dimanche 31 octobre 2010

Sonic Youth / Live At Battery Park, NYC, July 4th 2008























La pochette de ce bootleg est suffisamment explicite en elle-même : voici un enregistrement live de Sonic Youth capturé il y a presque deux ans et demi le jour de la fête nationale américaine dans un parc situé sur la pointe de l’ile de Manhattan à New York. Exactement le genre de disque dont on n’attend pas grand-chose. Sauf que, premièrement, ce bootleg n’en est pas un mais constitue bien une publication officielle via Matador records, label sur lequel les quatre new-yorkais allaient alors bientôt signer – nous sommes en 2008 – puisque leur contrat avec Geffen arrivait à son terme. Deuxièmement, et c’est de loin le plus important, un rapide coup d’œil à la set list donne carrément le frisson… She’s Not Alone du premier mini album sans titre ; World Looks Red et Making The Nature Scene extraits de Confusion Is Sex ; The Sprawl, Hey Joni, The Wonder et Hyperstation de l’album Daydream Nation ; 100 % de l’album Dirty ; Bull In The Heather du trop mésestimé Experimental Jet Set, Trash And No Star ; Seul Jams Run Free – de Rather Ripped, alors dernier album en date de Sonic Youth – est la seule concession au présent du groupe.

Live At Battery Park
est un bon enregistrement. Outre des versions vraiment excellentes – quel plaisir d’entendre Lee Ranaldo sur Hey Joni – pendant lesquelles le groupe démontre qu’il peut toujours être en très grande forme, Live At Battery Park propose une qualité sonore adéquat malgré les conditions d’enregistrements (concert en plein air dans un parc, grande scène, etc). La première face du disque est la meilleure des deux. La seconde souffre d’un affaiblissement en fin de parcours : Kim Gordon est assez pénible sur Bull In The Heather – c’est devenu une habitude avec elle mais fort heureusement elle ne chante sur Live At Battery Park que de façon minoritaire –, 100 % n’est pas vraiment le meilleur titre de Sonic Youth non plus (on sent bien que le groupe n’assume pas du tout le côté testostéroné de cette composition) et Making The Nature Scene est affreusement gâché par sa ligne de basse jouée comme un bucheron (on dirait presque qu‘elle est slappée) par la récente recrue Mark Ibold et bien trop mise en avant dans le mix. Dommage. A la place, vu le bon état d’esprit du groupe en ce jour de fête national américaine, on aurait carrément préféré un ou deux extraits de Sister (Schizophrenia ou White Cross mais ne rêvons pas) ou même un titre de Goo, album autrement meilleur que Dirty.

Initialement ce Live At Battery Park faisait partie de l’offre Matador Buy Early Get Now, en guise de bonus accompagnant l’album The Eternal. Au moins il s’agissait d’un cadeau foutrement intéressant de la part de Sonic Youth et de son nouveau label. Quelques petits malins ont profité des sites d’enchères en ligne pour revendre leur exemplaire à un prix indécent mais quelques copies ont fini par se retrouver dans le système de distribution classique (dans les bacs d’un bon vieux disquaire…) par on ne sait quelle opération du Saint Esprit. Curieusement on trouve à l’intérieur de la pochette une reproduction de l’affiche de l’exposition Sensational Fix qui s‘était déroulée durant l’été 2008 à St Nazaire – avant de devenir itinérante – et accompagnée d’un énorme bouquin dont on reparlera peut être un jour. Exactement la posture arty énervante dans laquelle Sonic Youth se vautre avec trop de complaisance et d’ailleurs expliquez moi un petit peu : qu’est ce que de la musique peut bien foutre dans un musée ? OK. Dans ce cas là, ce n’est plus de la musique, c’est du bruit qui pense (nuance !). Mais n’oubliez pas d’aller aux concerts.

samedi 30 octobre 2010

Shipping News / One Less Heartless To Fear























One Less Heartless To Fear marque le très grand retour de Shipping News. Mine de rien on n’avait plus de réelles nouvelles de Jeff Mueller et de Jason Noble depuis Flies The Fields, un album datant tout de même de cinq années. Alors oui, on peut parler d’évènement parce que Shipping News nous livre pas moins qu’un enregistrement d’exception, à ranger directement aux côtés de ceux de Rodan et de June Of 44, autrement dits quelques uns des groupes précédents de ces messieurs* et, on l’aura remarqué, des groupes incontournables de la scène indie US des années 90. Celle qui a vu le jour de manière inexplicable et fortuite dans un bled du Kentucky, Louisville, puis a fait le lien avec Chicago avant d’essaimer de la façon que l’on sait dans le monde entier. Non seulement One Less Heartless To Fear se montre digne et à la hauteur du seul et unique album de Rodan, du Spiderland de Slint ou de The Anatomy Of Sharks de June 44 mais il en est le parfait prolongement ainsi que l’actualisation nécessaire et inévitable d’une musique aussi belle que profonde. Mais pas que.

Pour les irréductibles de Shipping News, ceux qui considèrent – un peu à tord tout de même – que Save Everything (1997) est le seul bon album du groupe tout comme pour ceux qui ont su apprécier Flies The Fields** à sa juste valeur, One Less Heartless To Fear sera à la fois une immense satisfaction mais également un choc. Dès Antebellum, placé en ouverture du disque, Shipping News montre un visage nettement plus énervé et brut que dans le passé. Le son est presque cru (mais d’excellente qualité) et c’est normal puisque One Less Heartless To Fear a été enregistré live à l’occasion de deux ou trois concerts donnés à la maison (Louisville donc) et Tokyo.
Les compositions (sept réels inédits sur neuf) sont davantage hargneuses, presque vindicatives et à plusieurs moments Shipping News vient lécher la plante des pieds de Steve Albini*** et de Shellac. Sur Do You Remember Avenues ? le lien de parenté est plus fort que jamais, on s’y croirait vraiment. Mais Jason Noble et Jeff Mueller aiment aussi brouiller les pistes : ainsi l’excellent This Is Not An Exit – et peut être meilleur titre de One Less Heartless To Fear, ex-æquo avec Bad Eve – tend une passerelle entre les deux « visages » de Shipping News, démarrant sur un registre énervé et s’achevant sur coussins d’air glacé. Axon And Denrites et, plus encore, le très mélancolique Half A House nous ramènent directement en arrière, à une époque finalement pas si lointaine et en tous les cas extrêmement familière. Derrière l’épaississement du son on perçoit toujours ça et là cette élasticité rythmique et ces courants d’airs glacials fugaces qui donnent certes envie de frissonner, mais avant tout de plaisir. Et puis le chant reste assez caractéristique, étrange association de neutralité et d’incarnation, comme essayer de parler/chanter à côté de son propre corps tout en sentant l’urgence d’y retourner.

One Less Heartless To Fear est donc une excellente nouvelle. Ce qui le serait également ce serait un retour gagnant de Shipping News sur scène en Europe, pourquoi par y compris une participation à la Convention Annuelle des Cassettes Africaines**** qui se tiendra à Lyon à la fin du mois d’avril 2011 mais là rien n’est moins sûr : Jason Noble se remet toujours trop difficilement d’un cancer, ce qui au pays de la non-assurance maladie, n’est pas sans poser de graves problèmes. Mais on y croit très fort malgré tout.
[One Less Heartless To Fear est publié conjointement en Europe par Africantape et Ruminance en vinyle et même en CD]

* Rodan : Jeff Mueller et Jason Noble – June Of 44 : Jeff Mueller – quant à Todd Cook il a joué dans The For Carnation mais également dans la reformation de Slint
** un exemple ? trop facile
*** et je suis sûr qu’il aime ça
**** un évènement culturel et artistique de stature internationale qui redonnera enfin à Lyon la place qui aurait toujours du être la sienne, celle de centre du monde – mais on en reparlera (beaucoup) en temps et en heure…

vendredi 29 octobre 2010

Souvaris au Sonic (ou : domination et élégance britanniques)























Le calendrier est ainsi fait qu’en ce jeudi soir l’amateur de musique a le choix entre deux concerts : certains déciderons d’aller au Grrrrnd Zero pour assister à celui de Knut, Geneva, Heirs et Carne ; les autres iront faire un tour au Sonic pour (re)voir Souvaris et découvrir Direction Survet. Je décide de faire partie de la deuxième catégorie mais c’est un peu la mort dans l’âme quand même… Wonder, le dernier album en date de Knut est une pure merveille – non je ne le fais pas exprès – et je rêvais de revoir Geneva, la dernière fois c’était il y a à peu près un an et depuis le trio a enfin sorti Sail On Suds, un album magnifique. Mais d’un autre côté je n’avais encore jamais vu Souvaris sur scène. Et depuis le temps que l’on me parlait de Direction Survet – je résume : le meilleur groupe de Lyon, sans mentir – le choix a finalement été vite fait.
Une vie heureuse est parait il une vie où l’individu assume totalement ses choix, me disait encore et pas plus tard qu’hier un philosophe (celui accoudé au comptoir mais aussi un voisin dans la file d’attente au guichet accueil de Pole Emploi). OK, j’assume. Et puis tout ce bordel va bientôt recommencer : le 11 novembre le mélomane existentialiste et pas encore tout à fait fauché pourra être tenté à la fois par Movie Star Junkies ou Basement. Faites vos jeux.
Mais pour l’heure et contre toute attente le Sonic se remplit à grande vitesse et frôlera même la centaine d’entrées payantes. Contre toute attente aussi les groupes se sont pointés à la salle aux alentours de 19 heures et tous ont bien sûr amené quelques tonnes de matériel pour jouer. Donc des montagnes de matériel à installer. Rajoutez à cela quelques musiciens particulièrement tatillons en ce qui concerne leurs balances et le Sonic va ouvrir ses portes très en retard, alors que le premier groupe de la soirée n’en a pas fini avec tout son fatras et donc n’a pas encore pu balancer non plus.
















