vendredi 31 décembre 2010

TOP OF THE DOPE 2010 : si votre disque préféré n'y figure pas c'est votre problème, pas le mien























Voilà, c’est la fin d’une année et bientôt le début d’une autre (etc) et il parait que c’est l’heure des bilans. Autant vous dire tout de suite que faire la liste des meilleurs disques, groupes ou concerts de l’année écoulée est un passe-temps aussi inutile que de donner des notes à ces mêmes disque/groupes/concerts (des notes comme si on était à l’école). Mais puisque j’ai été sollicité par plusieurs personnes pour donner le mien de bilan et qu’en ce moment je n’ai vraiment que ça à faire, je vous présente ici et maintenant un mix de toutes les listes que j’ai fournies sachant qu’elles n’ont qu’un seul point commun, intangible et pas des moindres : le top album. Celui-ci est pourtant limité à dix disques et comme finalement dix ce n’est vraiment pas assez, toute une liste de disques supplémentaires a été rajoutée après, juste histoire de signifier que cette année 2010 a été vraiment pas mal du tout. Il faut donc plus prendre ce qui suit comme un récapitulatif que comme un palmarès.

Tout ces disques ont été chroniqués ici au cours de l’année écoulée ou – sauf accident – ne vont plus trop tarder à l’être (Auf Wiedersehen de Clockcleaner par exemple) mais je ne remets pas les liens vers leurs chroniques respectives par pure fainéantise, il y a dans la colonne de droite un moteur de recherche qui permet de tout retrouver. Et pour éviter les classements et les marches de podium j’ai à peu près tout listé par ordre chronologique ou presque. Ainsi l’album Hide de Foetus qui pourtant apparait en dernier du Top 10 albums pourrait très bien être le disque de l’année, hein. Et pourquoi pas ?

Top Albums :



















 Extra Life – Made Flesh (African Tape)
The Good Damn – I Can walk With My Broken Leg (PWL)
Scorn – Refuse; Start Fire (Ohm Fidelity)
Drunkdriver – self titled (autoproduction)
Heliogabale – Blood (A Tant Rêver Du Roi, Les Disques Du Hangar 211)
Faust – Faust Is Last (Klangbad)
ANBB – Mimikry (Raster-Noton)
Ntwin – self titled (Boom Boom rikordz, Katatak records)
The Ex – Catch My Shoe (Ex records)
Foetus – Hide (Ectopic Ents)

Et puis sinon :






















 Welldone Dumboyz – self titled
Binaire – Idole
Hallux Valgus Gale = Paranoïa + Psychose + Frustration
Sheik Anorak – Day01
Ventura – We Recruit
Marvin – Hangover The Top
Shane Perlowin – The Vacancy Of Every Verse
Kimmo – Bolt And Biscuit
Talk Normal – Sugarland (oui, ce disque date de 2009 mais le groupe a été découvert en 2010)
Little Women – Throat
Homostupids – The Load
Lunatic Toys –
Hey Colossus – Eurogrumble vol 1
The Healthy Boy & The Badass Motherfuckers – Tonnerre Vendanges
Grand Predateur – Selt titled
Zs – New Slaves
Knut – Wonder
Swans – My Father Will Guide Me Up A Rope To The Sky
STNNNG – Smoke Of My Will
The Conformists – None Hundred
Das Simple – self titled
Shipping News – One Less Heartless To Fear
Sofy Major – Permission To Engage
Clockcleaner – Auf Wiedersehen
202project – Total Eclipse
Alaska Pipeline – Master Of Puppets
Les Louise Mitchels – Es Hat Uns Spass Gemacht
Papaye – La Chaleur
Sheik Anorak/Weasel Walter/Mario Rechtern – Bass Bass Bass Bass

Est ce que j’en aurais oublié ? Oui, très certainement. Plein.

Top concerts :















Phill Niblock @Sonic/Lyon le 23 janvier 2010 (avec Transitoire)
Skull Defekts @Sonic/Lyon le 10 mars 2010 (avec Sheik Anorak et Altar Of Flies)
Black Cobra @Grrrnd Zero/Lyon le 23 juin 2010 (avec Hangoverdosis, Saviours et Weedeater)
The Thing with Otomo Yoshihide @Sonic/Lyon le 12 octobre 2010 (avec Loup)
Marvin et Zëro @Abattoirs de Bourgoin-Jallieu le 16 octobre 2010 – même s’il y avait pas grand monde
Heliogabale @Sonic/Lyon le 03 novembre 2010 (avec Kiruna) – même s’il y avait franchement personne
Zëro et The Healthy Boy & The Badass Motherfuckers @ La librairie Grand Guignol/Lyon le 21 novembre 2010
The Ex @Le Fil/Saint Etienne le 24 novembre 2010
Pord @Le Trokson/Lyon le 27 novembre 2010 (avec Xnoybis et Veuve SS)
Borbetomagus @Sonic/Lyon le 15 décembre 2010 (avec Thomas Ankersmit)

Top songs – un webzine que je ne nommerai pas m’a demandé mes dix chansons préférées de l’année, j’en ai au moins trouvé le double :



















Zëro – Enough, Never Enough (OK : Diesel Dead Machine a été publié fin 2009 mais il n’empêche qu’on l’a écouté une bonne partie de l’année 2010)
Jim O’Rourke – The Visitor (c’est de la triche, il n’y a qu’un seul titre de 40 minutes sur cet album)
Sheik Anorak – Day 01
Kimmo – After The Show
Marvin – Rock Dur
Extra Life – One Of Your Whores
Xnoybis – Picardian Fight Song
Ventura – Demons
Twin Pricks – You Saved The Day
The Healthy Boy & The Badass Motherfuckers – Remember Me
The Feeling Of Love – Respect Exotic Love
Death To Pigs – Casto Secret Sex Casino
Raymonde Howard – Stay With Me
The Good Damn – Self Made Man
Ahleuchatistas – Heraclitean
202project – La Face Cachée Du Soleil
The Conformists – Jesus Was A Shitty Carpenter
Overmars Last Sail Sinking
Motörhead – I Know How To Die
Cheveu – Quattro Stagioni

Top Artworks…






















Overmars / Starkweather – split
Marvin – Hangover The Top
Sofy Major – Permission To Engage

… et logiquement les pochettes de disques les plus moches :

Nurse With Wound – Spacemusic
Earth – A bureaucratic Desire For Extra-Capsular Extraction (réédition Southern Lord)
Electric Electric / Marvin / Pneu / Papier Tigre – Double split de La Colonie de Vacances

I see the light…















The Good Damn en concert, sur disque, de partout
Pord en concert : énorme !
Le premier album sans titre de Das Simple

… But the light at the end of the tunnel is a train :

Lemmy n’est pas mort, Motörhead sort un album certes honorable mais le mythe est purement et simplement momifié dans un documentaire aussi abscons qu’inutile (mais logiquement intitulé Lemmy)
La lecture de No Beauty Without Danger sur Einsturzende Neubauten confirme malheureusement que Blixa Bargeld est un affreux prétentieux
Norman Westberg n’a pas du jouer plus de la moitié du temps lors des concerts 2010 de la réformation des Swans – une vraie honte

