé presque, la voix de Simonelli y est traitée avec un effet qui la rend à la fois légèrement lointaine et (malheureusement) minérale, les guitares ne s’encombrent pas de délicatesse et on a droit en prime à quelques notes de synthé, jouées avec un Wurlitzer. Simonelli semble en faire dix fois trop, cette montée à la fin du titre parait bien trop forcée mais, après tout, pourquoi pas ? Cliff – malgré un ignoble solo de guitare introductif –, les excellents Career-Minded Individual et Morandi: Natura Morta #86 ainsi que No, Not Gently qui clôture impérialement cette première face nous font par contre exactement penser tout le contraire : oui Scharin développe un jeu dynamique qui souvent manque d’à-propos mais on retrouve les Enablers que l’on aime, ceux, poètes et arty, adeptes d’un blues noisy et funambule coincé entre les éternels Slint et un Oxbow plus tardif. Surtout, Simonelli – effet le plus flagrant de cette contagion dont nous parlions tout à l’heure – chante finalement de plus en plus, n’hésitant pas à franchir, comme sur No, Not Gently, la frontière entre retenue et excitation.
On pense alors que les Enablers ont enfin réussi à synthétiser sur un enregistrement la dynamique de leurs concerts. Seulement voilà, on appréciait aussi le groupe pour le côté presque feutré mais toujours incandescent en sous-main de ses disques et nous voilà à faire face à une démonstration de force qui, si elle n’a rien de déplaisante, n’est pas totalement convaincante non plus. Ainsi The Reader, en début de seconde face, affiche une platitude principalement due à la frappe (très reconnaissable) de Doug Scharin : on aimait ça lorsqu’il s’agissait des anciens groupes du batteur (quoi que l’effet en fût devenu insupportable sur les disques de Out of Worship – duo de Scharin avec Joe Goldring, justement) mais ici cela ne colle décidément pas. On passe rapidement sur Hard Love Seat, titre instrumental sympathique et un rien matheux, comme ceux que Kevin Thompson et Joe Goldring jouaient avec leur side project Touched By A Janitor. Par contre l’indie rock noisy de Rue Girardon fait plus que déconcerter : décidemment le déluge sonore sied fort mal à Enablers. On a bien conscience de l’effort consenti sur l’ensemble du titre mais le groupe était capable de tellement mieux avant… Or ce n’est pas fini : sur Visitacion Valley Simonelli passe presque définitivement le cap du chant et si on en a souvent rêvé, c’est surtout l’idée, le fantasme, qui nous séduisait car on préfèrera toujours un invalide qui joue de son handicap à celui qui s’aide d’une canne pour avoir l’air de ce qu’il ne peut pas être. Or Simonelli fait exactement penser à ça, à un poète qui ne veut plus se contenter de se rêver en chanteur ou à un mauvais acteur qui s’embourbe dans l’art lyrique. A Poem For Heroes, en dernier ressort, remet les pendules à l’heure. Enablers – Simonelli compris – y retrouvent leur fragilité et ce sentiment de tension que le groupe pensait pouvoir désormais remplacer par un surcroit d’énergie et des effets de manches bien trop « rock » pour que le charme continue d’opérer. Et bien c’est raté.

[le CD de Blown Realms And Stalled Explosions est dispo sur Exile On Mainstream, le vinyle sur Lancashire And Somerset]

