Le calendrier est ainsi fait qu’en ce jeudi soir l’amateur de musique a le choix entre deux concerts : certains déciderons d’aller au Grrrrnd Zero pour assister à celui de Knut, Geneva, Heirs et Carne ; les autres iront faire un tour au Sonic pour (re)voir Souvaris et découvrir Direction Survet. Je décide de faire partie de la deuxième catégorie mais c’est un peu la mort dans l’âme quand même…
Wonder, le dernier album en date de Knut est une pure merveille – non je ne le fais pas exprès – et je rêvais de revoir Geneva, la dernière fois c’était il y a à peu près un an et depuis le trio a enfin sorti
Sail On Suds, un album magnifique. Mais d’un autre côté je n’avais encore jamais vu Souvaris sur scène. Et depuis le temps que l’on me parlait de Direction Survet – je résume :
le meilleur groupe de Lyon, sans mentir – le choix a finalement été vite fait.
Une vie heureuse est parait il une vie où l’individu assume totalement ses choix, me disait encore et pas plus tard qu’hier un philosophe (celui accoudé au comptoir mais aussi un voisin dans la file d’attente au guichet accueil de Pole Emploi). OK, j’assume. Et puis tout ce bordel va bientôt recommencer : le 11 novembre le mélomane existentialiste et pas encore tout à fait fauché pourra être tenté à la fois par Movie Star Junkies ou Basement. Faites vos jeux.
Mais pour l’heure et contre toute attente le Sonic se remplit à grande vitesse et frôlera même la centaine d’entrées payantes. Contre toute attente aussi les groupes se sont pointés à la salle aux alentours de 19 heures et tous ont bien sûr amené quelques tonnes de matériel pour jouer. Donc des montagnes de matériel à installer. Rajoutez à cela quelques musiciens particulièrement tatillons en ce qui concerne leurs balances et le Sonic va ouvrir ses portes très en retard, alors que le premier groupe de la soirée n’en a pas fini avec tout son fatras et donc n’a pas encore pu balancer non plus.
Ce groupe c’est Transitions To Inelasticity. Soit deux garçons dont un batteur (et un tout petit peu organiste) et un guitariste qui joue également avec un pédalier basse. Ils collectionnent donc un bordel incroyable qui me parait disproportionné, un bordel tout beau, tout neuf, et mettent un temps infini à s’en sortir – je reconnais aussi que s’installer dans de telles conditions, alors que le public débarque en nombre (ils ont visiblement pas mal de potes dans la salle), ne doit pas être évident sauf si on est un punk je-m’en-foutiste inconscient et/ou complètement bourré. Mais ils ne sont ni l’un ni l’autre, loin de là. Devant le retard accumulé il est également décidé que les deux Transitions To Inelasticity ne feront même pas de line check et que l’on tentera de régler leur son pendant qu’ils joueront leur premier titre. Le groupe passera son set à se plaindre gentiment des conditions, à s’excuser auprès du public, du fait qu’il ne s’entendait pas jouer.
Et après ? Après Transitions To Inelasticity pratique une sorte de prog rock martelé – mais absolument pas kraut – qui n’est pas de mon goût. Mais alors pas du tout. Je pourrais reprocher que les titres se ressemblaient tous, que les rythmes du batteur étaient systématiquement les mêmes (sauf, il me semble, pour l’avant-dernier titre), que les plans de guitares m’emmerdaient, que vouloir faire passer des compositions sans relief uniquement à la force des poignets et à l’énergie me semblait alors stérile et vain… OK, c’est exactement ce que je viens de faire, désolé, je n’ai pas pu m’en empêcher, mais jamais je ne pourrai comprendre ce revival actuel du rock progressif chiasseux et fatalement insupportable. Les deux Transitions To Inelasticity savent jouer mais là n’est pas la question : je préfère les gens qui ne savent pas toujours ce qu’ils jouent mais le font bien au gens qui comptent les temps et enchainent les accords selon des règles qui me paraissent aussi obscures qu’absconses. Donc autant aller chercher ailleurs un autre avis sur Transitions To Inelasticity, à aucun moment je ne me suis senti concerné par cette musique d’extra-terrestres en carton-pâte.
Transitions To Inelasticity remballe et Direction Survet s’installe. Ils ont au moins autant de matériel à caler que leurs prédécesseurs mais l’ambiance n’est pas la même : synthétiseurs brinquebalants, pédales de guitare collées au chewing-gum, batterie rafistolée. C’est le royaume du bricolage et de la décontraction. Seule grosse ombre au tableau : une guitare à double manche trône au beau milieu et on m’explique que le manche du haut est une mandoline, effectivement il comporte huit cordes jumelées deux par deux. Il n’empêche, mon sang ne fait qu’un tour, mon poil se hérisse devant autant de kitsch instrumental me rappelant forcément les années de torture ignoble subies pendant ma petite enfance alors que mes grands frères et grandes sœurs tripaient comme des malades à l’écoute de groupes tous plus insupportables et prétentieux les uns que les autres à mes pauvres petites oreilles encore innocentes. Mais je me suis bien vengé, après.