jeudi 30 décembre 2010

Sheik Anorak - Weasel Walter - Mario Rechtern / Bass Bass Bass Bass
























Retour du trio Sheik Anorak/Weasel Walter/Mario Rechtern après un CD/DVD (The Forbidden Beat) publié un peu plus tôt dans l’année. Ce nouveau disque est en lui-même absolument magnifique : un vinyle transparent dans une pochette et avec deux inserts transparents eux aussi, un vrai plaisir pour les yeux et une musique qui à l’image de son emballage ne passe pas inaperçue. On reconnait bien là le soin habituel porté par Gaffer records à ses sorties. Et pour l’occasion le label de Sheik Anorak s’est associé à Savage Land records. Bravo.
Si vous avez déjà vu Weasel Walter en concert vous savez aussi que notre homme enregistre absolument chaque note de ce qu’il a pu jouer, quelque que soit le groupe ou la formation qui l’accompagne. Il ne sort jamais sans son petit enregistreur portatif. Et en bon grand malade monomaniaque Weasel Walter écoute ensuite absolument tout ce qu’il a enregistré. La prochaine fois que vous le croiserez, vous pourrez remarquer que lorsque il ne joue pas sur scène il a toujours un casque pas très loin de ses oreilles et qu’il réécoute tel ou tel concert donné la veille ou il y a quelques semaines, parfois à l’autre bout du monde… Il n’y aurait donc pas mieux que lui-même pour bien connaître sa musique et gare à vous si jamais vous vous permettez d’avoir un avis erroné ou tout simplement différent du sien. Mais que l’on soit d’accord avec lui ou pas a finalement peu d’importance : ce qui au contraire est important c’est que Weasel Walter sait ce qu’il veut, qu’il est son propre maître et que les critères qui font qu’il sélectionne tel ou tel passage d’un concert en vue de le publier sur un disque n’appartiennent qu’à lui.
Sur Bass Bass Bass Bass – l’ironie du titre n’aura échappé à personne puisque dans le trio personne ne joue de cet instrument – on retrouve avec plaisir Sheik Anorak, Weasel Walter et Mario Rechtern dans une forme tout simplement éblouissante. Les sélections proposées sur le disque ont donc des origines très diverses bien que provenant toutes d’une tournée effectuée en avril 2010 et ayant conduit le trio jusqu’en Suède. On découvre la pratique d’une musique improvisée en mode dur, bruyant même, et en tous les cas sans concession. La deuxième plage de la première face (Time Will Heal Us All part 2, enregistré à Lulk, Belgique, le 18 avril 2010) est absolument incroyable de vitalité et d’invention, privilégiant l’énergie dans le jeu collectif alors que la troisième (You Weird! enregistré à Stockholm le 21 avril) est plus axée sur l’écoute entre les trois musiciens – personnellement je trouve toujours que le trio est bien meilleur dans cette première option que dans la seconde.
Sur l’autre face du disque, les trois musiciens continuent de sortir le grand jeu le long de deux extraits (Frankfort le 24 avril et Hambourg le 19). Us vs Us et Treble Treble Treble Treble sont à nouveau la démonstration d’une musique improvisée intelligente et comme pour me faire mentir ces deux dernières plages – et tout spécialement Us vs Us – sont même de sacrés exemples d’interaction et de touche à touche entre les trois musiciens. Ah oui, si on a toujours tendance à attendre (et espérer) Weasel Walter et ses musiciens du côté du fracas débridé et des explosions soniques on aura surtout droit ici à un éventail de pulsations, respirations, faux départs et torpillages en sous-sol avant, bien sûr, la dite « explosion » à la fin de Treble Treble Treble Treble. On peut tout accepter de la part d’un musicien à la fois aussi conscient et déraisonnable que Weasel Walter. Le trio ne devrait toutefois pas en rester là, reviendra sûrement jouer en Europe courant 2011 et devrait également publier un DVD. Vous pouvez donc déjà savoir ce que vous allez commander pour votre prochain noël, si vous arrivez à tenir le coup jusque là.

mercredi 29 décembre 2010

Flying Luttenbachers / Cataclysm























Retour en arrière. Les Flying Luttenbachers sont morts et enterrés depuis longtemps : jouer avec ce groupe n’amusait plus vraiment Weasel Walter (mais, vu la versatilité du bonhomme, ce n’est pas dit qu’il n’y retourne pas un de ces jours). L’album Cataclysm, l’avant dernier du groupe, a longtemps représenté le Saint Graal pour les fans des Luttenbachers. D’abord, au moment de sa première parution en 2006, le groupe alignait l’un de ses tous meilleurs line-ups : Weasel Walter bien sûr à la batterie et aux molards, Ed Rodriguez (Colossamite, Gorge Trio) à la guitare, Mick Barr (de Ocrilim à Krallice en passant par Orthrelm et Crom-Tech) à la deuxième guitare et Mike Green (Burmese) à la basse. Une sacrée bande de foutus tarés. Ce n’est pas pour rien si cet album est considéré comme le meilleur du groupe mais il y a une autre raison au côté « trésor caché » de Cataclysm. Le disque a très rapidement été sold out, très peu de temps après sa sortie officielle et de manière assez incompréhensible. Weasel Walter avait publié lui-même Cataclysm via son propre label uG Explode et il faut croire qu’il avait été pessimiste sur le nombre d’exemplaires à presser. Mais comme toujours avec ce cher Weasel, on pouvait également espérer une réédition… ce qui a fatalement été le cas. Une réédition oui, mais uniquement en CD puisque monsieur a tendance à estimer que le vinyle ne rend pas suffisamment hommage à sa musique.
La dite réédition consiste en un digipak très joli et entièrement cartonné reprenant le même visuel que l’original. A l’intérieur se trouve un vulgaire CDr avec écrit dessus d’une main maladroite – serait-ce la main du maître ? – ug19 soit la référence label de Cataclysm. Pas de problème, le CDr est bien gravé avec l’intégralité de l’album dans un format audio standard et non compressé mais on a le droit d’être déçu : se procurer cette nouvelle version de Cataclysm (ou de quelques autres références des Flying Luttenbachers qui ont subi le même traitement) relève de la pure philanthropie voire du mécénat à l’égard de Weasel Walter. Si on manque cruellement d’argent de poche on préfèrera donc de vulgaires mp3*.
Reste qu’effectivement Cataclysm est bien l’un des meilleurs albums du groupe. Tout ici est absolument incroyable et malade. Si le mot « progressif » peut un jour obtenir quelques lettres de noblesse c’est du côté de cet album qu’il faudra aller les chercher. Weasel Walter et sa petite bande de mercenaires s’emploient avec une rare cohérence (lorsqu’elle est au service d’un tel sens du bordel) à détruire mélodies, structures, bon goût et tout y passe, un peu comme si Magma se mettait à faire des reprises d’Ornette Coleman en version thrash metal avant de fracasser Ligeti sur le mur d’une no wave freeteuse bardée de tessons de bouteille. Seul moment de respect amusé, une interprétation fidèle bien que joué à la guitare du 4ème mouvement de l’Ascension d’Olivier Messiaen – pas d’orgue ici mais quand même une certaine idée de grandeur céleste et une sorte de pause avant l’assaut final et les ultimes déflagrations de Regime parts 1 & 2.
Cataclysm
est un pur moment de folie, un sommet de la carrière de Weasel Walter et l’un des grands disques du début de ce millénaire tout court. Certains semblent pourtant considérer qu’il est peut être dommage que désormais Weasel Walter se soit jeté à corps perdu dans des projets intégralement improvisés (ce que somme toute il réussit aussi très bien) : le format bâtard mi free, mi noise, mi punk et mi impro libre** des Luttenbachers lui allait si bien…. Il est effectivement vrai que Cataclysm peut donner raison aux nostalgiques des Luttenbachers mais il est tout aussi vrai que Weasel Walter ne semble jamais avoir dit son dernier mot.

* à ce propos Weasel Walter dispose maintenant d’une page bandcamp
** quatre moitiés je sais bien que ça fait deux mais les Flying Luttenbachers n’ont jamais été un groupe de math-rock, n’est ce pas ?

mardi 28 décembre 2010

Weasel Walter / Apocalyptik Paranoïa























C’est l’hiver, il fait froid, il neige, c’est les fêtes de fin d’année. Au lieu d’aller jouer au sans domicile fixe dans les aéroports européens bloqués par les intempéries de saison certains ont préféré rester bien sagement à la maison pour s’emmerder en famille et donc ont tenté de s’occuper comme ils le pouvaient. C’est en réécoutant au hasard plein d’enregistrements de Weasel Walter que Apocalyptik Paranoïa a refait surface et n’a depuis cessé de squatter le sommet de la pile des disques en écoute permanente dans le bureau ovale du nouveau building pénien de 666rpm Inc. Apocalyptik Paranoïa a été publié en 2009 par Gaffer records et est à ce jour toujours disponible auprès du label. Comme ce disque n’avait jamais été chroniqué ici et comme il reste l’un des meilleurs enregistrements de Weasel Walter sous son nom, il n’est donc pas encore trop tard pour en parler.
Il y a plusieurs line-up et vraisemblablement plusieurs sessions d’enregistrements sur Apocalyptic Paranoïa. Ce qui fait que ce disque est incroyablement riche, diversifié et finalement agréable pour ne pas dire facile à écouter. La musique improvisée vous fait peur ? C’est pourtant ce vers quoi tend Weasel Walter quasiment exclusivement depuis la séparation des Flying Luttenbachers. Et pour une bonne introduction au genre avec option défouraillage et pétage de plombs à tout moment en compagnie de ce batteur fou et légèrement monomaniaque sur les bords, Apocalyptic Paranoïa constitue une porte d’entrée sans équivalent. Sur ce disque Mr Walter est donc accompagné par Henry Kaiser (guitare électrique ou acoustique), Forbes Graham, Greg Kelley et Peter Evans (tous les trois à la trompette) ainsi que par Fred Lonberg-Holm (violoncelle). Il y a donc plusieurs combinaisons, allant du simple duo minimal au quintet expé en passant par le trio apocalyptique.
Mais pour l’heure c’est sous la forme d’un dialogue surprenament délicat et nuancé que commence le disque. Henry Kaiser et Weasel Walter se picotent entre eux par petites touches, ping-pong zen et acuponcturé contrastant avec la déferlante du bien nommé Raging War (en compagnie de Forbes Graham, de Lonberg-Holm et à nouveau de Henri Kaiser) qui suit directement après et se révèle assez proche de la furie d’antan des Luttenbachers. Un peu plus loin Mass Erection ira dans la même direction que Raging War, celle d’un chaos imminent et incontrôlable. Le plus marquant reste les titres en compagnie du trompettiste Greg Kelley – il faut absolument écouter Nmperign, son incomparable duo avec le saxophoniste Bhob Rainey –, titres particulièrement influencés par le jeu tout en bruits de bouche et de tuyauterie de Kelley : ainsi Still Life ou même Creaking Bones Break jouent à nouveau la carte du pointillisme et des lignes de fuite. Threnody et A Synthesis Of Patterns font eux appel aux manipulations sonores tandis que le magnifique Slowest Death permet de (re)découvrir ou de se familiariser avec le jeu et le son de trompette de Peter Evans, magnifique musicien qui gagnerait à être davantage connu et apprécié.
Pas encore convaincu ? Les grattements, frottements et autres plaintes de tuyauteries vous ennuient ? Vous trouvez que tout ça manque singulièrement de guitare et de sueur ? Et bien dans ce cas là on ne saurait trop vous conseiller l’écoute répétée et sans condition du trio que Weasel Walter a monté en compagnie du saxophoniste Mario Rechtern et de Franck Gaffer/Sheik Anorak à la guitare : ils viennent de publier un nouveau LP, Bass Bass Bass Bass, dont nous reparlerons très bientôt.

