Clown Jazz. Un split album entre Souvaris et Sincabeza. J’avais mis ce disque de côté, non pas qu’il soit mauvais ou que je trouve quelque chose à en redire, non je l’avais mis de côté ou plus exactement en réserve, dans l’attente que le nouvel album de Sincabeza paraisse ou qu’il soit tout simplement annoncé pour bientôt, je le faisais murir bien au chaud au milieu des perles de l’année 2010, je laissais non sans plaisir mon enthousiasme grandir à son propos – au risque qu’il devienne trop envahissant – pour pouvoir affirmer haut et fort le moment venu hey ! il faut absolument écouter Sincabeza, le meilleur groupe instrumental du moment ! Je ne déroulerai jamais le tapis rouge pour ce groupe bordelais puisque de manière assez inexplicable (en tous les cas inexpliquée mais cela ne nous regarde pas) il a décidé de mettre fin à ses activités. Je ne parlerai donc jamais de ce troisième album qui n’a jamais été enregistré et cette chronique de Clown Jazz sera donc posthume et seule en son genre, l’apéritif c’est transformé en digestif, non sans aigreur d’estomac. That's life.
Le côté positif de cette histoire – parce qu’il y a un côté positif – c’est que l’autre groupe, Souvaris, a effectué une remontée indécente dans mon petit cœur d’artichaut. J’avais en effet toujours sous-évalué ce quintet britannique, estimant qu’il n’était pas en mesure de souffrir la comparaison avec Sincabeza. Aujourd’hui, après maintes réécoutes consécutives à une longue période de repos, je trouve les français toujours aussi excellents mais je trouve également que ces anglais ont du chien, bien plus que ce que je leur trouvais auparavant, ce qui bien évidemment n’enlève rien aux premiers. La grande qualité de Souvaris, en tant que groupe de post rock (s’il faut vraiment donner un nom à sa musique instrumentale et vivifiante), c’est qu’il nous évite les montées ascensionnelles vers toujours plus de pathos larmoyant – et donc vers nulle part comme avec des groupes biphasés tels que Mono ou Explosions in The Sky – et se concentre sur une narration d’apparence linéaire mais qui en fait nous en fait voir de toutes les couleurs, de toutes les odeurs et de toutes les formes. Great Scott et Hello, Antelope sont deux pièces maîtresses dynamiques, positives et joyeuses, deux longs développements haletants évitant toute redite et se payant même le luxe de l’évasion. Great Scott vous entraine loin sur un rythme inaltérable de trot de Jolly Jumper facétieux, s’il n’y a pas de montée d’arpèges cache-misère ici on sent parfaitement vers la seconde moitié du titre un épaississement nerveux des guitares aidées par des zigouigouis au synthé, hop du trot on passe à un élégant galop. Lequel galop ne déviera pas davantage sur Hello, Antelope malgré un passage au piano, accalmie de bon aloi et rebond nécessaire pour continuer la cavalcade au milieu de la verte prairie.
On retourne le vinyle pour (ré)écouter une énième fois ces lâcheurs de Sincabeza. Les bordelais opèrent dans le même champ d’action que Souvaris c'est-à-dire que leur musique instrumentale ne souffre pas de plans en montagnes russes, le cœur au bord des lèvres et la larme au coin de l’œil. L’élégance et la grâce sont l’apanage de Souvaris, Sincabeza se contentera, si on peut dire, de l’énergie et de la vigueur. Bacalacola, Facile A Compter et Malalido enchaînent les plans avec une indécente facilité, les virevoltes vous tourneboulent les sens sans vous donner envie de vomir, les répétitions ne trainent pas en longueur, les accélérations vous étonnent à chaque fois, les mélodies vous accrochent à coup sûr, la précision est la petite sœur de la nervosité, une nervosité bienfaisante et positive là aussi. Ces trois titres sont un pur régal, ce split est un pur régal et – une dernière fois – il est vraiment regrettable que Sincabeza ait décidé de ne jamais donner une suite à un tel enregistrement. Life is a bitch.
Clown jazz, uniquement édité sur un beau vinyle noir correctement pressé, est accompagné du désormais classique coupon donnant droit au téléchargement intégral de son contenu en format mp3. Gringo records, qui a eu la bonne idée de sortir ce disque, est le label de l’un des membres de Souvaris.