dimanche 6 juin 2010

Silent Front / Dead Lake























A l’automne 2009 paraissait un chouette split single réunissant deux groupes londoniens, Shield Your Eyes et Silent Front. Les deux groupes avaient beaucoup tourné ensemble l’année précédente et ce petit disque était annonciateur de leurs prochains enregistrements respectifs : un deuxième album qui sera finalement double pour Shield Your Eyes – l’excellent Shield Them, une chronique à venir, plus tard, un autre jour, peut être – et un premier album pour Silent Front. Si ces derniers ont mis autant de temps avant de sortir un premier long format, les raisons qui peuvent expliquer un tel retard restent aussi floues qu’insatisfaisantes : problèmes récurrents de batteurs ne tenant pas en place, expertise aigue en procrastination, branlitude et peur du vide du punker anglais attablé au pub du coin, bref la grosse lose habituelle mais un capital sympathie pas entamé pour autant.
Auteur de performances ultra intenses en concert, Silent Front était sur disque vraiment attendu au tournant. Les enregistrements précédents du groupe – un 10 pouces partagé avec un groupe dont j’ai préféré oublier le nom et un mini album, tous les deux sont aujourd’hui épuisés et ne mériteraient pas une réédition – ne rendaient pas justice à un groupe inoubliable sur scène et indéniablement frondeur. Disons tout de suite que ce premier album, du nom de Dead Lake, est une petite déception. Ça fait mal de l’admettre, soutenir un groupe aussi prometteur qui se plante relativement dès son premier disque important est quelque chose de très frustrant. Pourtant j’ai décidé de ne pas me laisser faire par cette déception et ai réécouté Dead Lake autant de fois qu’il m’a paru nécessaire.
Passons sur le fait que le son de Dead Lake est légèrement faiblard (mou ?), on en a entendu de bien pires. Il n’y a rien non plus de répréhensible dans Loss, un premier titre qui démarre bien. Silent Front y joue un noise rock de facture classique mais carré et efficace avec un chant manquant c’est vrai de personnalité. Loss est traversé par un passage calme, comprenez que la guitare se rétracte, que la basse la met en sourdine et que la batterie se fait plus légère. Le chant nasal prend alors des allures presque geignardes datant du siècle dernier et que l’on aurait évidemment préféré oublier. Ce gimmick de l’accalmie, Silent Front va le ressortir plusieurs fois au cours de cet album ou tout du moins sur toute la première face de Dead Lake, s’en servant pour terminer (achever ?) une composition – Knot – dont le groupe ne semble plus savoir quoi faire ou pour tenter de relancer la machine lorsque l’énergie de départ semble s’être trop rapidement envolée – Moving Hands et More Than Grazes. Un tel systématisme n’aurait rien de grave s’il ne risquait d’être pris comme le révélateur d’une baisse de régime dans l’inspiration ou carrément d’une défaillance patente de savoir-faire en matière d’écriture. Répéter plusieurs fois la même chose sur chacune de ses compositions n’est pas un crime – tu connais Unsane ? voilà un groupe unique n’ayant pas grand chose à voir musicalement avec Silent Front (à part la rage adolescente) et qui a ressorti le même truc à longueur d’albums or tout le monde s’en foutait tellement c’était bon. Mais lorsque l’originalité a également tendance à faire défaut on baisse les bras et les oreilles face à un disque juste banalement efficace et donc bien trop fade : il manque à Silent Front son petit truc à lui et rien qu’à lui, le truc qui ferait toute la différence. Faisons un effort supplémentaire, passons donc sur l’originalité puisque les bons groupes de copieurs et d’imitateurs ce n’est pas ce qui manque non plus, là aussi on en a entendu d’autres et reprenons du départ. Ce qui fait également défaut à la première face de Dead Lake, ce qui aurait pu réussir à faire passer tout le reste, c’est bien une force de conviction trop en retrait elle aussi, la rage adolescente ne suffit pas toujours. On en revient logiquement à ces passages emo-nouilleux qui ne cassent pas la baraque mais cassent bien le rythme. Quadrature.
Bonne nouvelle, la seconde face de Dead Lake relève correctement le niveau avec A Few More Moths qui évite le poussif de justesse (ce foutu passage lent ne dure fort heureusement pas trop longtemps), l’excellent Misanthrope avec sa ligne de basse tourbillonnante, sa guitare vrillée et pour une fois sans temps mort puis Suit For A Certain Occasion, rampant et insidieux. S’il ne s’éternisait pas à nouveau, Across The River And Into The Trees serait lui aussi un excellent titre mais malheureusement Silent Front s’y adonne une fois de trop à son péché mignon, la descente en pente douce sur un tapis d’emo rachitique. Avec Dead Lake le pauvre auditeur que je suis est donc partagé entre son envie d’en découdre avec une noise implacable, sèche et franche et les digressions tempérées, trop longues et trop présentes. Au final, il semble bien que ce soit ce deuxième aspect qui l’emporte sur le premier : dommage car j’aurais sincèrement souhaité aimer un disque plus à la hauteur de concerts autrement plus haletants. Mais Dead Lake est uniquement un disque honorablement moyen.

Dead Lake est aussi une coproduction entre plusieurs labels : Rejuvenation (ils sont ultra fans, ils en ont rêvé, ils l’ont fait), We Heart records, Art For Blind, Triple Junk records et Bigoût records (le meilleur pour la fin). Ces cinq labels ont très bien fait les choses puisque Dead Lake est sorti en vinyle dans une magnifique pochette gatefold qui recèle également une version CD de tout l’album. Fuck digital.