lundi 27 décembre 2010

Motörhead / The Wörld Is Yours























Si vous avez eu la mauvaise idée de regarder Lemmy, le documentaire péniblement coréalisé par Greg Olliver et Wes Orshoski consacré au bassiste/chanteur de Motörhead et disponible en DVD depuis le début du mois de décembre, vous n’avez peut être plus du tout eu envie d’écouter The Wörld Is Yours, quelque chose comme le vingtième album de Motörhead, groupe méritant pour beaucoup d’appartenir au patrimoine mondial de l’humanité occidentale. On voit en effet dans ce film un Lemmy Kilmister complètement momifié et en bonne voie de déification, à l’abri sous le climat et au milieu du show bizness écœurant de Los Angeles, ville dans laquelle il s’est installé depuis une bonne quinzaine d’années. Lemmy soulève en effet le douloureux paradoxe qui stipule que pour qu’une légende devienne immortelle, il faut d’abord que l’homme meure. On sort de la vision de ce documentaire avec un désagréable sentiment de pitié. Et c’est un vieux fan de Motörhead et de Lemmy qui vous le dit.
On écoute donc The Wörld Is Yours comme par habitude, le rendez-vous avec Motörhead est pris pour tous les deux ans et on s’y tient malgré tout. Et on s’attache à quelques détails qui avec le temps ont fini par avoir presque plus d’importance que la musique du groupe : ah oui cette pochette est une énième et très laide resucée du monstre de chairs mécaniques imaginé par Joe Petagno il y a plus de trente ans et c’est Cameron Webb qui a produit ce nouvel album, il avait déjà mis son nez dans Inferno (2004) et Kiss Of Death (2006). C’est triste quand même, de se raccrocher au nom d’un producteur pour chercher à espérer d’un disque : Inferno est pourtant le dernier très bon album en date de Motörhead et Kiss Of Death, bien plus poussif, n’a pourtant rien de déshonorant. Alors ? Alors The Wörld Is Yours remonte sans grande difficulté la pente dévalée il y a deux ans par un Motörizer pas très loin d’être vraiment indigne.
On ne cherchera pas d’évolution musicale significative – on parle de Motörhead, bordel ! – bien qu’il faille admettre que le groupe de Lemmy n’est plus qu’un groupe de boogie rock musclé et couillu, une façon comme une autre pour arriver à faire encore un peu de rock’n’roll, ce rock’n’roll si cher au leader de Motörhead. Très mid tempo, The Wörld Is Yours n’arrive pourtant pas à décevoir totalement. Des chansons débordant de swing telles que Bye Bye Bitch Bye Bye et l’excellent I Know How To Die ou celles plus volontiers métalliques (Born To Lose, Outlaw et I Know What You Need, seule concession de l’album à une relative rapidité) comblent aisément les attentes du headbanger. D’autres se montrent franchement pépères et syndicalement efficaces : Get Back In Line, Devils In My Hand et dans une moindre mesure Waiting For The Snake. Par contre Rock’n’Roll Music ne passe pas et ne passera jamais : voilà un exemple typique des égarements de Lemmy dans les poncifs et clichés de la musique qu’il adore par-dessus tout, égarements qui avaient littéralement plombé l’album Motörizer, surtout au moment de refrains insupportables (le refrain est en effet devenu ces dernières années le très gros point faible du songwriting de Lemmy). Seule surprise de The Wörld Is Yours, Brotherhood Of Man est le titre le plus lent et le plus lourd de l’album : Lemmy y chante comme il ne l’avait peut être plus fait depuis Orgasmatron (1986), avec cette voix toujours aussi rocailleuse mais complètement dans les graves.
On sait que l’enregistrement de The Wörld Is Yours a été quelque peu chaotique, que Lemmy a terminé le disque tout seul dans un studio américain puisque Phil Campbell (guitare) était alors retenu au pays de Galles par la maladie de son père mourant et que Mikkey Dee, une fois ses parties de batterie enregistrées, était reparti rejoindre sa femme, ses enfants et sa collection de voitures dans sa Suède natale. L’accouchement aux forceps de The Wörld Is Yours fait malgré tout prendre une nouvelle dimension au disque : Lemmy peut encore être ce héro aussi vaillant que tenace. Moralité, ne regardez pas Lemmy, oubliez ce documentaire qui sera à peine bon à être rediffusé au moment de la mort de monsieur Kilmister et écoutez The Wörld Is Yours – mais seulement si le cœur vous en dit –, juste un album de plus de Motörhead. Et ce ne sera pas très grave si celui-ci s’avère un jour être le dernier album du groupe.

dimanche 26 décembre 2010

Jesu / Heart Ache & Dethroned






















Jesu, encore. Longtemps annoncé par Hydra Head records, la réédition de Heart Ache est disponible depuis le mois de novembre en double LP et en double CD. Pourquoi « double » ? Parce qu’il a été spécialement inclus pour l’occasion un deuxième disque comprenant un enregistrement datant d’à peu près la même époque et jusqu’ici resté inédit. Dethroned est un peu le lost EP de Jesu. On a tous perdu quelque chose à un moment ou à un autre de notre pauvre existence de vermine humaine mais au moins on peut dire que les gars de chez Hydra Head n’ont jamais perdu le nord ni le sens des affaires.
L’avantage pour les fanatiques de Jesu c’est de pouvoir redécouvrir Heart Ache légèrement relifté et sur support vinyle. Heart Ache est le debut EP de Jesu, initialement publié Dry Run recordings, et c’est surtout le disque qui semblait promettre aux très nombreux fans de Godflesh à travers le monde que le tout nouveau projet de son mentor allait s’inscrire dans la droite lignée du groupe mythique de Birmingham. Certains se diront amèrement déçu par Jesu dès le premier album sans titre du groupe publié par Hydra Head dans la foulée et ne retrouveront hélas plus jamais la foi. Heart Ache ne comporte que deux titres d’une vingtaine de minutes chacun (le morceau titre et Ruined) et renoue sans problème avec les rythmiques alourdies et les riffs de barbares sidérurgiques auxquels Godflesh nous avaient habitués. Toutefois on sent également très nettement ce vers quoi va bientôt tendre Jesu c'est-à-dire un metal plus pastoral et shoegaze avec chant de chérubin anorexique sous respiration artificielle par vocodeur interposé. Les deux titres de Heart Ache jouent sur ces deux aspects bien distincts sauf que Heart Ache démarre les pieds dans la boue rouge avant de s’achever en courant d’air alors que Ruined suit exactement le trajet inverse pour finalement retomber dans le caramel parfumé au plomb. Quoi qu’il en soit, ce premier EP est l’un des meilleurs enregistrements de Jesu et méritait largement cette réédition.
Second disque. Voici donc Dethroned, un travail que Justin Broadrick aurait démarré en 2004, laissé à l’état de friche et finalement achevé qu’en 2010 pour les besoins de cette édition. Dethroned permet surtout de se rendre compte de l’état d’esprit et des recherches alors entreprises par Broadrick. On y retrouve à la fois la dualité lourdeur/gaz à tous les étages de Heart Ache (seconde face) mais également et beaucoup plus de l’esprit Godflesh (première face), dans le cadre d’un assemblage bien plus maladroit et presque prématuré. Quelque chose ne colle vraiment pas – c’est très sensible sur Dethroned qui sonne comme du Godflesh complètement gâché dès que le chant apparait, Annul passe lui nettement mieux, Aureated n’est que de la pure catastrophe alors que I Can Only Desappoint You sonne à peine comme une démo – et on comprend alors pourquoi ce disque finalement banal n’avait jusqu’ici jamais vu le jour. Seuls les fans et les complétistes de Jesu remercieront donc Dieu et Hydra Head records pour cet éclairage nouveau sur la genèse d’une œuvre désormais très touffue et inégale. Les autres auront économisé quelques euros – ce disque coûte en effet extrêmement cher – ou bien auront passé leur temps à télécharger tout autre chose sur le net, ce qui peut aussi aisément se comprendre.

samedi 25 décembre 2010

Jesu / Christmas EP























Nous sommes le 25 décembre, quelques 10 % de la planète s’apprêtent à bouffer en une petite poignée d’heures l’équivalent d’une année de rations de survie des 90 % restants, les petits enfants chinois ont fait beaucoup d’heures supplémentaires non rémunérées pour que chaque petit enfant européen doté de parents encore économiquement viables puisse avoir des jouets par milliers et Justin Broadrick nous refait le coup du single de Noël. Le « disque » sort sous le nom de Jesu et en fait de disque il s’agit d’un single digital, les fêtes de fin d’années c’est aussi le doigt du bonheur pour tous. Les petits malins auront déjà remarqué qu’il est peut être parfaitement inutile de payer 2.50 livres sterling pour obtenir cette musique en format numérique puisque les trois titres de Christmas EP se trouvent déjà dans tous les recoins plus ou moins obscurs de la toile. La musique en format numérique, c’est donc ça l’avenir ? Alors uniquement dans un monde où internet sera complètement verrouillé et surveillé par des cyberbulldogs. Et c’est ça le plus flippant en définitive : non pas que les supports en musique disparaissent – il restera toujours quelques tarés et esthètes pour en faire et d’autres pour se les procurer – mais que ce truc appelé internet, censément dernier espace de liberté* dont peut encore jouir un homme moderne, soit définitivement normalisé, réglementé, fliqué, nettoyé, moralisé et soumis. N’oublions pas que désormais même la notion de logiciel libre commence à être jugée dangereuse pour l’avenir de l’humanité.

