mercredi 13 octobre 2010

The State Of Thing(s)























Il y a des annonces de concerts qui vous font monter au plafond et celle-ci en fait partie : The Thing, le trio free de Mats Gustafsson vient jouer à Lyon ! Et si je ne m’abuse c’est la première fois que Gustafsson s’amène dans le coin… En tous les cas je n’ai encore jamais eu le plaisir de le voir en chair et en os ni de l’écouter sur une scène. C’est vous dire toute la joie que j’ai pu éprouver lorsque j’ai appris cette grande nouvelle, lui que l’on peut considérer comme l’un des plus grands ténors de l’actuelle mid-life génération (allez : ex-æquo avec Assif Tsahar).
Je vous passe les inévitables incertitudes qui ont marqué l’organisation de cette soirée, les problèmes de salle, d’hébergement, d’horaires de trains un jour de grève nationale, tout ce genre de considérations absolument abominables qui font que sur terre il n’y a que deux sortes de personnes – ceux qui ont le cran et l’inconscience notoire d’organiser des concerts ou d’y participer en jouant et ceux qui profitent lâchement du courage des premiers. Inutile de préciser qu’à de très rares exceptions près je me suis toujours trouvé dans le camp des profiteurs, c’est tellement plus confortable.
Programmer à Lyon une pointure du free et de la musique improvisée tel que Mats Gustafsson/The Thing pouvait s’avérer présomptueux mais heureusement pour les organisateurs, le Sonic va se remplir comme pour les grands soirs, malgré une absence totale d’annonces du concert dans la presse locale, gratuite ou pas. Après, mesdames et messieurs les journalistes et rédacteurs de presse, il ne faudra pas venir vous plaindre qu’internet vous bouffe la gueule. On cherche et trouve l’actualité là où elle se trouve.

















En première partie les jeunes Loup(s) jouent les compositions de leur tout premier et tout nouvel album sans titre qui vient de sortir le jour même sur Gaffer records dans la collection Free Jazz Series (dont c’est déjà la deuxième référence). Loup c’est la réunion de Franck « on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même » Gaffer à la batterie, à la guitare et à la bidouille et de Clément Edouard (Lunatic Toys, AM PM) au saxophone et à l’électronique. S’il suffisait qu’il y ait un joueur de biniou et un marteleur de peaux dans un groupe pour en déduire que celui-ci est forcément un groupe de free alors j’accepterais bien volontiers d’admettre que Loup rentre dans cette étroite catégorie. Pourtant nos deux amis dépassent largement ce cadre stylistique (tout en s’en inspirant pour une certaine part, c’est vrai).
La musique de Loup est souvent frontale, violente même, et c’est sans doute du au jeu très dynamique du batteur. Encore un mauvais garçon. Le saxophone également ne laisse que peu de répit. Mais cette musique n’est pas non plus exempte de finesses et de couleurs vives, contrastées. Le but de la manœuvre semble bien de ratiboiser au plus près mais on trouve également une intelligence de jeu qui n’en démord pas. Merde, du « jazz » comme ça, moderne mais sans les tics de la modernité, je voudrais en écouter plus souvent (au risque de me répéter…).
Décidément je trouve aussi que Clément Edouard a un très beau son d’alto, qu’il trafique volontiers sans que l’on puisse se dire que ha oui, tiens, il utilise des machines. Un bon point. Les deux musiciens se sont bien trouvés en ce sens qu’ils viennent tous les deux d’horizons différents mais qu’ils partagent une complicité évidente. On reparle très bientôt de l’album de ce duo très prometteur.
























Le gros morceau de la soirée c’est donc The Thing accompagné d'Otomo Yoshihide. Au départ je pensais que le japonais allait jouer un set en solo, que The Thing jouerait seul également et qu’éventuellement tout ce beau monde se retrouverait ensuite ensemble sur scène. J’avais complètement tort. Tout le monde dans le même sac. De fait The Thing et Otomo ont déjà à leur actif un enregistrement, Shinjuku Crawl, publié en 2009 par Smalltown Superjazz. Et le groupe de Mats Gustafsson est un habitué de ce genre de collaborations puisque le trio a déjà enregistré et tourné avec Ken Vandermark ou l’immense Joe McPhee. C’est donc fort logiquement que ce soir au Sonic The Thing et Otomo Yohihide occupent la scène ensemble, comme un seul et unique groupe. Je n’avais qu’à mieux me renseigner avant. Et c’est donc aussi sans surprise que le répertoire joué par les quatre musiciens diffère sensiblement de ce que peut jouer The Thing habituellement, pas de compositions ou de reprises comme le groupe en est pourtant friand. Ce sera de l’impro, directement dans la face.
Le concert commence assez mollement avec Ingebrigt Håker Flaten qui en fait un peu trop (il joue sur une basse électrique, il a laissé sa contrebasse à la maison en Norvège, c’est plus facile lorsqu’on fait une tournée en train et en avion) et la suite est un peu trop retenue, notamment avec un pseudo solo à la guitare d’Otomo et Paal Nilssen-Love qui fait de même à la batterie. OK les gars, on le soupçonnait déjà très fortement que vous saviez jouer. Les dix premières minutes du concert ne seront donc qu’un simple tour de chauffe, les choses s’améliorant nettement sur la fin d’un premier morceau au classicisme free faisant tout de même fort plaisir à entendre. Et puis rien de telle qu’une citation d’Albert Ayler pleine de naïveté poignante pour vous mettre en joie.

















La deuxième partie sera elle tout à fait mémorable, The Thing et Otomo démarrant dans le registre de l’imperceptible (à une époque on avait baptisé le genre scène onkyo, un genre essentiellement japonais à dire vrai), avant une incroyable montée en puissance – les fans de post rock devraient écouter davantage de free jazz, ça devrait leur foutre un peu la haine – et un final explosif pendant lequel Mats Gustafsson, réellement impressionnant, s’impose comme un warrior intraitable. Mais quel bonhomme. Le passage pendant lequel il bidouille sur un petit dispositif incompréhensible des sons incroyablement distordus et poursuit un dialogue avec la guitare d’Otomo est aussi un grand moment de ce concert.
Lorsque le public en redemande les quatre musiciens acquiescent. Accepter, c’est pourtant neuf fois sur dix une très grossière erreur. Histoire de calmer le jeu et de faire redescendre la température The Thing et Otomo jouent alors une pièce plus nuancée, pointilliste et sans effusions. Assurément un autre bon moment mais qui casse volontairement l’ambiance – tu voulais encore du sang, même coagulé ? à la place tu auras des petits cailloux microscopiques que tu ne pourras même pas semer pour retrouver ton chemin. Une fin un peu déboussolante mais qui permet au groupe de faire bien comprendre à son public chéri que cette fois ci c’est bel et bien fini.

[message personnel à la personne qui a du trouver le billet de 20 euros que j’ai perdu ce soir là : j’espère sans rire que tu as tout bu, exactement comme je l’aurais fait si j’avais fais un peu plus attention aux trous au fond de mes poches]

[deuxième message personnel : la jeune fille à qui j’ai donné mon mail pour qu’elle me contacte parce qu’elle était intéressée par mes photos souvenirs un peu floues est priée de se manifester]