Ce groupe c’est Transitions To Inelasticity. Soit deux garçons dont un batteur (et un tout petit peu organiste) et un guitariste qui joue également avec un pédalier basse. Ils collectionnent donc un bordel incroyable qui me parait disproportionné, un bordel tout beau, tout neuf, et mettent un temps infini à s’en sortir – je reconnais aussi que s’installer dans de telles conditions, alors que le public débarque en nombre (ils ont visiblement pas mal de potes dans la salle), ne doit pas être évident sauf si on est un punk je-m’en-foutiste inconscient et/ou complètement bourré. Mais ils ne sont ni l’un ni l’autre, loin de là. Devant le retard accumulé il est également décidé que les deux Transitions To Inelasticity ne feront même pas de line check et que l’on tentera de régler leur son pendant qu’ils joueront leur premier titre. Le groupe passera son set à se plaindre gentiment des conditions, à s’excuser auprès du public, du fait qu’il ne s’entendait pas jouer.
Et après ? Après Transitions To Inelasticity pratique une sorte de prog rock martelé – mais absolument pas kraut – qui n’est pas de mon goût. Mais alors pas du tout. Je pourrais reprocher que les titres se ressemblaient tous, que les rythmes du batteur étaient systématiquement les mêmes (sauf, il me semble, pour l’avant-dernier titre), que les plans de guitares m’emmerdaient, que vouloir faire passer des compositions sans relief uniquement à la force des poignets et à l’énergie me semblait alors stérile et vain… OK, c’est exactement ce que je viens de faire, désolé, je n’ai pas pu m’en empêcher, mais jamais je ne pourrai comprendre ce revival actuel du rock progressif chiasseux et fatalement insupportable. Les deux Transitions To Inelasticity savent jouer mais là n’est pas la question : je préfère les gens qui ne savent pas toujours ce qu’ils jouent mais le font bien au gens qui comptent les temps et enchainent les accords selon des règles qui me paraissent aussi obscures qu’absconses. Donc autant aller chercher ailleurs un autre avis sur Transitions To Inelasticity, à aucun moment je ne me suis senti concerné par cette musique d’extra-terrestres en carton-pâte.
















Transitions To Inelasticity remballe et Direction Survet s’installe. Ils ont au moins autant de matériel à caler que leurs prédécesseurs mais l’ambiance n’est pas la même : synthétiseurs brinquebalants, pédales de guitare collées au chewing-gum, batterie rafistolée. C’est le royaume du bricolage et de la décontraction. Seule grosse ombre au tableau : une guitare à double manche trône au beau milieu et on m’explique que le manche du haut est une mandoline, effectivement il comporte huit cordes jumelées deux par deux. Il n’empêche, mon sang ne fait qu’un tour, mon poil se hérisse devant autant de kitsch instrumental me rappelant forcément les années de torture ignoble subies pendant ma petite enfance alors que mes grands frères et grandes sœurs tripaient comme des malades à l’écoute de groupes tous plus insupportables et prétentieux les uns que les autres à mes pauvres petites oreilles encore innocentes. Mais je me suis bien vengé, après.
Des fois cela tient à peu de choses et avec Direction Survet tout semble se donner rendez-vous pour obtenir un concert à la fois fantaisiste et barré. Ah oui, je suis sur le point de me contredire mais pas tant que ça : le prog façon Direction Survet regarde lui bien plus loin que le commun des mortels et si les effets caribéens/dance du ventre me donnent plus que de bonnes raisons de baliser, le groupe s’en sort par moult pirouettes et trouvailles. Certains solos sont certes de trop. Certaines mélodies sont également vraiment limites mais dans l’ensemble je me sens tout doucement pris par défaut par une musique à laquelle je ne goûte d’ordinaire que fort peu. Les quatre garçons – tous barbus mais plutôt beaux gosses dans l’ensemble – de Direction Survet jouent également très bien mais n’en font jamais de trop, y compris l’astiqueur du double manche. Le plaisir de jouer est évident et communicatif : les fans sont venus en masse et s’émerveillent d’un titre chanté – c’est la première fois parait-il que cela arrive dans l’histoire du groupe – et ce sera d’ailleurs mon titre préféré de toute la première partie du set.
Puis la lassitude, à nouveau, s’installe. Je m’éloigne un peu de devant – le groupe joue au sol devant la scène – pour laisser la place à d’autres et je finis même par sortir un petit moment dehors pour répondre à l’appel irrésistible d’une clope accompagnée d’une bière. On ne se refait pas. Pendant ce temps là le groupe continue de jouer sans relâchement, jusqu’à en devenir épuisant. Et il jouera beaucoup, beaucoup trop longtemps. Ce n’était donc pas la révélation ni la claque annoncées mais une démonstration plus que correcte que l’imagination sera toujours supérieure à la maîtrise de la théorie. Pour finir je vous laisse écouter les titres mis en ligne sur le monospace du groupe : personnellement je les trouve très en deçà du concert qu’a donné Direction Survet au Sonic ce soir là. Et si j’avais jeté avant une oreille dessus je ne serais sans doute pas allé à ce concert (réflexe idiot, j'en conviens).
















Dernier groupe qui joue ce soir : Souvaris. Et il ne lui reste pas beaucoup de temps pour s’exprimer. Les fans/vieux potes de Transitions To Inelasticity ont quitté le navire, ceux de Direction Survet aussi, sans aucun fair-play (cette chose incontestablement britannique très mal maîtrisée par ici). Du coup c’est la moitié du public de départ qui va assister au concert de Souvaris. Dommage.
J’ai mis du temps à l’aimer ce groupe et j’ai aussi mis du temps à apprécier les deux titres des anglais figurant sur Clown Jazz, formidable split LP partagé avec les regrettés Sincabeza. J’aurais désormais presque de l’impatience à les découvrir sur une scène. Le line-up est le suivant : deux guitaristes bardés de pédales d’effet qui se font face, une section rythmique et un clavier, bien planqué contre un mur sur la gauche de la scène. Ce qui m’a fait rire c’est que j’avais toujours cru que Simmo, gaillard moustachu mais néanmoins sympathique et au passage boss du label Gringo records, était guitariste dans Souvaris. Et bien non : c’est lui qui joue du synthétiseur…
Dire qu’avec Souvaris on a affaire au dessus du panier en matière de rock instrumental/post rock est un doux euphémisme. Le début du concert me ravit complètement mais je deviens carrément aux anges lorsque Souvaris joue Great Scott, l’un des deux titres du split. Même si les recettes du groupe n’ont rien de fondamentalement originales, Souvaris est une réunion d’orfèvres qui évitent consciencieusement les paroxysmes et autres montées racoleuses pour se concentrer sur un vrai travail au niveau des harmonies, des phrasés, du langage. Autrement dit, contrairement au titre du disque, Souvaris n’est pas un groupe de clowns – quoi que les deux guitaristes ont vraiment l’air d’être deux petits rigolos, très pince-sans-rire – mais d’esthètes. Je reconnais volontiers que si on n’aime pas le rock instrumental*, la musique de Souvaris n’aura que peu d’intérêt. Non je mens : je n’aime pas beaucoup le post rock*, de moins en moins même, pour ne pas dire pas du tout et pourtant Souvaris est un groupe qui mérite plus d’attention et d’égard que ce dont il bénéficie actuellement. Et qui a vraiment su me convaincre.