Christmas EP
c’est avant tout un titre totalement inédit de Jesu et deux remix : un premier par Pale Sketcher et un second par Final. Donc nous avons Broadrick qui compose sous le nom de Jesu et qui se remixe lui-même sous couvert de deux de ses autres appellations d’origine contrôlée. Christmas est une honnête composition de Jesu, léthargique et embrumée à souhait, vaporeuse mais pas trop longuette malgré ses huit minutes de metal shoegazien. Inutile de préciser que les détracteurs de Jesu vont encore trouver là quelques méchants arguments en leur faveur, que les fans vont au contraire s’extasier et que tous les autres (soit à peu près 99.99 % de la population mondiale) continueront à ignorer l’existence même de Jesu. Les prophètes ont toujours eu la vie dure.
Les remix qui suivent sont également sans aucune surprise. Celui par Pale Sketcher est tout à fait dans la tonalité de l’album sorti chez Ghostly International au mois de septembre dernier sans toutefois atteindre les mêmes sommets de poésie pop et sucrée ou de brumisation electro qui avaient assuré un certain succès au disque. Quant au remix par Final, il faut quand même savoir que s’il s’agit là de l’un des plus vieux projets jamais initié par Broadrick, Final décrit surtout le côté ambient et atmosphérique du monsieur, que les disques de Final sont d’une chianteur à faire passer Aidan Baker pour Seth Putnam et que comme tout le reste chez Final ce remix ne vaut pas tripettes, même pas celles que s’apprêtent à gerber celles et ceux qui auront beaucoup trop bouffé ce jour en l’honneur de l’amour et de la tolérance universels.

* et comme c’est relatif : il y a des pays où tenir un site/blog relève de la cour martiale, il y en a d’autres où cela peut juste entretenir l’illusion alors que dans le monde réel tout se dégrade à grande vitesse – contrairement à ce que pensent les esprits optimistes l’utilisation d’internet dans les régimes oppresseurs ne se rapproche pas de celle des régimes plus « libéraux » mais c’est bien l’inverse qui est en train de se produire (voir en France les lois HADOPI, LOPPSI 2, etc)

vendredi 24 décembre 2010

Cheveu - 1000






















Mesdames et messieurs les Cheveu-sceptiques, il va clairement falloir changer d’attitude et d’opinion au sujet de ce groupe basé à Paris et de sa musique jusqu’ici quelque peu capillotractée. Je suis bien d’accord pour dire avec vous que le premier album du groupe était bourré de trous d’air et de moments d’égarement et qu’il aurait tout juste pu remplir un honnête EP de quatre titres. Autant dire que le cas Cheveu semblait réglé d’avance, emballé c’est pesé, que cela n’allait pas faire un(e mise en) pli, un bon coup de brushing, une coloration sur les racines et on n'en parle plus. Mais Born Bad records n’est pas Josie Salon De Coiffure Pour Dames – le label a pourtant prouvé qu’en sortant les disques de Frustration il aimait la musique pour garçons coiffeurs dépressifs – et a décidé de persister et de faire confiance aux trois petits gars de Cheveu, sûrement parce qu’ils le valaient bien. Ou alors on peut dire qu’ils ont le nez creux chez Born Bad, plus que moi en tous les cas, qui jusqu’ici suis complètement resté insensible et méprisant à l’égard de ce groupe.
Il s’en est donc fallu de peu pour que Cheveu me passe totalement au dessus de la tête et que 1000 – c’est le nom du nouvel album du groupe – n’atterrisse même pas dans le réservoir à mp3 de l’ordinateur familial où il serait resté à moisir avant de sombrer dans l’oubli. C’eût été une profonde erreur. Le fossé qui sépare le premier album de Cheveu de 1000 est aussi large et profond qu’une raie au milieu d’un crâne d’énarque polytechnicien en fin de carrière ministérielle. Des hits, ce nouvel album en comporte largement plus de deux par face (premier bon point) et, entre ces éclats fulgurants de luminosité décadente, les titres, disons intermédiaires, ne font pas plus office de remplissage qu’ils ne font penser à une salle d’attente. Il y a effectivement des titres qui passent difficilement la rampe – Sensual Drug Abuse et sa bouillie hip-hop – et d’autres qui laissent un peu froid mais, à l’image de la pochette du disque qui pour la première fois dans l’histoire discographique de Cheveu est aussi soignée que colorée, 1000 tient enfin les promesses d’un groupe qui jusqu’ici se montrait incomplet et décevant.
Pourtant les recettes de Cheveu n’ont pas réellement changé entretemps, on reconnait immédiatement le groupe – une qualité de plus en plus rare à notre époque de standardisation maximum – alors pourquoi ce revirement ? Tout simplement parce que le groupe a enfin boosté son songwriting (on l’a déjà dit : c’est ce qui explique la surpopulation de tubes sur le disque : Quattro Stagioni, Charlie Sheen, Impossible Is Not French, Ice Ice Baby, Like A Deer In The Headlights, My First Song, Bonne Nuit Chérie) au point de faire passer au second plan le côté souvent énervant du chant. Cheveu a su également maîtriser son son de gamelles lo-fi, a appris à mettre les petits plats dans les grands sans passer pour des hipsters clinquants ou des crevards racoleurs. Et des arrangements assez subtils arrivent même à vous arracher quelques frissons de midinettes (les cordes impériales sur Quattro Stagioni, No Birds ou Bonne Nuit Chérie).
Donc voilà, 1000 c’est la même chose qu’avant mais en beaucoup mieux. Ce n’était pas beaucoup plus difficile que ça. Et je reconnais mes torts : ce qu’il me fallait, c’était une bonne coupe de nouilles, bien dégagée autour des oreilles.

jeudi 23 décembre 2010

Mauvaise Graine = Yussuf Jerusalem + The Feeling Of Love + J.C. Satan + Jack Of Heart



















Born Bad, sémillant label parisien ayant le vent en poupe – c’est suffisamment rare en ces temps de fin du monde rapprochée pour être souligné –, nous fait le coup du 7 pouces compilatoire : quatre groupes de haute volée et quatre inédits au firmament. La pochette est magnifique, contient quelques cartes postales bien trop belles pour être envoyées à qui que ce soit et surtout pas à ta (ton) chéri(e) et est signée Winchluss (auteur de BD plus qu’à conseiller alors qu’au cinéma il a, sous son vrai nom de Vincent Paronnaud, coréalisé Persepolis avec Marjane Satrapi). Mauvaise Graine est donc avant tout un bel objet qui a trop la classe sur les étagères à disques du salon. Mais peut-on se risquer à l’écouter ? Mille fois oui. Car si l’emballage est surkiffant, le contenu est à la hauteur. Born Bad a réuni pour l’occasion quatre groupes (disons) garage qui tiennent en ce moment le haut du pavé de ce côté ci de la planète.
Première face. On commence avec Yussuf Jerusalem dont Born Bad a eu la bonne idée un peu plus tôt dans l’année de rééditer l’album A Heart Full Of Sorrow de 2008. Avec If You Wanna Try Yussuf Jerusalem nous fait le coup de la balade crépusculaire, genre générique de fin d’un film de Russ Meyer sur fond de désert dévasté et de soleil moribond, une fois que toutes les poitrines surdimensionnées et que tous les pneus de Cadillac ont explosé. Guitare aigrelette, voix trainante, songwriting malin, il n’y a rien à en redire. Si The Feeling Of Love peut parfois montrer quelques limites en concert, le groupe est toujours une machine à tubes imparables sur disque et Let Me Follow You Down est tout simplement l’un des meilleurs titres de The Feeling Of Love, moins spacemenien que les derniers enregistrements du groupe mais bien psychédélique quand même, noyé dans une réverb evil et glaciale, porté par une batterie impérieuse, une guitare qui tronçonne les tibias en laissant plein de petits éclats d’os dans la chair et un synthé bourdonnant. Vraiment la grande classe.
Deuxième face. J.C. Satan, J.C. pour Jean Claude soit le meilleur nom de groupe du moment. Avec un line-up nettement plus conséquent que ceux des deux premiers groupes, J.C. Satan fait logiquement encore plus de bruit avec un Song Of Salomon crispant à souhait. Le chant féminin option ligtning bitch alterne avec le chant masculin option cris de hyène et le garage du groupe tire en direction de quelque chose de plus nihiliste encore et de plus noise. Une sorte de no wave psychédélique, il va falloir impérativement jeter une oreille attentive sur les autres enregistrements de J.C. Satan pour en avoir le cœur net (et le crane défoncé). Jack Of Heart termine le programme et a donc la très lourde tâche de passer après J.C. Satan. Le garage finalement plus classique de ce groupe du sud ouest pourrait passer inaperçu avec son chant très Mick Jagger tout juste sorti de son art school et tentant d’imiter les nègres américains pour espérer avoir l’air cool et de passer pour un mauvais garçon (on s’y croirait) or Just Want To Kill You mérite plus que ça : oui ce titre est le plus référencé des quatre mais cette guitare qui explose à la tête finit par vous emporter avec elle, donc oui des fois ça tient aussi vraiment à peu de choses.