vendredi 22 juillet 2011

Seijaku / Mail From Fushitsusha





Seijaku est le nom du nouveau groupe que Keiji Haino a fondé en 2009. La déjà très longue carrière du japonais est en effet parsemée d’expériences collectives – pour ne citer que quelques uns de ses groupes : Lost Aaraaff, Vajra (avec l'extraordinaire Kan Mikami), Nijiumu ou un peu plus récemment Purple Trap et Kikuri (avec Masami Akita/Merzbow). Mais n’oublions pas, bien sûr, le génial Fushitsusha, formation à laquelle le titre du présent album publié par Doubt music fait d’ailleurs directement allusion.
Au sein de Seijaku, comme c’était déjà le cas dans Fushitsusha, c’est Keiji Haino qui compose tout et qui commande les autres, tel un despote éclairé. Et on est très heureux de réentendre le japonais accompagné d’un vrai groupe et rejouant une musique résolument électrique et toujours aussi dérangeante. Cependant il ne faut absolument pas se fier à It Is Not That First Day, premier titre tellement minimal (à peine quelques pulsations de tom basse) que l’on croit qu’il ne s’y passe rien du tout et que cet album va être d’un mortel ennui. Mail From Fushitsusha est ainsi parsemé de quelques silences plus ou moins longs qui ne font que rendre encore plus angoissante voire effrayante une musique qui a tout du cri primal et de la découpe de plaques de métal à la tronçonneuse rouillée. Forced To Think You Love rappelle les stridences et les martèlements meurtriers d’une no wave new-yorkaise sacralisée et ritualisée à outrance alors que Seijaku relèverait presque du blues avec sa ligne de basse faussement paresseuse et ronflante et sa guitare en mode piqueur.
C’est cette coloration lente et reptilienne qui prédomine et que l’on retiendra donc avant tout de Mail From Fushitsusha. Keiji Haino semble étirer à l’infini ses lignes de chant guerrières et ses griffures de guitare (mais il y a des exceptions comme Please Send Me A New Heart et son retour à plus de rythme), prolongeant ainsi la torture physique et mentale dans la torpeur d’un bruit répétitif, toujours décharné et systématiquement empoisonné. Album aussi terrible qu’éprouvant, Mail From Fushitsusha a été enregistré en prise directe en studio, sans ajouts de post production ou autres overdubs – en résumé, la patte habituelle d’Haino, musicien qui depuis plus de trente années continue de nous fasciner avec sa vision unique et jusqu’au-boutiste de la musique.




Une version quelque peu différente (mais pas beaucoup) de cette chronique a été publiée dans le n°5 de New Noise, le magazine estival des amateurs de musiques occultes et disponible en kiosque depuis une semaine. Enjoy.

jeudi 21 juillet 2011

Magrudergrind / Crusher





En matière de grind core ce début d’année n’a pas été exempt de très bons disques et l’actualité des groupes phares du genre (les suédois de Rotten Sound et très bientôt Brutal Truth) ne devrait pas pour autant occulter les besogneux obscurs tant ceux-ci ne déméritent pas : on pense bien sûr et entre autres aux excellents Noisear mais voilà que les trois Magrudergrind font également reparler d’eux. Crusher n’est pourtant pas tout à fait une nouveauté puisque ce mini album a tout d’abord été publié fin 2010 par Scion Audio Visual (un label U.S. only appartenant à Toyota Motors et dont les pratiques ont valu à Magrudergrind quelques critiques de la part des ayatollahs métallurgistes) mais sous une pochette différente – les anciens et les exégètes n’auront pas manqué de remarquer que cette pochette reprend celle de la compilation Grind crusher qu’Earache avait publiée en 1989 afin de faire connaitre son catalogue (lequel comprenait alors quelques groupes exceptionnels tels que Repulsion, Carcass, Terrorizer, Napalm Death mais aussi Godflesh, Morbid Angel, Entombed, Bolt Thrower ou Old Lady Drivers).
Cette nouvelle édition en format 10 pouces et fomentée par Bones Brigade records associé à Kaotoxin ne reprend pas ce premier visuel mais on aura quand même compris que Margrudergrind donne dans la tradition grind et la tornade en bonne et due forme. Rien de fondamentalement novateur donc, rien non plus qui pourrait convertir les sceptiques au grind core mais un mini album compact, direct, carré, létal et fulgurant avec un bon gros son qui décoifferait même un amateur de défilé militaire du 14 juillet bien rasé de près et bien dégagé derrière les oreilles. Magrudergrind envoie en face A quelques cinq titres tournant tous autour de la minute et déversant une bile contagieuse sur un plateau de riffs taillés au hachoir et de blast beats nerveusement trépidants. Le chant alterne les usuels hardcories hystérisantes et quelques growls cochoncanins, tout ceci est aussi attendu que parfait.
En face B Magrudergrind nous fait le coup du titre unique, une longue plage (longue pour le trio : environ 5 minutes et demi) intitulée Cognition et démarrant à fond les manettes comme les titres de la première face mais marquant un très net virage au bout d’une poignée de secondes à peine. A partir de là Cognition c’est un peu comme une séance de démonstration pour un nouveau hachoir électrique par un représentant de commerce lors de la convention annuelle des bouchers/charcutiers non ritualistes : Magrudergrind y détaille tous ses riffs avec une jubilation d’un sadisme communicatif, se paye le luxe d’un solo (absolument pas ridicule) et vous met la tête – et le reste aussi – dans la grande machine à produire de la saucisse impérialiste et de la chair à canon. Hop, on en revient à l’artwork de la présente édition, signé Clint Nichols, reprenant les collages chers au punk/hard core/crust/grind/etc et recyclant/détournant images guerrières et morbides.