[toutes les photos du concert sont visibles ici, enfin presque]

* que l’on parle de « rock instrumental » ou de « post rock » je trouve ces deux termes aussi affreux l’un que l’autre

mercredi 27 octobre 2010

Das Simple / self titled






















J’aurais du me méfier un peu plus de ce groupe et de son premier album autoproduit paru au cours de cette année 2010. Les Das Simple viennent de Marseille, ville qui n’est décidément pas à la traîne question production musicale de qualité et groupes plus qu’intéressants. Quoi ? On s’en fout de la provenance des groupes ? Tu as parfaitement raison camarade. Cette sale habitude de ranger les groupes selon le bled d’où ils viennent est vraiment inepte, lointain et vague héritage d’une époque où les compilations punk/hard core – un exemple entre tous : Not So Quiet On The Western Front conjointement édité à l’époque préhistorique par Maximum Rock’n’Roll et Alternative Tentacles – rajoutaient à côté des noms des participants leur ville ou région d’origine. Une habitude qui a perduré sur les flyers et affiches des concerts DIY, je me rappelle qu’il m’arrivait de choisir les concerts où aller uniquement sur la foi du nom du label des groupes et – faute de mieux – de leur ville, j’avais des fois des sacrées surprises. Il y a des cas où la localisation géographique semble toutefois avoir encore un semblant de pertinence : même de nos jours on sait que l’on prend toujours quelques risques physiologiques en écoutant un groupe originaire de Providence dans le Rhode Island et depuis vingt ans déjà on sait également qu’être un groupe lyonnais est gage de qualité supérieure. Mais, en dehors de ces deux exceptions notables, dans l’ensemble tout cela ne rime strictement à rien.
Tout ça pour dire quoi ? Tout ça pour dire que le fait que Das Simple vienne de Marseille n’évoquera rien à personne. D’ailleurs si le boulot du chroniqueur (mais, fort heureusement, être chroniqueur n’est pas un vrai travail) consistait à mettre des rondelles de plastique ou des mp3 compressés dans des petites cases ou des enveloppes dument étiquetées, le chroniqueur serait bien emmerdé. Et je suis bien emmerdé. Comme l’a inscrit le groupe lui-même sur son monospace, Das Simple joue du voodoom et dans le courrier joint avec le disque l’un de ses membres explique que Das Simple revendique son côté schizophrène. Ça tombe bien, moi aussi. J’en profite au passage pour rajouter et affirmer que pour aimer et écouter de la musique, il faut être sacrément schizophrène, monomaniaque et caractériel. Exactement tout ce que m’évoque aussi les huit titres de cet album sans nom et enregistré du côté de Gardanne par Nicolas Dick, l’homme de Kill The Thrill. Celui-ci a concocté un son sur mesure au groupe, n’imposant en aucune façon sa marque de fabrique. Le mastering – pour une fois qu’on en parle – est l’œuvre de Will Turner-Duffin – je connais pas donc finalement on ne va pas en parler plus que ça – et le résultat question rendu sonore est assez fabuleux : puissant et plein de contours. Exactement ce qui convenait à la musique d’un groupe comme Das Simple. Une musique protéiforme mais toujours fulgurante et un groupe qui, malgré sa schizophrénie revendiquée, donc, ne se laisse pas enfermer aussi facilement.
TSLA donne d’entrée une excellente impression de Das Simple. TSLA est un titre hard core/noise oblique, puissant, lourd et énervé qui vous colle une bonne dose d’adrénaline dans la pataphysique. Et l’impression donnée par TSLA est d’autant plus excellente qu’elle est complètement fausse. Déjà Das Simple termine le titre par des gratouillis limite souffreteux et puis qui y a-t-il de commun entre cette entrée en matière et le dernier titre, un Pleism, lourd, répétitif, nauséabond et bardé d’éclairs bruitistes ? Rien. Absolument rien. Entre les deux on ne comptera pas les explosions noise (Coloured Food Tastes Good), les aboiements indus, les fausses accalmies (Dance N° 5, Tales Of The Galactic Serpent Part 1), les déviances psychotiques (All The Nice Things You Can Buy In Bubaï), les digressions free (Tales Of The Galactic Serpent Part 2), les martèlements martiaux (Tales Of The Galactic Serpent Part 2, encore) ou les tentations death/grind (Tales Of The Galactic Serpent Part 2, toujours). Seuls fils conducteurs entre tous les « visages » de Das Simple, les guitares systématiquement intraitables et cette basse qui s’impose comme le guide spirituel d’une révélation/révolution permanente. Et je ne vous parle même pas du chant qui, quel que soit le registre emprunté, est systématiquement excellent, pénétrant et même, parfois, drôle. Décidemment, je ne trouve pas réellement de défauts à Das Simple – en dehors de la ville d’origine du groupe je veux dire – et ce premier album s’inscrit directement au panthéon des découvertes fondamentales de cette année.

[Das Simple cherche des dates pour effectuer une tournée dévastatrice et triomphale au début de l’année 2011 et peut être contacté à cette adresse]

mardi 26 octobre 2010

Aluk Todolo / Finsternis























Depuis Descension, son précédent album, Aluk Todolo est devenu l’un des groupes les plus intrigants qui soit. On ne saurait tarir d’éloges à l’écoute de ce neo kraut dégraissé de toutes tentations hippies parce que passé à la moulinette du harsh (les éclats bruitistes sont le fait d’une guitare…) et relifté par une esthétique vaguement black metal (comme le laisse deviner le monospace du groupe), black metal qui est d’ailleurs la tribu d’origine des membres d’Aluk Todolo, ils ont joué ou jouent encore dans des groupes BM underground dotés de noms impossibles à retenir et dont je n’ai jamais entendu une seule note. Mais il n’y a plus rien de commun entre la musique d’éventuels adorateurs du Malin ou autres apprentis incendiaires sans imagination et la musique du groupe. Avec des moyens réduits – Aluk Todolo joue en formation guitare/basse/batterie, il n’y a pas de chant – et un langage finalement très simple – lourdeur, saturation, répétitivité, hypnose, destruction – le trio a réellement inventé quelque chose d’unique. Parfois la musique d’Aluk Todolo me fait penser à celle de Laddio Bolocko dans une version plus sombre et extrêmement ralentie et le titre Y Toros sur l’album Strange Warmings Of Laddio Bolocko n’est vraiment pas si éloigné que ça des reptations de Burial Ground ou Desease de l’album Descension d’Aluk Todolo.

Si Descension était un pur chef d’œuvre, Finsternis est une merveille et un affolement. Ce deuxième album publié en 2009 par Utech records (version CD) et Public Guilt (pour le vinyle) va encore plus loin que son prédécesseur que l’on pouvait déjà considérer comme une longue suite où chacun des quatre titres sont liés – l’erreur aurait alors consisté à réduire Aluk Todolo au seul premier titre de Descension, le violentissime Obedience – comme un parcours initiatique dans la noirceur (on entend un sample d’Aleister Crowley sur le dernier titre, Disease). Bref. Finsternis poursuit cette logique de l’implacable instauré par Descension – la liste des titres est sans équivoque : Premier Contact, Deuxième Contact, Totalité, Troisième Contact et Quatrième Contact – et l’écoute incessante et paradoxalement vitale du disque vous enveloppe plus que jamais dans une ganse poisseuse qui vous empoisonne directement dans vos chairs.
Musicalement Finsternis est donc ahurissant. La basse inocule sa lourdeur malfaisante, une lourdeur qui s’installe petit à petit, la guitare poursuit ses incantations bruitistes et le mid tempo cher au groupe tombe encore plus bas de quelques bpm. La batterie est l’élément le plus étonnant mais aussi l’élément moteur de Finsternis, on n’entendra tout du long des cinq titres qu’un seul rythme à deux temps, sans aucune trace de groove, martelé inlassablement jusqu’à la folie, et on ne doit trouver qu’un seul break réellement conséquent sur toute la longueur de l’album (un court passage en blast beat au tout début de Deuxième Contact). Plus minimal, plus répétitif, il n’y a jamais eu et il n’y aura sans doute jamais plus. L’effet de transe est total. L’horreur est absolue mais on ne peut s’en détacher, un peu comme Sutter Cane – un écrivain imaginé par John Carpenter pour son film L’Antre De La Folie et inspiré par H.P. Lovecraft – a tout le mal du monde à détacher son regard du gouffre insondable d’où surgissent les monstres et visions d’horreur qu’il croyait pourtant avoir imaginés uniquement dans ses livres. Saisissant.
Le son de Finsternis est l’unes des autres grandes qualités du disque, un son sale, visqueux et collant mais n’en rajoutant pas trop dans le lo-fi arty. Un son qui convoque les trois instruments sur le même terrain de jeu et dont l’ampleur va grandissante. Ainsi, apparaissant vers la fin de Premier Contact et se poursuivant sur Deuxième Contact, une ligne de basse obsédante éclate de plus en plus alors qu’en fait elle n’évolue pas d'un iota, on se focalise dessus comme on se balancerait à l’unisson d’une incantation. Une incantation c’est exactement l’effet que procure Finsternis et la bête que convoque cette dernière est déjà là et a la dent vraiment dure et les griffes particulièrement acérées : les morsures et plaies infligées par les hurlements de la guitare sont de celles qui ne se referment pas. Troisième Contact relève carrément de la brulure au napalm (avec une guitare très black metal cette fois ci) alors que Quatrième Contact est la lourde porte – cette basse au début ! – qui se referme sur nous avant d’être abandonnés à notre sort. On imagine que si la violence de la musique d’Aluk Todolo s’estompe sur la fin c’est qu’il n’y a plus de vie non plus.