mercredi 22 décembre 2010

Les Louise Mitchels / Es Hat Uns Spass Gemacht























Quand j’écoute les Louise Mitchels et leur nouvel album Es Hat Uns Spass Gemacht je ne peux pas m’empêcher de penser, instinctivement, sans trop y réfléchir, que ces petits gars sont tout bonnement formidables. Limite si je ne vais pas tomber amoureux direct. Es Hat Uns Spass Gemacht est me semble-t-il le deuxième album de ces garçons, leur tout premier en vinyle, après un CD sans titre en 2008 et quelques splits éparpillés à droite et à gauche. C’était déjà très bien les Louise Mitchels, ça envoyait plus que sèchement sur disque, ça pétaradait foutraquement sur scène et ça militait patiemment sans pour autant dogmatiser comme des ayatollahs alternos. Mais alors là, avec Es Hat Uns Spass Gemacht, on va bien être obligés de leur ériger un piédestal au premier rang du panthéon local des groupes instrumentaux et malades qui se moquent absolument de tout sauf peut être de nos petites gueules enfarinées même si on perçoit très nettement que la seule chose qui intéresse ces garçons c’est de jouer, jouer toujours plus, qu’importe les conditions mais de jouer encore. Merci les gars.
Les membres du groupe tournent mais grosso modo on a toujours affaire au même genre de formation (guitare, basse et batterie), une formation bien resserrée et nerveuse, qui vous aligne des plans et des idées qui hors contexte vous feraient très certainement hurler à la mort. C’est aussi punk as funk que groovy mais ça dégage aussi un petit côté metal archéologique franchement rigolo – le riff d’intro de Rachid A Darty fait carrément penser à du Exodus ou à du Testament. Je ne connais pas non plus beaucoup de groupes capables de citer Blue Rondo A La Turque de Dave Brubeck (sur Cahouettes Breakdown) ou Petit Papa Noël (pour J’ai Vu Tino Rossi A Woodstock en 67) sans avoir l’air parfaitement idiot ou ridicule. De la musique des Louise Mitchels se dégage toujours un sentiment d’humour féroce, pourquoi pas méchant, mais jamais vicieux donc toujours avec une certaine dose de classe de qualité résolument supérieure – même si le groupe fait tous les efforts du monde pour nous persuader du contraire en donnant à ses compositions des titres d’un mauvais goût plus que douteux n’ayant rien à envier aux sentences alternos de punks à chiens inscrits aux philosophes anonymes.
Miraculeusement c’est la concision qui a le dernier mot chez eux – ce n’était pas si évident que ça avec un groupe pratiquant la générosité musicale outrancière – donc toutes les compositions sont ici nerveuses, courtes, expéditives même, rebondissantes, échevelées et en cascade. Sur Math Zouk vs Funky Boris (ou Math Zouk Manifeste, tout dépend de comment on s’y prend pour écouter ce disque) Franky Vincent tient le rôle de guest star mais se prend rapidement un bon coup de pied au cul car les Louise Mitchels ne sont pas des clowns pour autant. Pas des clowns c’est à dire qu’ils ne font pas semblant, s’arrachent la gueule, vous convient à faire de même et si vous refusez ce sera tant pis pour vous. Eux auront essayé et pas vous. Pas de grandes leçons à donner et donc à recevoir mais du vitalement revigorant et du facultatif essentiel. Donc rien que du plaisir pur.
Es Hat Uns Spass Gemacht est disponible via le propre label des Louise Mitchels, Et Mon Cul c'est Du Tofu ? Ecrivez-leur, envoyez-leur des lettres d’amour, pour votre plus grand bonheur ils ne vous répondront qu’avec des phrases se terminant par dans ton cul mais ils finiront quand même par vous envoyer ce foutu disque : un vinyle de onze titres dans une pochette double avec une superbe illustration et à l’intérieur vous trouverez également un CD reprenant l’intégralité de Es Hat Uns Spass Gemacht plus les titres du split avec Famous NTM (2007, le disque est épuisé), ceux du split vinyle avec Sex Drugs & Rebetiko (2009) mais aussi avec une reprise en français dans le texte de Metal On Metal d’Anvil. Immanquable.

mardi 21 décembre 2010

Zëro / Night Of The Living Dead Machine














Il n’y a rien de plus horrible et désespérant que de regarder un concert en DVD chez soi, à la télé ou sur son ordi. On passe son temps à se demander ce qu’on fait là dans ce putain de fauteuil, pourquoi qu’on y était pas, qui c’est ce mec au premier plan qui fait son débile, sa gueule me dit quelque chose, etc. On peut trouver des exceptions... les enregistrements de Birthday Party, Joy Division ou je ne sais qui : on ne pouvait pas y être, on était trop jeune – même moi – ou on n’habitait pas au bon endroit (le DVD 061502 de Botch par exemple, qui arrive à combler quelques lacunes). Mais jamais, jamais on ne peut se départir soit d’un sentiment de frustration soit d’un sentiment d’ennui : il y va des concerts filmés comme des livres adaptés au cinéma car on ne s’imaginait tout simplement pas tout ça comme ça. Et on sait également très bien que les émotions que l’on ressent alors (ou pas) n’ont strictement rien à voir avec celles que l’on aurait pu ressentir si on avait été au bon moment et au bon endroit. Autrement dit, le DVD de concert est aussi et surtout un très dangereux vecteur de nostalgie.
Et que ce passe-t-il lorsqu’on y était, lorsqu’on a vu le groupe en concert ce jour là ? J’ai souvenir d’une prestation effroyablement calamiteuse de Nick Cave & The Bad Seeds à Lyon – le dernier passage des mauvaises graines dans le coin, c’était pour la tournée suivant l’album No More Shall We Part qui est l’un des pires de toute la discographie de l’australien – et bien le DVD qui en a été tiré (God Is In The House), sans rien avoir d’extraordinaire, n’est pas si pire. En fait il laisse totalement indifférent face à la machine sans âme qu’étaient devenus les Bad Seeds et on finit par s’en foutre royalement. C’est un peu triste.













Donc Zëro aussi sort un DVD. Il s’appelle Night Of The Living Dead Machine. Une référence plus que directe au Night Of The Living Dead* de Romero et dont la jaquette reprend également une partie du visuel de l'affiche. Ce DVD retranscrit l’intégralité d’un concert donné le 23 octobre 2009 au Clacson à Oullins et il fut un temps question qu’il sorte sous le forme très officielle d’un pack CD + DVD puis le groupe a semble-t-il préféré le publier par ses propres moyens, comme il le fait avec ses CDr d’inédits. La prise de son est très bien, l’image beaucoup moins c’est vrai, non pas parce qu’elle est en noir et blanc (bien au contraire) mais parce qu’elle granule souvent un maximum. On finit par oublier ce genre de détails, parce que le montage est agréable et parce que Zëro offre alors quelques versions assez exceptionnelles de quelques uns de ses meilleurs titres (il n’y a rien à redire sur tout le début du concert, de The Opening à Cars, Buses, Etc c’est tout simplement magique) puis gratifie son public de nouvelles compositions – pour l’époque : la sortie de l’album Diesel Dead Machine était alors imminente.
Finalement ce concert fixé sur DVD est assez conforme au souvenir qu’il m’en restait. A deux exceptions près : la version donnée de Rock’n’Roll Star me semble maintenant bien meilleure (comme quoi il est vraiment très difficile dans l’instant de faire abstraction de ses fantasmes de fan dès qu’il s’agit de feu Bästard) et la reprise de Anvil Of Crom de ce cher Basil Poledouris – il s’agit du générique de Conan Le Barbare (!) – passe également très bien alors que sur le moment le choc avait été un peu rude. Depuis Zëro a enregistré ce titre en studio, il aurait du être publié sur un split single** partagé avec The Healthy Boy**. Le label qui devait sortir cet objet d’un kitsch assez total et ultime s’est finalement désisté pour des raisons qui ne regardent que lui et Zëro est donc à la recherche un autre mécène pour publier cette pépite qui devrait faire date. Pourvu que cela se fasse un jour.












