Lyon, son rayonnement international, sa vie
culturelle intense, son inscription au patrimoine mondial de l’humanité, ses
vieilles pierres, ses bourgeois fossilisés, ses socialistes de droite, ses groupuscules
fascistes effervescents, ses restaurants à touristes, son club de foot et –
bientôt – son grand stade, ses transports en commun désorganisés mais hors de
prix, ses festivals de musique pour tous démesurément médiatisés, ses petites
salles et ses bars qui galèrent pour faire jouer des groupes qui ne passent pas
à la radio et n’ont pas de chaine YouTube non plus, ses rebuts de la société
qui dorment la nuit dans les tunnels piétons sous la gare de Perrache, son
Grrrnd Zero expulsé mais peut-être relogé dans une friche industrielle en ruine
à la périphérie de la ville – non mais
honnêtement qu’est ce qu’il fait bon vivre ici.
[…]
Pardon, toutes mes excuses, je m’égare quelque peu
et comme d’habitude je mélange tout. Alors je reprends : qu’il fait bon
vivre à Lyon puisque c’est dans cette ville que se déroulent chaque année deux
festivals aussi essentiels qu’incontournables, je veux bien sûr parler du
Gaffer Fest – prochaine édition fin octobre 2013, on en reparle bientôt – et du
Festival Expérience(s).
Et cette année, pour sa cinquième édition, le
Festival Expérience(s) a lieu fin juin mais – et c’est important – toujours au
Périscope. Trois jours d’une
programmation exigeante mais ouverte avec du jazz qui pète, du rock qui fait du
bruit et des musiques expérimentales qui font du bien. Autant dire que l’envoyé
spécial de 666rpm n’attendait que ça et en a profité pour s’offrir une petite
cure de bonheur juste avant le fatidique désert estival et son mortel ennui.
Premier soir et entrée en matière intrigante avec
un solo de LÉO DUMONT. Un garçon que l’on connait parce qu’il joue de la
batterie avec Kouma et Polymorphie. Je me rappelle très bien d’
un concert qu’il avait donné en compagnie de Julien Grosjean, un concert assez
frustrant parce qu’il laissait entrevoir toutes les possibilités de Léo Dumont
sans toutefois leur laisser franchement toute la place qui leur était due – et
d’émettre le souhait un peu imaginaire d’assister un jour à un solo de ce jeune
batteur.
Je ne sais pas depuis combien de temps Léo Dumont
joue dans cette configuration en solitaire mais il n’a effectivement besoin de
personne. Installé derrière un gong le masquant presque entièrement – les
personnes assistant au concert bien en face de lui ne pouvaient deviner que ses
mains et avant-bras –, Léo peut tranquillement fermer les yeux et, en véritable
poète des sons, jouer avec les résonnances des objets qui l’entourent, caresser
ou frotter les peaux, faire des ricochets avec une balle, taper sur sa grosse
caisse avec une pédale munie d’une grosse feutrine pour la faire vibrer en longueur
et en épaisseur et jouer sur les variations d’intensités et les silences.
Un très beau moment, très loin de toute
prétention, de toute afféterie et de toute volonté démonstrative – de la
légèreté et de la profondeur qui s’entrecroisent et donnent naissance à une sorte
de gravité ludique et emprunte d’une humilité contagieuse.
CHARLES PENNEQUIN et
JEAN-FRANÇOIS PAUVROS
prennent la suite. Le premier est un poète sonore/performer à l’humour féroce.
Le second est un guitariste inspiré et lunatique. Il me faut avouer que je
n’avais encore jamais vu et entendu Charles Pennequin et donc je découvre un gros
bonhomme avec des airs de vieux skinhead à la retraite ou de boucher-charcutier.
Dès qu’il commence à lire ses textes d’un air précipité voire haché (charcutier
je vous dis), une diction qui donne à ses textes un fumet chargé d’une
insolence gouailleuse, ironique et complètement irrévérencieuse,
je me sens submergé par des envies de
fous-rires difficiles à retenir.
Pennequin met ses gros doigts et sa langue très
pointue là où ça peut faire mal (« on a toute l’époque pour se
révolter »), parle de cul, des cons – dans tous les sens du terme –, de
l’absurdité moderne, passe en mode dézingage/sulfateuse et fait le gros dos pour
mieux hérisser ses piques verbales. A ses côtés Jean-François Pauvros
l’accompagne discrètement mais pas tant que ça, faisant le mariole façon
guitare-égo pour attirer une partie de l’attention, ce à quoi il parvient
parfaitement : le duo de choc(s) des deux hommes est très drôle mais ne
s’éternise pas, même si Pauvros réclame à son comparse des bonus spéciaux parce
qu’il a envie de continuer à jouer. Charles Pennequin s’exécute mais sans trop
se laisser faire, ces deux là font la paire.
En quittant la scène Jean-François Pauvros n’a pas
pu s’empêcher de lâcher un « et maintenant place à de la musique sérieuse
jouée sérieusement », ce qui est guère charitable mais totalement
compréhensible de la part d’un vieux franc-tireur qui a derrière lui plus de
trente années de guitare passées à foutre en l’air les règles établies du blues
et du rock (ce qui est, finalement, la seule façon de leur rendre réellement
hommage).
Guère charitable mais pas totalement faux non
plus. La musique « sérieuse » dont il maintenant question est jouée
par un tout jeune groupe – dont c’est ce soir le deuxième concert – du nom de SnAP
et composé de
Julien Desprez à
la guitare et à la composition, de
Yann Joussein à la batterie et de Clément Edouard à
l’électronique. Autrement dit les deux premiers jouent déjà ensemble dans DDJ,
Coax Orchestra, Tweedle-Dee alors que Julien et Clément sont également tout
deux membres d’IRèNE : voilà trois musiciens qui se connaissent
bien et gravitent également tous les trois autour du collectif Coax et de la bande à
Carton records.
Pour un second concert (et une
quinzaine d’heures de répétition seulement), SnAP s’est bien débrouillé et,
malgré quelques hésitations, a déjà fait preuve d’idées brillantes et
porteuses, on le pense, d’un avenir certain. Il manque certes encore ce liant invisible
et ces huiles essentielles qui permettront aux rouages de SnAP de fonctionner
parfaitement, de rouler peut-être plus loin que prévu initialement, de
décoincer un peu tout ça mais l’association de ces trois musiciens est une
bonne nouvelle (et quel bonheur de pouvoir regoûter au jeu de batterie de Yann
Joussein).
[les photos de ce premier soir du
Festival Expérience(s) 2013 sont par ici]