[et une nouvelle presque toute fraîche pour les admirateurs d’Aluk Todolo : le groupe est déjà en train d’enregistrer un nouvel album]

lundi 25 octobre 2010

ANBB / Mimikry























Mimikry. En langue française on pourrait traduire ce terme par quelque chose comme mimétisme, ce réflexe naturel de défense qui permet à un animal quelconque mais appétissant de ressembler à tout autre chose sauf au diner du jour de son ennemi mortel et affamé. La photo de la femme araignée tirée de la série Veruschka Self Portraits du photographe allemand Andreas Hubertus Ilse et de la performer/transformiste Vera Lehndorff* semble aller dans le même sens, celui d’une musique à double fond et pleine de faux semblants. L’idée est intéressante mais ce n’est pas ce que l’on retient principalement de l’écoute du premier album d’ANBB soit, rappelons-le, la réunion d’Alva Noto et de Blixa Bargeld.
Non, ce que l’on retient en premier de Mimikry c’est la parfaite symbiose entre les deux musiciens. On l’avait déjà affirmé à propos de Ret Marut Handshake, premier enregistrement du duo publié quelque semaines auparavant : l’idée de cette collaboration – et ses résultats – est tellement bonne qu’elle semble couler de source, comme une chose naturelle, pressentie voire déjà connue, comme appréciée et aimée depuis longtemps. Le mimétisme est alors celui de l’auditeur qui ne peut que se transformer en boule de nerfs aux synapses digitalisés. La femme araignée, c’est lui, sans aucun doute. Certains objecteront sûrement qu’il faut avant tout être un vieil obsédé d’Einsturzende Neubauten** et un monomaniaque d’Alva Noto*** pour ressentir un tel résultat. Je ne le crois pas. Même sans connaître et/ou apprécier les travaux et groupes antérieurs de Blixa Bargeld et Carsten Nicolai (le vrai nom d’Alva Noto) on est frappé par la cohésion d’un album qui ne ressemble en aucun cas au résultat brinquebalant d’un duo éphémère et de circonstance. En matière de bizarreries electro-expérimentales et de chemins de traverse ANBB est la très bonne surprise de l’année 2010. Merci Raster-Noton.
On passera sur le fait que des cinq titres de Ret Marut Handshake, quatre sont à nouveau présents sur Mimikry : seul l’excellent Electricity Is Fiction restera pour toujours une rareté discographique d’ANBB. On retrouve donc le prenant Ret Marut Handshake, One, I Wish I Was A Mole In The Ground ainsi que Bernsteinzimmer – ces deux derniers titres apparaissant dans des versions rallongées et modifiées, en particulier Bernsteinzimmer et ses violons mélancoliques qui prennent une toute autre dimension.
Fall sert d’introduction particulièrement inquiétante à l’album. La voix, le cri de Blixa Bargeld y sont copieusement samplés, démultipliés alors que son chant/phrasé s’impose sur des faux airs de prêche. Fall est particulièrement déconstruit, confirmant que Mimikry – ou du moins une partie de l’album – est peut être bien le fait d’un processus de composition automatique. Once Again débute par un tir de barrage typique d’Alva Noto, brouillard digital vite rejoint par un traitement sonore et percussif qui n’aurait pas fait tache sur un album d’Einstuzende Neubauten tel qu’Halber Mensch. Mimikry, même lorsque on trouve que la voix de Bargeld est moins intéressante lorsqu’il passe à l’anglais, est une sorte de cut up sonore mélangeant plusieurs prises de la voix du chanteur sur fond de beat minimal accompagné d’une ligne de synthétiseur froide et de bruitages sporadiques. Tout simplement excellent.
Berghain reprend dans un premier temps cette idée de collage de voix avant d’aller dans le même sens, frontal et direct, que Once Again. Les deux optiques se mélangent alors parfaitement. Wust est le titre le moins intéressant de l’album, peut être parce que pour la première fois Blixa Bargled y prend un peu trop de place et que la méthode mise au point avec Alva Noto atteint donc toutes ses limites. Avec Katze c’est presque l’inverse qui se produit. Il est indiqué un featuring de Veruschka (ok : on l’entend miauler à plusieurs reprises****) mais tout le début de Katze est bien dominé par les rythmiques d’Alva Noto – et ses petits bips symptomatiques, comme la trace d’un sonar – Bargeld lui reste dans un registre purement narratif et le titre bascule dans une étrangeté réconfortante avant un troublant what is this ? where am I ? Et nous, nous somme tout simplement aux anges.

* elle a aussi fait une apparition très remarquée dans le Blow Up de Michelangelo Antonioni : c’est elle qui se fait shooter puis traiter comme de la merde par le photographe/David Hemmings au début de l’un des meilleurs films du monde
** ce qu’objectivement je suis depuis longtemps
*** oui, aussi
**** même moi je sais que Katze signifie « chat » dans la langue de Goethe

dimanche 24 octobre 2010

Fine China Superbone / Make-Machine





















Nom du groupe : Fine China Superbone. Titre du disque : Make-Machine. Label : Narrominded. Genre : noise rock à tiroirs et mélodique. Avis général : encore un groupe en provenance directe d’un revival noise 90’s qui n’en finit plus de nous étourdir les oreilles, pensez aux Dazzling Killmen, ajoutez-y une grosse pincée de dextérité mathématique et un effort de composition largement au dessus de la moyenne et vous aurez tout bon – c’est hautement recommandé, comme on dit.

[fin de la chronique]

Je discutais l’autre jour avec un ami qui travaille de temps à autre dans un magasin de disques bien connu de cette bonne vieille ville de Lyon, magasin dans lequel il passe le plus clair de son temps à tenter de trier le bordel incroyable qui règne dans le non-classement des bacs à disques. Autant dire qu’il est vraiment très loin d’en avoir terminé mais qu’un tel foutoir joue aussi pour beaucoup dans le charme du lieu. Le but du jeu est donc d’extraire des caisses de disques empilées ça et là des vinyles attractifs selon les critères du moment et de les mettre en vente dans les bacs disponibles aux visiteurs du magasin et inversement de virer les vieilleries pour les mettre au rancard dans ces mêmes caisses. Et au passage d’écouter des disques que l’on ne connait pas ou que l’on a oubliés. Le bonheur absolu.
Et voilà qu’il me raconte que, alors qu’il s’apprêtait à passer au pilori toutes une série de disques de Yes, Genesis, Emerson, Lake & Palmer ou même Marillion*, le propriétaire des lieux a soudainement arrêté son bras vengeur et annonciateur d’une mise à mort certaine en lui expliquant que « non, faut pas les enlever ceux-là, tu sais les gamins commencent à m’en réclamer de plus en plus ».
Les bras m’en tombent. On a beau savoir qu’en musique comme en beaucoup d’autres choses les critères et goûts respectent une espèce de cycle, que les horreurs du passé se reproduiront forcément à l’avenir, en pire même, parce que trop souvent de façon caricaturale (il n’y a qu’à voir comment les 80’s primitives ont été passées à la moulinette turbokitch par des groupes aussi putassiers qu’indigents), oui on a beau savoir tout ça, jamais on ne peut imaginer un retour en fanfare des dinosaures du rock progressif sans en avoir des sueurs froides et une nausée persistante. Le cauchemar absolu.

Un bon remède pour pallier à cette engeance – le jour où un remède musical contre la politique sécuritaire d’un gouvernement ultra libéral et corrompu sera trouvé, promis on vous fera un signe – donc le bon remède pour pallier à la diarrhée prog c’est justement un disque tel que Make-Machine de Fine China Superbone (OK, j’avoue que le nom du groupe n’est pas terrible, l’artwork non plus d’ailleurs mais c’est pas grave). Un mini album qui sent bon le dépucelage trépidant à base de deux guitares virevoltantes et aiguisées et d’une rythmique rebondissante et qui tape fort. Ça va vite, ça tombe systématiquement dans le mille et ça fait constamment des étincelles sans pour autant ressembler à un vulgaire sapin de Noël. On entend quasiment pas de voix, seulement à la fin du dernier titre un type sorti on ne sait d’où se met à beugler, et c’est la seule critique que l’on pourrait exprimer à propos de ce disque bienfaisant. Un peu de chant, rare mais bien placé, eût été un plus. Les Fine China Superbone expliquent quelque part qu’ils ont eu un chanteur mais que pour l’instant il en a marre de s’exprimer dans le cadre d’une action collective. Le groupe a donc compensé avec quelques samples discrets apportés par un vieux pote (et d’où provient la voix mentionnée plus haut).
Make-Machine est donc un disque quasi obligatoire. Ce qui le rend encore plus obligatoire, c’est qu’il est disponible auprès du label pour la modique somme de 10 euros port compris. Diantre. Et si vraiment on ne peut pas parce que les temps sont trop durs et bien l’intégralité de Make-Machine est téléchargeable ici.