[là aussi Night Of The Living Dead Machine est disponible auprès de Zëro après les concerts du groupe ou alors par correspondance pour tous ceux et celles qui n’auraient pas la chance de croiser bientôt la route du groupe]

* aussi incroyable que cela puisse paraître, le film est pour de très obscures raisons complètement libre de droit – c’est pourquoi les rééditions DVD du film fleurissent depuis quelques années (cela ne coûte rien aux éditeurs) mais c’est aussi pour cette raison que l’on peut le télécharger gratuitement et légalement sur internet
** tu as cliqué ? tu as aimé ? ah ! tu vois bien !

lundi 20 décembre 2010

Minorpieces By Zëro























Les nouveaux titres joués par Zëro et entendus dans une cave il n’y a pas si longtemps que cela sont plus que prometteurs mais les disques du groupe se font bien trop rares puisque Zëro n’a rien publié depuis un an et son album Diesel Dead Machine. J’imagine que le groupe doit en ressentir une certaine frustration. En attendant du neuf, du vrai, Zëro lâche dans la nature un deuxième CDr d’inédits, live et raretés du nom de Minorpieces By Zëro et reprenant le visuel d’un célèbre album de Duke Ellington – on se rappellera également que pour le premier volume de la série, Recorded Live - Epicerie Moderne - Oct 28 2008, le groupe était allé chercher son artwork du côté de Franck Zappa et de ses Mothers Of Invention. Pour les accrocs et les collectionneurs Minorpieces By Zëro est disponible auprès du groupe à sa table de merchandising après les concerts ou par correspondance ici. Si vous en avez les moyens, vous auriez tort de vous en priver.
Pour les béotiens et les incultes les Zëro ont repris l’idée de la pochette originale d’Ellington en notant dessus tous les titres figurant sur le disque. Mais ils ont fait bien mieux : ils ont également mentionné les auteurs des versions originales qu’ils proposent parce qu’ici – à une exception et demi près – il ne s’agit que de reprises. Et moi je n’avais jamais entendu parler de The Primitive Calculators* mais ce Pumping Ugly Muscle plait instantanément : est-ce l’attaque franche du morceau ? son dynamisme, euh…, post punk ? sa ligne de basse ? On peut y entendre un très lointain ancêtre de Pigeon Jelly, titre phare des concerts de Zëro. Suit The Big Ship, un titre instrumental de l’album Another Green World de Brian Eno. Je ne compte plus les groupes actuels que j’apprécie mais qui se réclament de ce cher Brian, lui vouent un culte déraisonnable ou tout simplement aiment le reprendre. Voilà la preuve tangible que l’on peut être totalement froid envers un musicien et sa musique mais que l’on peut aimer sa descendance**. Reste que ce The Big Ship est magnifique, va comme un gant à Zëro et donnerait presque envie d’aller réécouter l’original.
Autre reprise et pas des moindres : I Am Damo Suzuki de The Fall. Autant dire un monument pour certains et un chef d’œuvre pour tous les autres. Aussi reprendre un tel titre est le piège parfait pour tous les groupes du monde. C’était sans compter sur la capacité de Zëro à maitriser l’art de la reprise (le tableau de chasse du groupe est éloquent : Jocko Homo de Devo, Hello Skinny des Residents mais aussi Helter Skelter des Beatles que Zëro a joué trop peu souvent en concert alors que le groupe s’en sortait vraiment très bien) aussi I Am Damo Suzuki version Zëro reste honorable, certes bien loin de l’original mais on peut penser aussi que le groupe cherchait surtout à se faire plaisir.
Desert
est l’un des meilleurs titres de Deity Guns toutes périodes confondues. Zëro a joué quelque fois en concert cette chanson de l’ancien groupe de Franck Laurino et Eric Aldea – tout comme Zëro joue encore Rock’n’Roll Star de Bästard – et cette version alternative ne fait pas que rappeler de très bons souvenirs, elle se révèle presque aussi indispensable que celle que les Deity avaient enregistrée pour leur album Trans Line Appointment. Une façon de rappeler que même s’il ne s’agit pas des mêmes groupes, Deity Guns, puis Bästard et Zëro sont liés par une même histoire. Reste Sugar Ray, unique titre de ce CD composé par Zëro, un titre enregistré en 2006 avant ceux de l’album Jokebox et qui était resté dans les tiroirs du groupe. On se demande bien pourquoi, il est vrai qu’à l’époque Zëro se cherchait encore un peu – le groupe ne s’est vraiment trouvé que sur Diesel Dead Machine – aussi on comprend qu’il n’ait pas souhaité inclure dans un album cet instrumental aux relents progressifs avec sa ligne de basse typique et tournoyante et ses synthés à bulles métalliques. C’est pourtant une bonne idée de l’avoir rajouté ici, les complétistes et les fanatiques peuvent s’estimer heureux. Moi aussi.

* encore un groupe qui s’est semble-t-il reformé des années après sa mort clinique
** l’inverse est tout aussi vrai : combien de Sundays sans saveur et tête à claques pour un seul Beatles ?

dimanche 19 décembre 2010

Jonathan Kane / Jet Ear Party























Jonathan Kane est le batteur historique des Swans : il a été aux côtés de Mickael Gira le cofondateur du groupe et il a joué sur le premier EP des new-yorkais (1982) et l’album Filth (1983, en doublette infernale avec le nouveau venu Roli Mosimann). Mais Jonathan Kane a aussi fait ses armes auprès de Jac Berrocal, La Monte Young, Gary Lucas et Rhys Chatham – dont il reprendra le Guitar Trio sur son album February (publié en 2005 par Table Of The Elements) et ce avec une totale réussite. February est le premier enregistrement solo du batteur et celui avec lequel il a imposé sans aucune difficulté sa vision unique de la musique au fil de compositions hypnotiques et répétitives piochant directement dans le blues américain, voire la country. En parlant de blues et country il s’agit davantage ici de musique des grands espaces désertiques que de celle des bas-fonds enfumés. Fait notable, February a été enregistré par le seul Jonathan Kane qui pour l’occasion a assuré toutes les parties de guitare, la basse et bien évidemment la batterie (Igor Cubrilovic est juste venu prêter main forte à la guitare sur quelques titres, ce musicien trop méconnu basé à Genève est un collaborateur fidèle et régulier de Jonathan Kane).
Quelques enregistrements plus tard, Kane a eu le temps de peaufiner sa formule et sur Jet Ear Party – un album paru en juin 2009, lui aussi sur Table Of The Elements) fait toujours tout tout seul avec parfois l’aide de quelques amis, encore l’indéfectible Igor Kubrilovic (également crédité à la production et au mixage) mais également Anthony Kane à l’harmonica sur Smear It, David Watson à la cornemuse sur Thank You (Fallettinme Be Nice Elf Agin) – et oui une reprise du hit intersidéral de Sly & The Family Stone – et, fait notoire, Lisa B. Burns et Peg Simone au chant sur Up In Flames.
Jet Ear Party est la parfaite continuité de February et des EP I Looked At The Sun et The Little Drumer Boy et c’est aussi l’enregistrement le plus varié de Jonathan Kane, celui sur lequel il enfonce le clou d’un blues minimaliste et cru emmené par ses rythmes puissants (Smear It, Gripped et Super T-Bone, soit les trois premiers titres du disques) et celui sur lequel il se permet l’adjonction d’arrangements et d’instrumentations qu’il n’avait encore jamais osés jusqu’ici, la palme revenant très certainement à Up In Flames et ses deux chanteuses très propres sur elles. L’effet est au départ surprenant et, si on comprend que Up In Flames n’est qu’une récréation et une parenthèse pas désagréable sur Jet Ear Party (on se croirait au beau milieu de Twin Peaks en compagnie de Julee Cruise), on préfèrera l’entêtement forcené d’un Super T-Bone et les chevauchées de Blissed Out Rag et Jet Ear Party – tous deux excellents. Quant à la reprise de Thank You (Fallettinme Be Nice Elf Agin) il faut bien admettre qu’elle est méconnaissable, Kane lui infligeant son traitement de choc habituel et son jeu de batterie ne retrouvant absolument rien du groove funky de l’original : ce titre aurait été une composition personnelle que cela n’aurait pas changé grand-chose. Le disque s’achève sur une autre reprise, Roller Coaster, célébrissime titre d’Ellas McDaniel aka Bo Diddley, et c’est l’explosion – presque rock’n’roll – sur une longue suite de près de neuf minutes alternant motifs aigrelets de guitares gorgées de feedback, un peu comme si Link Wray s’était invité à la fête. Et ça fait vraiment du bien.