Des fois cela tient à peu de choses et avec Direction Survet tout semble se donner rendez-vous pour obtenir un concert à la fois fantaisiste et barré. Ah oui, je suis sur le point de me contredire mais pas tant que ça : le prog façon Direction Survet regarde lui bien plus loin que le commun des mortels et si les effets caribéens/dance du ventre me donnent plus que de bonnes raisons de baliser, le groupe s’en sort par moult pirouettes et trouvailles. Certains solos sont certes de trop. Certaines mélodies sont également vraiment limites mais dans l’ensemble je me sens tout doucement pris par défaut par une musique à laquelle je ne goûte d’ordinaire que fort peu. Les quatre garçons – tous barbus mais plutôt beaux gosses dans l’ensemble – de Direction Survet jouent également très bien mais n’en font jamais de trop, y compris l’astiqueur du double manche. Le plaisir de jouer est évident et communicatif : les fans sont venus en masse et s’émerveillent d’un titre chanté – c’est la première fois parait-il que cela arrive dans l’histoire du groupe – et ce sera d’ailleurs mon titre préféré de toute la première partie du set.
Puis la lassitude, à nouveau, s’installe. Je m’éloigne un peu de devant – le groupe joue au sol devant la scène – pour laisser la place à d’autres et je finis même par sortir un petit moment dehors pour répondre à l’appel irrésistible d’une clope accompagnée d’une bière. On ne se refait pas. Pendant ce temps là le groupe continue de jouer sans relâchement, jusqu’à en devenir épuisant. Et il jouera beaucoup, beaucoup trop longtemps. Ce n’était donc pas la révélation ni la claque annoncées mais une démonstration plus que correcte que l’imagination sera toujours supérieure à la maîtrise de la théorie. Pour finir je vous laisse écouter les titres mis en ligne sur le
monospace du groupe : personnellement je les trouve très en deçà du concert qu’a donné Direction Survet au Sonic ce soir là. Et si j’avais jeté avant une oreille dessus je ne serais sans doute pas allé à ce concert (réflexe idiot, j'en conviens).
Dernier groupe qui joue ce soir :
Souvaris. Et il ne lui reste pas beaucoup de temps pour s’exprimer. Les fans/vieux potes de Transitions To Inelasticity ont quitté le navire, ceux de Direction Survet aussi, sans aucun fair-play (cette chose incontestablement britannique très mal maîtrisée par ici). Du coup c’est la moitié du public de départ qui va assister au concert de Souvaris. Dommage.
J’ai mis du temps à l’aimer ce groupe et j’ai aussi mis du temps à apprécier les deux titres des anglais figurant sur
Clown Jazz, formidable split LP partagé avec les regrettés Sincabeza. J’aurais désormais presque de l’impatience à les découvrir sur une scène. Le line-up est le suivant : deux guitaristes bardés de pédales d’effet qui se font face, une section rythmique et un clavier, bien planqué contre un mur sur la gauche de la scène. Ce qui m’a fait rire c’est que j’avais toujours cru que Simmo, gaillard moustachu mais néanmoins sympathique et au passage boss du label
Gringo records, était guitariste dans Souvaris. Et bien non : c’est lui qui joue du synthétiseur…
Dire qu’avec Souvaris on a affaire au dessus du panier en matière de rock instrumental/post rock est un doux euphémisme. Le début du concert me ravit complètement mais je deviens carrément aux anges lorsque Souvaris joue
Great Scott, l’un des deux titres du split. Même si les recettes du groupe n’ont rien de fondamentalement originales, Souvaris est une réunion d’orfèvres qui évitent consciencieusement les paroxysmes et autres montées racoleuses pour se concentrer sur un vrai travail au niveau des harmonies, des phrasés, du langage. Autrement dit, contrairement au titre du disque, Souvaris n’est pas un groupe de clowns – quoi que les deux guitaristes ont vraiment l’air d’être deux petits rigolos, très pince-sans-rire – mais d’esthètes. Je reconnais volontiers que si on n’aime pas le rock instrumental*, la musique de Souvaris n’aura que peu d’intérêt. Non je mens : je n’aime pas beaucoup le post rock*, de moins en moins même, pour ne pas dire pas du tout et pourtant Souvaris est un groupe qui mérite plus d’attention et d’égard que ce dont il bénéficie actuellement. Et qui a vraiment su me convaincre.
[toutes les photos du concert sont visibles
ici, enfin presque]
* que l’on parle de « rock instrumental » ou de « post rock » je trouve ces deux termes aussi affreux l’un que l’autre