* si le nom de ces groupes honnis entre tous sont barrés c’est par pur soucis déontologique et de bonne moralité

vendredi 22 octobre 2010

A l'ouest rien de nouveau























Alors que la capitale des Gaules est la proie des flammes, que les magasins et entrepôts de la ville ont été mis à sac par une armée de jeunes crevards réputés sans idéologie ni conscience politique, alors que le ministre de l’Intérieur venu en visite officielle pour constater les dégâts a été écorché vif, dépecé, émasculé et suspendu par les pieds aux grilles de l’Hôtel du Département, alors que la police terrorisée est en déroute, que même l’armée est impuissante à enrailler la folie destructrice et contagieuse qui menace le frêle équilibre de notre société inégalitaire, alors que les mêmes scènes se généralisent dans toutes les villes du pays et alors que le président de la République mange ses dernières brioches en compagnie de ses derniers fidèles lieutenants, tous réfugiés au fin fond du bunker du palais de l’Elysée, je descends dans la cave de mon immeuble pour y récupérer mon fidèle vélo, constate que le pneu arrière est légèrement dégonflé, remonte rechercher la pompe, rétablit facilement la pression de la chambre à air à un niveau acceptable et enfourche la dite bicyclette avant de me mettre à pédaler plus vite que le vent, c’est que sa caille vraiment, ce soir.
Lieu de destination : la péniche qui abrite depuis quelques longues années – mais pour combien de temps encore ? – les activités musicales ou autres du Sonic. Ce soir il y a concert, option découverte et curiosité avec Neige Morte, Rorcal et Gnaw. Pour être honnête je n’aurais peut être pas fait le déplacement si Neige Morte n’avait pas joué, reflexe insupportable et condamnable (mais je m’en fous) du type qui se déplace uniquement parce qu’il y a un de ses potes qui joue. Lamentable.
















Mais ce nouveau concert de Neige Morte – j’ai fait l’impasse sur celui donné avec Dysrhythmia au printemps dernier – est quand même l’occasion d’une nouveauté et pas des moindres : un changement de batteur. Déjà ? Oui, déjà. Le groupe avait démarré sur une espèce de blague (je résume : j’aime le black metal, tu aimes le black metal alors faisons donc un groupe de black metal, ça nous changera de nos groupes habituels), blague qui a rapidement pris de l’ampleur avec l’arrivée d’un vrai chanteur puisque le premier mini album de Neige Noire est attendu pour le mois prochain chez Aurora Borealis, rien que ça.
Donc un nouveau batteur. L’ancien est retourné à ses ritournelles emo punk avec 12XU et le nouveau venu n’est pas vraiment un inconnu puisqu’il joue déjà dans Burne, duo math grind dont je suis très loin de penser du bien mais là n’est pas le sujet. Ce nouveau batteur est un grand bienfait pour Neige Morte parce qu’il possède la technique implacable du mec super entrainé et efficace qui s’y connait en vocabulaire hard core et surtout metal. Il sait faire des blasts, maîtrise la double pédale et apporte la puissance nécessaire au groupe. C’est que pour encadrer les vociférations du hurleur en chef et les parties dissonantes et les boucles du guitariste il faut du bonhomme et justement, du bonhomme il y en a. Ce constat n’enlève strictement rien au batteur précédent de Neige Morte mais il est évident que le nouveau convient bien mieux à la musique du groupe.
Sinon rien de réellement nouveau dans le set du trio : de la violence gratuite, de la haine, des hurlements incantatoires, des plages ambient qui foutent les jetons, des passages ultrarapides qui explosent, des bêlements de biquettes sodomisées par le Malin et cette guitare de malade qui survole les débats. Vivement le disque.























Le groupe d’après m’est totalement inconnu. Rorcal vient de Genève et comme l’url de son monospace le laisse entendre, Rorcal joue du doom. Bien. Laissons le bénéfice du doute à ces cinq jeunes gens batailleurs et acharnés mais (oui, il y a déjà un mais) la musique de Rorcal ne se place absolument pas sur le terrain d’une quelconque originalité. Ce n’est pas grave, on persiste.
Le deuxième mais est que la musique de Rorcal est parsemée de passages longuets voire inutiles comme le pseudo solo de batterie ou les interludes ambient qui cassent le rythme (mais permettent aux guitaristes de se réaccorder). Tout le monde joue au taquet, le hurleur sait s’époumoner mais entre le déjà entendu et le côté fleuve du concert – Rorcal est le groupe qui jouera le plus longtemps ce soir, et de loin – je finis par décrocher. C’est trop long pour moi. Beaucoup trop. Et dire que Rorcal vient de publier son cinquième enregistrement (en un peu plus de quatre années de vie), un disque ne comprenant si j’ai bien compris qu’une seule et unique composition de plus de soixante-dix minutes, ouch. Mais je demande quand même à écouter.
En attendant que la messe se termine je finis donc dehors à boire des bières et fumer des cigarettes. Un jeune homme bien intentionné me distribue un tract intitulé Conseils en manif – En cas d’arrestation ou de violences policières que j’ai attentivement relu ce matin tout en espérant que les choses puissent réellement changer ici comme ailleurs. C’est mon côté idéaliste.
















Et Gnaw, ça vous dit rien ? Voilà un groupe avec des bouts de Khanate et de Burning Witch dedans et qui a sorti un album très très moyen, This Face, il y a presque un an et demi sur Conspiracy records. Gnaw débarque enfin en Europe pour nous casser les oreilles avec un line-up différent, incluant cette fois un guitariste et un bassiste, un line-up qui devrait rapidement permettre à Gnaw de publier un deuxième disque.
Après, je suis très embarrassé. Le concert de ce soir m’a fait exactement le même effet que l’album, entre incompréhension de ce qui se passait, de là où le groupe voulait réellement en venir et quelques bons passages et bonnes montées en puissance. Le son du guitariste ne me plait pas du tout, le manipulateur/bidouilleur installé devant la scène m’intrigue déjà plus tandis que le bassiste à l’air complètement décalé – je n’aime pas beaucoup le son de son instrument à lui non plus. Comme on pouvait s’y attendre Alan Dubin en fait malheureusement des tonnes alors qu’il affiche un charisme proche de zéro et qu’il perd trop son temps à bidouiller sa voix. Quant au batteur, je n’arriverai même pas à l’apercevoir, planqué derrière tout le matériel accumulé sur une scène trop petite pour Gnaw.
Et c’est malheureusement au moment où je commençais à me sentir emporté par les constructions alambiquées du groupe que le concert a brutalement pris fin. Plus le temps, le Sonic doit bientôt fermer. Cette impression de rester sur ma faim ne fera qu’accentuer celle d’avoir assisté à un concert froid pour une musique artificielle. Vraiment dommage.
Sur le chemin du retour je ne croise ni barrages de police ni manifestants assoiffés de sang de poulet et de babioles technologiques arrachées aux vitrines fracassées des magasins. Pas de voitures en feu ou de barricades. La France dort.

[toutes les photos du concert sont disponibles ici et comme tout ce qui se trouve sur ce blog on peut en disposer librement mais pas à des fins commerciales et en citant le piètre photographe qui les a prises]

mercredi 20 octobre 2010

Pale Sketcher / Jesu - Pale Sketches Demixed























Pour bon nombre d’admirateurs de Justin Broadrick, Pale Sketches est la bête noire de Jesu, le disque que le britannique n’aurait jamais du publier. Mais il constitue aussi le disque le plus révélateur de quelques unes de ses plus secrètes aspirations musicales. L’annonce de la parution de Jesu – Pale Sketches Demixed sur le label Ghostly International (petite maison gentiment electro) en a fait tourner de l’œil à plus d’un : non seulement Broadrick souhaitait à nouveau ressortir ces bandes mais qui plus est il s’attaquait lui-même à leur dépoussiérage et à leur remixage. Pale Sketcher c’est lui et uniquement lui. Peut être conscient qu’avec Pale Sketches il n’avait donné à entendre qu’une collection erratique de démos et d’inédits inachevés, notre homme a retroussé ses manches pour se replonger dans ce matériau brut. Bien lui en a pris. Pale Sketches était soporifique et mal ficelé, son principal défaut était son côté bancal. Avec Jesu – Pale Sketches Demixed Broadrick va jusqu’au bout d’une logique sans doute inavouable à l’époque (2007) parce que trop ouvertement à l’opposé de tous ses précédents travaux et il est amusant de constater que Pale Sketcher – son projet le plus ouvertement electro, pop et shoegaze – voit le jour alors que Godflesh – son projet le plus dur, métallique et industriel – vient d’être réactivé pour une série de concerts. Plus que jamais notre homme n’aime pas rester enfermé.
Le son côté bancal de Pale Sketches est oublié. On constate juste deux catégories de titres composant ce nouveau disque. Mais les deux ont en commun ce fort parfum d’évanescence et de romantisme floral qui allie Cocteau Twins et electronica gazéifiée. La première catégorie est plus electro (Wash It All Away, Tiny Universe et sa ligne de basse irresistible et Dummy, très spatial). La seconde se concentre sur le côté pop, chanté et rêveur (Can I Go Now, l’excellent The Playgrounds Are Empty, le magique Supple Hope et Plans That Fade plus vaporeux que jamais). On y découvre un Justin Broadrick vraiment doué pour arranger une chanson. On admet les voix trafiquées avant de les aimer telles quelles car la mélancolie qu’elles dégagent est à la hauteur d’une instrumentation subtile et délicate. A l’exception de Dummy et Tiny Universe qui ont été inversés dans le nouveau tracklisting l’ordre des titres a été scrupuleusement respecté et on peut s’amuser à comparer plus précisément chaque version une à une. Et invariablement la comparaison se fait au bénéfice des relectures offertes par Jesu – Pale Sketches Demixed. L’écoute du premier titre Don’t Dream It est même très révélatrice : véritable calvaire auditif dans sa version initiale, ce titre devient dans sa nouvelle version la porte d’entrée idéale sur un disque inspiré et rêveur. Cela ne rend pas la réécoute de Pale Sketches a posteriori moins douloureuse mais on comprend une fois de plus que Broadrick était encore en train se chercher et qu’il a juste mis trois années pour y arriver. Précisons néanmoins que les fans les plus intransigeants de Broadrick – ceux qui lui reprochent toujours tant et plus les vapeurs d’éther de Jesu – n’aimeront pas d’avantage Pale Sketcher et ce Jesu – Pale Sketches Demixed puisque le musicien britannique n’était encore jamais allé aussi loin. Il n’empêche également que ce disque, considéré au départ que comme une récréation, pose aussi de sérieuses questions quant aux possibles et aux prochaines orientations des futurs travaux de Justin Broadrick. Comme un parfum entêtant et on ne peut plus alléchant.