vendredi 17 décembre 2010

Ox Scapula - Conger! Conger! / split




















Les anglais de Ox Scapula sont déjà de retour après un premier album, Hands Out, plutôt remarqué. Cette fois ci nous avons droit à deux titres seulement sur la première face d’un 10 pouce partagé avec les marseillais de Conger! Conger! dont le premier enregistrement chez XcRoCs records avait également constitué une bien bonne surprise. C’est Katatak, label d’activistes marseillais (à qui on doit entre autres l’excellent album sans titre de Ntwin), qui est responsable de la parution de ce split. L’objet est sobre mais élégant : l’artwork toujours aussi lunaire a une nouvelle fois été confié à Pierre Guilhem tandis que la sérigraphie a été assurée dans les ateliers du Dernier Cri, on ne change pas une équipe qui gagne.
Mais revenons au principal c'est-à-dire à la musique. Celle de Ox Scapula ne semble pas avoir bougé d’un iota par rapport aux huit titres de Hands Out. On reconnait sans peine cette élasticité ombrageuse, cette nervosité latente et cette tension à fleur de peau qui caractérisent la musique des anglais. C’est un peu comme naviguer sur une mer d’huile, tout semble calme, tout à l’air plat mais si on plongeait la main dans l’eau on s’apercevrait qu’en fait elle est non seulement bouillante mais qu’en plus elle vous a rongé les doigts jusqu’à l’os. Complètement dégraissés, radicalement asséchés, Green et Tame se révèlent même finalement meilleurs que tous les titres de Hands Out réunis. On vous conseille donc de commencer par là pour faire connaissance avec ce groupe anglais tout simplement épatant.
On retourne le disque pour écouter avec une curiosité non feinte les deux nouveaux titres de Conger! Conger!. Le congre est un poisson fort peu sympathique et particulièrement vorace à tel point que l’auditeur – même averti – ne sait jamais à quelle sauce il va être mangé. Statue est un titre d’indie pop bon teint, euh non, attendez… Statue est encore un de ces titres en forme de boite à surprise tels que Conger! Conger! en est coutumier : de la pop certes mais noisy et nerveuse, avec un chant pour le moins dynamique, c’est très bien envoyé. On a à peine le temps de s’y installer que Statue change soudainement de point de vue avec l’apparition d’un chant de castra au bord de la crise de nerfs. C’est particulièrement osé, tellement osé et hors catégorie et que cela en devient captivant. L’explosion de la fin se conclue par des sifflements d’écoliers en pleine chasse au trésor dans les bois et on voudrait tout de suite réécouter Statue. Mais on ne peut pas. Pierre débarque aussitôt et Pierre – avec son chant hurlé, en fait ils chantent tous dans Conger! Conger! – est une courte salve de moins de deux minutes qui vous catapulte aux avant-postes, là où ça bataille ferme. C’est tout aussi méritant que Statue mais on peut aussi préférer l’exubérance et le décalage de ce dernier. Conger! Conger! est un groupe qui prouve une nouvelle fois qu’il ne fait rien comme les autres. Pourvu qu’ils continuent comme ça et vivement l’album.

jeudi 16 décembre 2010

Borbetomagus au Sonic : everything louder than anything else























Certains prétendent déjà qu’ils ont assisté ce mercredi 15 décembre au meilleur concert de l’année. Je ne suis pas très loin de le penser aussi. J’avais beau savoir à quoi m’en tenir – puisque j’avais déjà vu Borbetomagus en concert au Pezner il y a une bonne douzaine d’années de cela – rien non plus ne laissait présager un tel regain de plaisir face au déferlement bruitiste du trio new-yorkais. Deux saxophones suramplifiés, une guitare ultra saturée et trois papys. Un vrai mur du son. Le chaos. La claque. Mémorable.
Après, je comprends aisément la colère des gens du Sonic. Ce concert leur tenait particulièrement à cœur et la salle n’aura enregistré que 24 entrées payantes, soit une misère. On pouvait se douter que Borbetomagus n’allait pas faire salle comble comme pour le samedi précédent avec la venue de The Redneck Manifesto et de Crëvecœur mais de là à se prendre une telle tôle, il y a des questions à se poser quant à l’intérêt réel porté à ce genre de musique. Il y a également un vrai problème de promotion à soulever : afficher est devenu très difficile depuis que la mairie de Lyon a décidé que les affiches de concert n’étaient que de la pollution visuelle (alors que les affiches politiques qui fleurissent à chaque élection n’en sont apparemment pas), tracter aux concerts des autres relève du sacerdoce (mais j’en connais qui y arrivent…) et la promo par internet (newsletters, forums, évènements Facebook et j’en passe) ne fait qu’accentuer le sentiment d’avalanche d’informations et donc n’aboutit qu’à un désintérêt poli de la part des personnes ciblées.
S’il y a encore des concerts qui font le plein, il y en a tellement d’autres qui se plantent intégralement alors qu’ils mériteraient bien davantage. Si quelqu’un à quelques solutions à apporter pour pouvoir résoudre ce système d’équations à multiples inconnues qu’il me fasse signe.






















C’est donc devant une trentaine de personnes que Thomas Ankersmit débute la soirée. Issu de la musique improvisée, ce musicien hollandais installé à Berlin opère également dans les domaines des installations sonores et de la musique électronique expérimentale. Il a notamment à son actif un enregistrement en concert sur Ash International (une sous division de Touch records, le disque s’appelle Live in Utrecht).
Même si depuis les travaux de Christian Fennesz – entre autres – la musique électronique dite expérimentale a pris un virage très nettement lumineux pour ne pas dire lisible et s’est considérablement diffusée chez les jeunes gens chics et de bon goût mais refusant l’obscurantisme de la musique trop savante, on reste forcément touché par celle de Thomas Ankersmit. Le musicien utilise un dispositif composé essentiellement d’un laptop et d’une curieuse mallette contenant tout un matériel analogique : tu vois un peu le MS 200 utilisé par Marvina ? Bon et bien c’était presque la même chose mais en version pour homme c’est à dire sans clavier, avec encore plus de boutons, de trous pour enfoncer des jacks, tellement de boutons et de jacks d’ailleurs qu’à une ou deux reprises Thomas Ankersmit semblera se faire un peu avoir par ses réglages en direct.
Mais rien de grave : sa musique faisait plus qu’inciter à fermer les yeux et à se laisser bercer par le jeu des fréquences et des volumes sonores. Mais là où le concert a pris une toute autre dimension c’est lorsque Thomas Ankersmit a empoigné son saxophone et s’est lancé dans un long drone. Comprenez par là qu’en appliquant les techniques du souffle continu il a tenu la note, modulant avec délicatesse, déformant le son en s’appliquant contre les murs du Sonic, en pivotant imperceptiblement – une maîtrise assez exemplaire du son et surtout un moment foudroyant de poésie musicale.





















Place donc au trois Borbetomagus, 180 balais à eux trois, la même tête avec le même degré de fatigue que ton père mais une folie musicale intacte. Pour les absents et ceux qui ne connaissent pas, je vais vous la faire courte et de façon extrêmement stéréotypée. Au milieu Donald Miller à la guitare avec un jeu qui ferait passer ceux de Lee Ranaldo et de Thurston Moore – même à l’époque de Confusion Is Sex – pour du gratouillage de hippies opiacés autour d’un feu de camp nudiste sur une plage californienne du sud en 1967. De chaque côté Jim Sauter et Don Dietrich, les deux saxophonistes, qui jouent avec un son ultra saturé et granuleux, la plupart du temps avec un deuxième micro carrément enfoncé dans leur sax, plus quelques pédales et un volume sonore indécent mais pas insurmontable.
Le genre de volume sonore qui derrière les murs de saturation et de distorsion te laisse entendre un foisonnement d’harmoniques et de granulations changeantes qui te happent les sens pour ne plus les lâcher. La musique de Borbetomagus s’écoute avec tout le corps mais est aussi d’une fantaisie irresponsable et donc jouissive. Voir et entendre jouer ces trois là comme des malades mentaux pourtant sains de corps et d’esprits relève de sensations complètement folles et pourtant tellement salutaires.
Ce concert pour gens riches – je plaisante bien sûr – valait largement les 10 euros du prix d’entrée. Mais il y a fort à parier que les Borbetomagus ne joueront plus jamais à Lyon dans un endroit indépendant comme le Sonic (ou avant le Pezner). S’ils repassent un jour ce ne pourra être que dans le cadre d’une quelconque biennale d’art contemporain ou pour un festival frigidaire et bourré de subventions. Ne peut il donc pas y avoir un juste milieu entre l’underground pur et dur où un concert ne peut être réussi que lorsque les groupes ne sont pas payés et tout juste défrayés et les cultureux élitistes pour qui l’art (hum) n’a de qualité que celle que lui confère sa cherté et qui se gavent du système ? Merde.