mardi 19 octobre 2010

Faust Is Last




















Il aurait été fort plaisant d’appliquer à Faust quelque vieux principe de contradiction voire de dualité puisque depuis quelques années déjà il n’y a pas un Faust mais deux Faust : celui de Jean-Hervé Péron et Werner Zappi Diermaier et celui de Hans-Joachim Irmler. Le premier a publié en 2009 un C’est Com… Com… Compliqué plutôt réussi et le second a profité de l’année 2010 pour nous balancer un Faust Is Last sur Klangbad, le propre label de Irmler. On ne reviendra pas sur les querelles intestines qui ont rongé les rapports entre Péron, Diermaier et Irmler et d’ailleurs on n’en sait pas grand-chose. On sait juste que, par exemple, Amaury Cambuzat qui avait rejoint Faust avec Olivier Manchion au milieu des années 90 (tous deux étaient alors membres d’Ulan Bator) a préféré quitter le Faust de Péron et Diermaier en 2007*, lassé par toutes les frasques du Art-Errorist en chef.
On aurait donc bien aimé à propos de ces deux Faust reprendre le trop tentant schéma du Dr Jekyll et Mister Hyde, trouver une explication à deux balles reprenant le mythe originel, son romantisme teutonique et ses conséquences sur la nature humaine. Mais on ne peut pas. On ne peut pas parce qu’à l’écoute de Faust Is Last on ne peut qu’admettre que le Faust de C’est Com… Com… Compliqué ou Disconnected (pourtant digne d’éloges) ne vaut pas grand-chose comparé à celui emmené par Hans-Joachim Irmler et sa bande de mercenaires. Faust et Faust Is Last ne se contentent pas de faire revivre les grandes heures du premier album du groupe, de So Far, de Faust Tapes ou de Faust IV, ils accaparent tout l’héritage de ces enregistrements historiques, s’octroient un monopole sans partage et ne laissent même pas quelques miettes à Péron et Diermaier. Si l’esprit du Faust originel est à chercher quelque part c’est bien au milieu de ces vingt deux plages (reparties sur deux CD, l’objet est superbe) de fureur, de collages, de psychédélisme métallisé, de garage, d’incantations primales, d’indus et d’expérimentations loufoques tous azimuts. Faust Is Last est d’autant plus terrassant qu’il est suprêmement jouissif et complétiste (à son écoute on a ce sentiment de faire le tour complet et exhaustif de la question Faust, phénomène assez rare pour être souligné).
Le titre du disque ne laisse d’ailleurs guère de doutes : après ce disque à valeur testamentaire et terminale Faust sera définitivement considéré comme mort. Tout ce qui éventuellement suivra ne sera que pâle imitation, vague tentative et échec annoncé. Faust est mort, vive Faust !

* si Amaury Cambuzat est crédité sur C’est Com… Com… Compliqué c’est tout simplement parce qu’il s’agissait de vieilles bandes (2006) ayant initialement servi de matière première à l’album Disconnected (2007) publié conjointement par Faust et Nurse With Wound

lundi 18 octobre 2010

A l'abattoir !


Je vous ai déjà raconté l’histoire du mec hyper-fan-amoureux-transi de Marvin, un mec qui ne les avait jamais vus en concert et qui n’attendait que le passage à Lyon de La Colonie De Vacances pour enfin réaliser son rêve le plus cher ? Non ? Vous êtes sûrs ? Bon, et bien je vais vous la faire courte : ce jour là – l’ordre de passage des groupes changeant sur chaque date de la tournée – c’est Marvin qui avait (bien) entamé la soirée et malgré quelques coups de téléphone donnés en urgence pour prévenir les retardataires encore coincés par l’apéro au bistrot du coin, nombre sont celles et ceux qui avaient tout simplement raté le concert de Marvin. Déception, consternation, rage et désespoir…
Le hasard a voulu que The Ettes (je n’avais jamais entendu parler de ce groupe auparavant*), The Ettes donc devaient jouer ce samedi avec Zëro aux Abattoirs de Bourgoin-Jallieu mais ont annulé leurs dates en France, préférant rester à la maison aux States pour cachetonner et rencontrer amour, gloire et beauté : qu’à cela ne tienne, les Marvin ont derechef été propulsés groupe remplaçant, ont sauté dans leur légendaire et vrombissant marvan et ont accouru jusqu’à cette petite ville de l’Isère essentiellement connue pour la pratique d’un sport vivifiant et euphorisant dont je préfère taire le nom**.
L’essentiel était donc qu’une session extraordinaire de rattrapage s’offrait miraculeusement à notre ami fanatique de Marvin et que l’idée a également rapidement germé chez quelques autres désœuvrés du samedi soir de faire une cinquantaine de kilomètres depuis Lyon pour assister à un concert avec deux groupes pourtant connus sur le bout des doigts. Nous voilà donc partis, bande de lyonnais, pour Bourgoin-Jallieu, comme en terrain conquis.
















Quelques mésaventures d’itinéraire plus tard – je suis vraiment un très très mauvais copilote – nous voilà enfin arrivés à destination. Les Abattoirs sont une superbe salle aux abords de la ville, une SMAC qui offre également des possibilités de résidence et de studio, le lieu a une bonne réputation d’accueil, de convivialité et de confort auprès des artistes et groupes qui y posent leur matériel et leurs idées pour quelques jours et ça je veux bien le croire. Je constate tout de suite que cela ne va pourtant pas être la foule ce soir et, pire, je reconnais nombre de têtes connues, des têtes que je croise d’ordinaire aux concerts du Grrrnd Zero et du Sonic alors j’en tire une preuve supplémentaire que l’on s’emmerde vraiment le samedi soir à Lyon comme ailleurs.
Les Marvin jouent en premier. Je les ai donc déjà vus il y a exactement un mois de ça, je pourrais faire mon (gros) blasé mais l’effet est immédiat et fulgurant : ces gamins savent y faire pour me faire déborder l’enthousiasme. Passant en revue tous les tubes de leur deuxième album, n’oubliant pas les incontournables du premier, les trois montpelliérains jouent à bloc devant cinquante malheureux pélots exactement comme ils l’avaient fait au Grrrnd Zero devant plus de quatre cent personnes, avec le même acharnement, avec le même plaisir et avec la même conviction. A force de mouliner Greg Marvin devient chaud comme la braise et ne peut qu’enlever son t-shirt pour le plus grand plaisir de quelques admiratrices et admirateurs.
Je vais sérieusement devoir reconsidérer la place du mot « festif » dans l’échelle superlative de mon vocabulaire pourtant déjà très limité – et d’ailleurs cette remarque, je ne l’ai pas déjà écrite quelque part ? Les Marvin terminent leur set par la presque traditionnelle reprise de Girl U Want de Devo et c’est Eric Aldea de Zëro qui assure le chant. Je n’ai à vrai dire qu’un seul regret concernant ce concert : Emilie, Fred et Greg, où étaient passés vos bandanas ?























C’est au tour de Zëro de jouer. Je n’ai pas revu les lyonnais sur une scène depuis quelques temps déjà et je ne cache pas mon plaisir. Je les trouve résolument décontractés et déridés, phénomène déjà constaté auparavant et qui va toujours en s’amplifiant, alors que cela n’avait pas toujours été le cas lors des premiers concerts du groupe, à l’époque trop rigides. La musique de Zëro peut toujours être aussi cérébrale et sombre (Big Screen, Enough… Never Enough ou The Cage) mais elle gagne toujours plus en attraction positive. A l’inverse les titres sensément plus légers (Cheeese, Viandox et Drag Queen Blues) ne sont pas non plus exempts d’une certaine – comment dire… ? – majesté et hauteur. Le groupe nous offrira également de bien belles versions de Loud Out et de Pigeon Jelly.
Zëro a vraiment atteint un équilibre ***, ce que ne semblent pas démentir les deux titres inédits joués ce soir, deux titres qui fatalement ne tournent pas aussi bien que ceux que le groupe joue depuis déjà quelques mois ou même quelques années (comme ils le feront remarquer eux même non sans humour, quand il y a de la nouveauté ça laisse forcément un peu à désirer) mais qui s’annoncent très bons pour la suite.
Le groupe aura droit à un rappel, Eric Aldea remonte alors tout seul sur la scène, appelle désespérément ses trois camarades de jeu mais ceux-ci tardent vraiment à revenir, à croire que les loges des Abattoirs sont particulièrement immenses et confortables et une fois que tout le monde est bien remonté sur scène Zëro nous gratifie d’une magnifique reprise du Hello Skinny des Residents – un titre déjà repris en son temps par Narcophony (le duo Eric Aldea/Ivan Chiossone) et surtout un titre lent et faussement mélancolique qui sied à merveille pour une fin de concert de grande classe.

[on peut trouver toutes les photos du concert ici]

* tu veux écouter ? allez, débrouille-toi avec ça
** le premier qui répond rugby a perdu
*** au passage je conchie les jeunes cons qui parle de la musique de Zëro comme d’une musique de quarantenaires, effectivement ils le sont – moi aussi – et je trouve qu’atteindre un tel niveau est aussi réjouissant qu’inespéré

samedi 16 octobre 2010

Yellow Swans / Live During War Crimes #3


Les groupes qui n’en finissent pas de mourir sont ils les pires ? Prenez le cas de Yellow Swans, défunt duo originaire de Portland*, ancienne coqueluche de Jamie Stewart de Xiu Xiu et de quelques autres snobinards : le groupe a officiellement annoncé sa séparation depuis maintenant deux années mais il continue de sortir des disques. A quoi bon ? Pourquoi faire ? Les Yellow Swans c’était juste du bruit, non ? Exactement. Les Yellow Swans sont un excellent groupe de pimpo-bimbo bruitiste, une sorte de Merzbow en plus psychédélique et, comme ses deux prédécesseurs, le volume 3 de Live During War Crimes documente des performances en concert de Pete Swanson (effets électroniques en tous genres et voix) et Gabriel Mindel Saloman (guitare, bruit, etc). Live During War Crimes #3 a été publié fin 2009 par le label Release The Bats et, chose curieuse, le nom de groupe imprimé sur la tranche du digipak est Dove Yellow Swans. Mais qu’importe, je ne suis pas allé chercher plus loin un semblant d’explication à l’extension du nom du groupe.
















Les quatre plages du disque n’ont pas de titre mais on peut les identifier selon la ville, le lieu et la date auxquels elles ont été enregistrées. Le premier morceau est un live datant de 2008, mis en boite à Chicago, et le groupe s’en dit extrêmement content. Ce jour là il aurait joué son dernier concert sur le sol américain dans un lieu apprécié, devant des amis et qui plus est le groupe aurait donné l’une de ses meilleures performances. Tant d’enthousiasme ne peut qu’attirer la méfiance mais en écoutant ce premier titre – il s’agit de l’enregistrement laissé tel quel, il n’y a pas eu de remontage après coup ni d’overdubs – on ne peut qu’acquiescer, Yellow Swans y est excellent, incisif, reformulant une énième fois et brillamment sa méthodologie du crescendo bruitiste et ouvrant toutes sortes de perspectives grâce à un spectre de fréquences hallucinantes libérées par la montée en puissance du volume. Voilà l’enregistrement de Yellow Swans qui pour le moment se rapproche au plus près de ce que j’avais entendu en concert.
Evidemment, après la déferlante de ce premier titre, la suite parait moins percutante. Elle n’en est pas moins bonne, continuant d’établir les deux Yellow Swans comme l’un des ex meilleurs jeunes représentants du harsh hippie. On trouve moins de finesses harmoniques dans les concerts enregistrés à Portland (deuxième et troisième plages) ou celui de Iowa City (plage 4, peut être la moins bonne de toutes) mais on y croise malgré tout une dynamique profonde de la saturation qui vous écrase la gueule contre les murs à vous en faire sortir de la bouillie de cervelle par les globes oculaires. Si le cadavre de Yellow Swans bouge encore, cette fois c’est moi qui suis laissé pour mort. Pour avoir un petit souvenir live du groupe laissez donc tomber le Mort Aux Vaches et adoptez ce Live During War Crimes #3 autrement plus intéressant.

* j’ai longtemps cru que les Yellow Swans venaient de San Francisco, peut être l’ai-je même carrément écrit quelque part

vendredi 15 octobre 2010

Mika Vainio / Vandal EP























Retour du côté de Raster-Noton, label sur lequel Mika Vainio a publié fin 2009 un Vandal EP de haute volée. Quelques mois avant la parution d’un ultime album de Pan Sonic (l’excellent Gravitoni) Vainio remettait ainsi les pendules à l’heure. Tout le monde savait que le duo se séparait – pas forcément en très bons termes – et face à la désillusion des vieux fans, Vainio proposait quatre titres violents, méchants et addictifs. Il faut dire aussi que Vandal porte extrêmement bien son nom, vecteur d’une techno minimale, rêche et puissante, parfois même franchement dansante, toujours abrasive et destructrice. Les rythmes quasi insoutenables des dance floors mélangés aux sonorités industrielles et froides hérités de Suicide, Throbbing Gristle, SPK ou Einsturzende Neubauten. Une recette que Pan Sonic n’avait exploré à ce degré là de frontalité que sur le EP Osasto (paru en 1996, à cette époque le duo s’appelait encore Panasonic et ses disques n’étaient même pas distribués correctement par ici, seul le label/mailorder Amanita arrivait à vous les procurer à des prix raisonnables) et une recette que donc Mika Vainio reprend ici à son compte avec succès.
Vandal
n’est pas pour autant un disque de techno à forte dansabilité. En début de première face Vandals fait l’effet du mouvement répétitif d’une machine-outil au bord de la surchauffe : on s’attend à tout moment à ce qu’elle s’enraille et de ne vous entraine dans un fracas inaudible mais elle se contente de vous ligoter, de vous encercler avec ses boucles sonores assourdissantes. Teutons suit à peu près le même programme, celui d’une mise à sac et d’une séance de torture qui s’éternise. Sur la face B Goths est le titre le plus lent des quatre, le plus industriel aussi, le plus poisseux et le plus tribal. On en retire comme un sentiment de répit après Vandals et Teutons mais l’effet est trompeur et de courte durée, Goths s’avérant être une séance de laminage en règle. Putassier et rythmique, Barbarians est clairement orienté danse du ventre avec son bpm entêtant. Dommage que Vainio n’y ait pas inclus quelques sonorités corrosives additionnelles pour vraiment perforer le crane des apprentis contorsionnistes qui auraient osé penser pouvoir s’amuser un peu en s’ébrouant dessus en rythme. La pitié n’est que le sentiment des faibles.

jeudi 14 octobre 2010

JG Thirlwell - Fred Bigot / Hydroze Plus


Voilà l’un des plus beaux disques vu et écouté depuis longtemps, sûrement même le disque qui au moment des inévitables listes compilatoires de fin d’année remportera le premier prix du plus bel objet toutes catégories confondues. Description. Un vinyle 25 centimètres transparent dont le label central est imprimé d’un œil, un insert en forme de bout de planche anatomique représentant la partie interne du crane humain et un feuillet plastifié façon écorché (en anatomie un écorché c’est ça) : le disque se glisse entre la représentation du crâne et la peau mise à vif, l’œil sur le disque tombe pilepoil au milieu et vous obtenez un magnifique jouet en forme de tête ensanglantée qui vous permettra le soir de réviser vos cours de médecine – spécialisation ophtalmologie ou O.R.L., comme vous voulez – ou de jouer au corps humain avec toute la famille. Cet artwork assez fou et bien réalisé (une bonne idée ne suffit pas toujours) est l’œuvre de J.G. Thrilwell aka monsieur Foetus (c’est comme s’il l’avait fait exprès). Lequel J.G. Thirlwell est l’une des deux composantes de Hydroze Plus, duo réunissant également Fred Bigot (du groupe Electronicat). L’australien réfugié à New York s’est uniquement occupé des voix et des textes. Le français a pris en charge toute l’instrumentation.
