[les photos du concert de l'année sont donc ici]

mercredi 15 décembre 2010

Oval / O























Markus Popp a la niaque. Après un mini album (Oh, un vinyle paru au printemps dernier) plutôt en demie teinte, le revoilà déjà sous l’appellation contrôlée d’Oval avec un double album gavé à ras bord. Celui-ci s’intitule O et est sorti en septembre sur Thrill Jockey. Deux CDs – deux vinyles pour les esthètes ou soixante dix* fichiers mp3 pour les losers et les pauvres – qui reprennent les choses exactement là où Oval les avaient laissées avec Oh… Alors, va-t-on à nouveau être déçu ?
Tout dépend de comment on écoute le disque. Faisons rapidement un sort à sa deuxième partie. Autant l’écouter en premier puisque on ne la réécoutera plus jamais après. Ce deuxième CD correspond peu ou prou à la deuxième face de Oh, c'est-à-dire que l’on peut y entendre cinquante titres parfois ultra courts, ne comportant souvent qu’une seule idée et façonnés à base d’une seule matière, celle de cordes de guitare frôlées, pincées, tapées, etc. On a donc droit à cinquante échantillons de la matière première utilisée par Marcus Popp pour l’élaboration de la première partie de O – on va vite y revenir. Certaines de ces vignettes sont amusantes mais le tout est terriblement anecdotique, lassant, rébarbatif et donc forcément dispensable. En outre, quelque chose me dit que Markus Popp s’est inspiré de ceci** – ou bien à chercher à l’imiter – pour obtenir ses sons de guitare (qu’il a ensuite quelque peu retravaillés), ce qui colle parfaitement avec l’optique « accident sonore » qui a marqué l’ensemble de ses travaux jusqu’ici. Que ces cinquante plages ne soient qu’une annexe à O ne fait en outre guère de doute puisque elles ne figurent avec la version double LP que sur la partie téléchargeable du disque, grâce au coupon fourni par le label. Autant dire ce que cela relève du gadget.
O
c’est donc uniquement le premier disque. Ou le double LP. Et jusqu’à la fin des temps je n’écouterai que celui-ci. Là aussi Markus Popp reprend l’esthétique et les façons de faire déjà mises en place sur Oh (mais uniquement de sa première face cette fois-ci). Aux bidouilles de guitares (majoritaires mais non exclusives) s’ajoute un réel travail sonore consistant en pas chassés, sauts de puce dans le vide, accrochages numériques et autres hoquets digitaux, soit tout ce qui a fait la marque de fabrique d’Oval. Et malgré diverses réapparitions de rythmes de batterie – parfois c’est vrai que l’on aurait aussi aimé qu’il y en ait un peu moins – on retrouve sur ce O bien plus d’éléments essentiels de la musique d’Oval qu’il n’y en avait sur Oh. On retrouve surtout cette improbable poésie du glitch. Les titres sont une nouvelle fois très courts, presque des mélopées de boites à musique imaginaires ne pouvant donc admettre qu’infiniment peu de variations. Derrière les motifs répétés et les accrochages sonores on repère toutefois tous ces petits détails (certains étant donc accidentels) qui éclosent, fourmillent et disparaissent. La musique d’Oval tient toujours de la trance intime, presque du non-dit. Markus Popp est à nouveau le prince d’un royaume qui appartient à personne.

* soixante seize fichiers si on récupère sur internet la version double LP, celle-ci comprenant six titres ne figurant pas sur le CD
** une indication qui m’a été révélée par un lecteur voulant au départ me montrer d’où la photo de la pochette Oh était tirée, merci à lui

mardi 14 décembre 2010

The Feeling Of Loss























Il parait que les contraintes c’est exactement comme avec les problèmes : moins on en a et plus on s’en crée soi-même. Pendant toute la journée j’ai vaguement et stupidement cherché toutes les décales possibles pour ne pas aller à ce concert qui pourtant me faisait très envie : n°1 c’est lundi, n°2 il fait froid, n°3 je suis fatigué de ne rien faire, n°4 je ne possède toujours pas de voiture, n°5 j’ai déjà vu The Feeling Of Love en concert, n°6 j’aimerais bien aussi regarder ce film particulièrement débile que l’on m’a conseillé et dont j’ai déjà oublié le nom.
Je me retrouve donc aux alentours de 20h45 devant le Grrrnd Zero, du côté de Lyon Gerland. Il n’y a pas encore grand monde et si je suis finalement là c’est aussi pour voir deux ou trois personnes avec qui j’ai rendez-vous. Je fais mon mec important mais non. J’espère secrètement que le concert ne finira pas trop tard, après tout il n’y a que trois groupes au programme.






















Le premier d’entre eux s’appelle Draïek et est un duo : un garçon qui joue de la guitare, qui chante, qui gère une boite à rythmes récalcitrante et une fille qui joue de la basse, qui chante, raconte des blagues et qui surtout joue des ondes Martenot. L’album de Draïek est écoutable/téléchargeable et même achetable ici. Un truc assez bizarre, variant du duo psyché lo-fi à la bande son d’un film sci-fi de série Z puissance 10. Le groupe est accompagné par de drôles de projections derrière lui sur le mur, projections qui émanent d’un appareil très intrigant sur lequel est posé un gros bloc concave où sont mélangées toutes sortes de couleurs.
L’effet est vraiment chouette et va bien avec la musique de Draïek et les ondes Martenot. Mais, malheureusement pour le groupe, il semble avoir quelques petits soucis de son (?) ou alors c’est que je dors déjà à moitié : cela me parait cafouilleux plus d’une fois, on n’entend pas toujours tout distinctement et c’est bien dommage car la voix féminine a un chouette timbre. A revoir donc dans de meilleures conditions.















Le groupe d’après s’appelle Primordial Undermine et c’est ce que l’on appelle un plan dépanne : le groupe avait semble t-il un day off à combler. Sur le papier la musique de Primordial Undermine est séduisante et à l’écoute des titres mis en ligne sur le monospace du groupe on peut également être conquis. Le line-up est du genre changeant et ce soir la formation qui joue est composée d’un bassiste à lunettes rondes, d’un batteur et d’un guitariste/chanteur. Dès que ces trois là commencent à jouer il devient clair qu’ils savent se servir de leurs instruments mais il est également évident que leur musique ne correspond pas beaucoup à ce que l’on avait pu en écouter ni au descriptif croisé sur internet : « on a affaire à un collectif à géométrie variable, qui existerait selon les sources les plus fiables depuis 1989, fondé par un certain Eric Arn, ils sont aujourd'hui basés en Autriche, ont l'air très gentils, ont sorti pas mal de disques, et pratiquent une sorte de mix d'impro, drone, psyché, noise hallucinogène bien vrillé » et « quelque part entre Grateful Dead, 13th Floor Elevator, Bardo Pond, Stockausen, Pink Floyd, Sir Richard Bishop, etc… ».
Merde, le truc que j’entends en ce moment même à Grrrrnd Zero a plus à voir avec du blues rock ou même du pub rock qu’autre chose et s’en est à se demander s’il s’agit bien du même groupe. C’est totalement incompréhensible et surtout c’est blasant au possible. Voilà, on te promet de la musique de drogués et tu te retrouves avec un clone d’Eric Clapton sevré de toutes sortes d’abus quoique légèrement shooté à la disto pas chère. Je fuis parce que j’en ai marre de penser que le bassiste a les mêmes lunettes qu’Harry Potter au lieu de pouvoir me concentrer ou m’amuser sur cette musique, je fuis mais non sans constater qu’une petite partie du public apprécie. Pourquoi pas.















Reste The Feeling Of Love, le groupe pour lequel je suis finalement venu. L’album OK Judge Revival fait partie des musts de l’année 2009 et ne contient que des hits incontournables, hits dont j’espère que le groupe va les jouer ce soir. Mais il y a donc des jours avec et des jours sans. Pour moi ce sera incroyablement sans : rien à redire sur la prestation de The Feeling Of Love, les trois musiciens sont des grands seigneurs et une fois de plus j’admire ce batteur hyper droit et concentré (et éventuellement avec un regard de tueur). Rien à redire donc sur la mise en place du groupe, son implication, son interprétation sauf qu’inexplicablement la sauce ne prend définitivement pas avec moi alors que je suis dangereusement cerné par les fanatiques de The Feeling Of Love qui eux s’échauffent, hurlent et s’agitent dans le bonheur.
OK, je me sens bien seul, de plus en plus décalé et m’éloigne pour assister de loin au concert et contempler le public qui est toujours plus à fond. Ça ne sert à rien de s’excuser et ce n’est que vers la fin du concert et surtout au moment des rappels que The Feeling Of Love commencera enfin à réveiller en moi quelques frissons plus que bienvenus. Devant ça continue de s’agiter, les autres persistant à garder une bonne longueur d’avance en slammant un peu, braillant de plus belle. Moi je commence seulement maintenant à reconnaitre le groupe que j’aime.
C’est fini. Le batteur et le synthé disparaissent. Comme on en redemande dans la salle, le guitariste/chanteur remonte sur scène, bientôt rejoint par le batteur et ils attendent en improvisant que le troisième larron revienne également, rebranche son synthé et c’est parti pour un dernier titre qui sera violent, sale et brulant à souhaits – une dernière poussée de folie qui finalement sauvera mon concert. Mais je ne peux pas m’empêcher de me sentir frustré par tous ces regards, ces regards croisés après et avec des étoiles accrochées dedans, alors que moi je n’ai pas du tout su ou pu suspendre les mêmes dans le mien. Fuck. Mais à bientôt.

[les photos du concert sont ici]