On trouve ici deux titres inédits ainsi que deux remix (chaque musicien en ayant réalisé un). Hydroze Plus navigue en plein dans les sphères électroniques mais des sphères hautement expérimentales et déviantes. Aucune putasserie ni aucune festivité à déplorer, bien au contraire. La première face s’ouvre sur un Overcoat haché par le chant en forme de montagnes russes et transformé d’un Thirlwell – donc méconnaissable – alors que Fred Bigot nous a concocté une instrumentation particulièrement glaciale et inquiétante. Un bon trip dans la cyberviande. Belladonna suit et c’est un remix par Fred Bigot du titre CalmCalm. Il s’agit aussi du meilleur titre du disque, d’un tribalisme noir et avec des sons de synthétiseurs absolument magnifiques. Quelques éclats de voix murmurée viennent pervertir le tout et on pense inévitablement à Suicide dans une version un peu plus psychédélique (si c’était possible).
La face B s’ouvre avec Epi-Dose soit le remix par J.G. Thirlwell du titre Overcoat. Comme souvent le new-yorkais s’en tire bien, sans en rajouter ni en faire des tonnes dans l’emphase comme il a pourtant parfois tendance à le faire. Mais à Epi-Dose on préfèrera tout de même l’original, plus machiavéliquement malsain alors que le remix joue davantage la carte de l’efficacité. Cela reste tout de même excellent. CalmCalm est donc le dernier titre de cet EP. Nettement moins suicidaire que son remix Belladonna, cette dernière collaboration ravit à nouveau, malade et caverneuse, congelée dans un bain de réverbération et de beats cryogénés. Une conclusion parfaite pour un disque qui se montre donc à la hauteur de son emballage, ce qui n’est pas peu dire.

[disons le tout de suite, ce 10 pouces d’Hydroze Plus est peut être magnifique mais il n’est pas donné ; en ces périodes de vaches particulièrement maigres il m’a coûté l’équivalent d’un rein – ou d’une semaine de plâtrées de pâtes/jambon/gruyère/keupeuche pour quatre – mais, pour les amoureux de J.G. Thirlwell et de Fred Bigot, il n’y a aucune hésitation à avoir – ce disque est un must-have que l’on peut uniquement ou presque se procurer auprès d’Optical Sound]

mercredi 13 octobre 2010

The State Of Thing(s)























Il y a des annonces de concerts qui vous font monter au plafond et celle-ci en fait partie : The Thing, le trio free de Mats Gustafsson vient jouer à Lyon ! Et si je ne m’abuse c’est la première fois que Gustafsson s’amène dans le coin… En tous les cas je n’ai encore jamais eu le plaisir de le voir en chair et en os ni de l’écouter sur une scène. C’est vous dire toute la joie que j’ai pu éprouver lorsque j’ai appris cette grande nouvelle, lui que l’on peut considérer comme l’un des plus grands ténors de l’actuelle mid-life génération (allez : ex-æquo avec Assif Tsahar).
Je vous passe les inévitables incertitudes qui ont marqué l’organisation de cette soirée, les problèmes de salle, d’hébergement, d’horaires de trains un jour de grève nationale, tout ce genre de considérations absolument abominables qui font que sur terre il n’y a que deux sortes de personnes – ceux qui ont le cran et l’inconscience notoire d’organiser des concerts ou d’y participer en jouant et ceux qui profitent lâchement du courage des premiers. Inutile de préciser qu’à de très rares exceptions près je me suis toujours trouvé dans le camp des profiteurs, c’est tellement plus confortable.
Programmer à Lyon une pointure du free et de la musique improvisée tel que Mats Gustafsson/The Thing pouvait s’avérer présomptueux mais heureusement pour les organisateurs, le Sonic va se remplir comme pour les grands soirs, malgré une absence totale d’annonces du concert dans la presse locale, gratuite ou pas. Après, mesdames et messieurs les journalistes et rédacteurs de presse, il ne faudra pas venir vous plaindre qu’internet vous bouffe la gueule. On cherche et trouve l’actualité là où elle se trouve.

















En première partie les jeunes Loup(s) jouent les compositions de leur tout premier et tout nouvel album sans titre qui vient de sortir le jour même sur Gaffer records dans la collection Free Jazz Series (dont c’est déjà la deuxième référence). Loup c’est la réunion de Franck « on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même » Gaffer à la batterie, à la guitare et à la bidouille et de Clément Edouard (Lunatic Toys, AM PM) au saxophone et à l’électronique. S’il suffisait qu’il y ait un joueur de biniou et un marteleur de peaux dans un groupe pour en déduire que celui-ci est forcément un groupe de free alors j’accepterais bien volontiers d’admettre que Loup rentre dans cette étroite catégorie. Pourtant nos deux amis dépassent largement ce cadre stylistique (tout en s’en inspirant pour une certaine part, c’est vrai).
La musique de Loup est souvent frontale, violente même, et c’est sans doute du au jeu très dynamique du batteur. Encore un mauvais garçon. Le saxophone également ne laisse que peu de répit. Mais cette musique n’est pas non plus exempte de finesses et de couleurs vives, contrastées. Le but de la manœuvre semble bien de ratiboiser au plus près mais on trouve également une intelligence de jeu qui n’en démord pas. Merde, du « jazz » comme ça, moderne mais sans les tics de la modernité, je voudrais en écouter plus souvent (au risque de me répéter…).
Décidément je trouve aussi que Clément Edouard a un très beau son d’alto, qu’il trafique volontiers sans que l’on puisse se dire que ha oui, tiens, il utilise des machines. Un bon point. Les deux musiciens se sont bien trouvés en ce sens qu’ils viennent tous les deux d’horizons différents mais qu’ils partagent une complicité évidente. On reparle très bientôt de l’album de ce duo très prometteur.
























Le gros morceau de la soirée c’est donc The Thing accompagné d'Otomo Yoshihide. Au départ je pensais que le japonais allait jouer un set en solo, que The Thing jouerait seul également et qu’éventuellement tout ce beau monde se retrouverait ensuite ensemble sur scène. J’avais complètement tort. Tout le monde dans le même sac. De fait The Thing et Otomo ont déjà à leur actif un enregistrement, Shinjuku Crawl, publié en 2009 par Smalltown Superjazz. Et le groupe de Mats Gustafsson est un habitué de ce genre de collaborations puisque le trio a déjà enregistré et tourné avec Ken Vandermark ou l’immense Joe McPhee. C’est donc fort logiquement que ce soir au Sonic The Thing et Otomo Yohihide occupent la scène ensemble, comme un seul et unique groupe. Je n’avais qu’à mieux me renseigner avant. Et c’est donc aussi sans surprise que le répertoire joué par les quatre musiciens diffère sensiblement de ce que peut jouer The Thing habituellement, pas de compositions ou de reprises comme le groupe en est pourtant friand. Ce sera de l’impro, directement dans la face.
Le concert commence assez mollement avec Ingebrigt Håker Flaten qui en fait un peu trop (il joue sur une basse électrique, il a laissé sa contrebasse à la maison en Norvège, c’est plus facile lorsqu’on fait une tournée en train et en avion) et la suite est un peu trop retenue, notamment avec un pseudo solo à la guitare d’Otomo et Paal Nilssen-Love qui fait de même à la batterie. OK les gars, on le soupçonnait déjà très fortement que vous saviez jouer. Les dix premières minutes du concert ne seront donc qu’un simple tour de chauffe, les choses s’améliorant nettement sur la fin d’un premier morceau au classicisme free faisant tout de même fort plaisir à entendre. Et puis rien de telle qu’une citation d’Albert Ayler pleine de naïveté poignante pour vous mettre en joie.

















La deuxième partie sera elle tout à fait mémorable, The Thing et Otomo démarrant dans le registre de l’imperceptible (à une époque on avait baptisé le genre scène onkyo, un genre essentiellement japonais à dire vrai), avant une incroyable montée en puissance – les fans de post rock devraient écouter davantage de free jazz, ça devrait leur foutre un peu la haine – et un final explosif pendant lequel Mats Gustafsson, réellement impressionnant, s’impose comme un warrior intraitable. Mais quel bonhomme. Le passage pendant lequel il bidouille sur un petit dispositif incompréhensible des sons incroyablement distordus et poursuit un dialogue avec la guitare d’Otomo est aussi un grand moment de ce concert.
Lorsque le public en redemande les quatre musiciens acquiescent. Accepter, c’est pourtant neuf fois sur dix une très grossière erreur. Histoire de calmer le jeu et de faire redescendre la température The Thing et Otomo jouent alors une pièce plus nuancée, pointilliste et sans effusions. Assurément un autre bon moment mais qui casse volontairement l’ambiance – tu voulais encore du sang, même coagulé ? à la place tu auras des petits cailloux microscopiques que tu ne pourras même pas semer pour retrouver ton chemin. Une fin un peu déboussolante mais qui permet au groupe de faire bien comprendre à son public chéri que cette fois ci c’est bel et bien fini.

[message personnel à la personne qui a du trouver le billet de 20 euros que j’ai perdu ce soir là : j’espère sans rire que tu as tout bu, exactement comme je l’aurais fait si j’avais fais un peu plus attention aux trous au fond de mes poches]

[deuxième message personnel : la jeune fille à qui j’ai donné mon mail pour qu’elle me contacte parce qu’elle était intéressée par mes photos souvenirs un peu floues est priée de se manifester]