Deuxième concert de la semaine, toujours au même endroit (non je ne fais pas du lobbying)(ils ne me payent pas non plus pour ça)(c’est juste que eux ils savent éviter de mettre trop de musique de hippies dans leur programmation) et un évènement en soi : Blurt. Blurt, groupe de l’emblématique Ted Milton et formation incontournable du post punk british, version aride des Contorsions de James Chance. Un must. Ted Milton n’arrive toujours pas à en finir avec la tournée d’adieu de son groupe, le précédent passage de Blurt date d’il y a à peu près deux ans, c’est leur never ending tour à eux -merde cela me rappelle quelque chose, Bob Dylan peut être, encore un beatnik qui a réussi dans la vie, mais tout ça n’a bien sûr aucun rapport. Je suis également impatient de voir ce que va donner The Good Damn, un trio fondé sur les cendres encore toutes chaudes de Marypoppers (ce nom avait vraiment la grande classe, le genre de jeu de mot que l’on ne peut pas expliquer à un enfant sans y mettre un peu du sien).
Les mauvaises nouvelles du jour concernent le verdict dans le volet Barbe A Pop du procès contre l’affichage libre : l’association a été condamnée à verser 20 euros par affiche -soit une amende totale de 180 euros, quand même !- et même si c’est moins que le montant maximal encouru la déception et la colère sont là. Le principe d’une condamnation a été retenu par le juge de proximité, alors que s’il avait strictement suivi la loi il n’aurait pu que prononcer la relaxe. J’espère que le collectif pour l’affichage libre va faire appel, pour l’instant c’est plutôt le silence radio de ce
côté là, pas de communiqué ou autre… d’autres associations doivent passer en audience devant ce même tribunal aux mois d’octobre et novembre, tout cela n’est pas de très bon augure.
Je vais être désagréable en disant que je n’ai jamais aimé plus que ça la musique de Marypoppers et cela tombe bien : celle de
The Good Damn n’a pas grand-chose à voir avec. Techniquement -et pour résumer très simplement- il y a un chanteur chauve et bien barré en moins et c’est le guitariste qui a repris le poste. Les guitares non plus n’ont rien à voir. Et il n’y a pas de basse. Quant au batteur, il est toujours aussi bon.
Mais revenons aux guitares : à ma gauche une Hofner (rouge), à ma droite une Gretsch (jaune). Des vraies guitares en bois avec du vernis un peu écaillé dessus, des micros qui ne ressemblent pas à des cartes sim et des vibrato qui donneraient même la gaule au fantôme de Link Wray. Rien à voir avec ces putains de guitares en plastique ou en fibre de je ne sais trop quoi fabriquées en Chine sous licence japonaise et dont se servent les jeunes chevelus modernes qui ont redécouvert le rock’n’roll en faisant de la spéléologie numérique sur internet. Des guitares, des vraies. Et un son incomparable. Chaud, vivant, électrifiant, bluffant, réel.
On ne peut qu’être conquis en écoutant ce subtil mélange de rock’n’roll (celui des Cramps ou du Gun Club) et de sonorités plus noise, le tout soupoudré de quelques clins d’oeil western/blues -je ne dis pas ça à cause de leur
video/teaser…- avec une belle énergie et un bon travail sur la complémentarité des voix. The Good Damn est à rapprocher de ces groupes dont l’Australie s’est fait une spécialité et dont les talentueux représentants les plus récents sont The Drones ou Witch Hats. Le trio est actuellement en train d’enregistrer, j’ai vraiment hâte d’écouter le résultat.
Après cette excellente entrée en matière je me suis employé à me faire offrir des bières par un type pour lequel je bosse un peu gratuitement tous les mois en échange justement de ces quelques largesses de patron de gauche et de propriétaire socialiste. On parle un peu subventions avec les gens du Sonic (vont-ils enfin toucher quelque chose ? cela a l’air très mal parti), j’essaie désespérément de savoir qui a programmé un concert d’Ahleuchatistas sur Lyon le 17 novembre prochain sans réussir à obtenir de réponse (ou bien est ce le groupe qui a pris ses désirs pour la réalité parce qu’il a un day off après une date à Genève et avant une autre à Paris ?). Le public est venu assez nombreux malgré la tenue le même soir de l’une des soirées phare organisées dans le cadre de la dixième édition du festival Riddim Collision, Hint vs Ezekiel, un vrai concert pour les dread loqueteux, mais moi je suis plutôt du genre skinhead en survêt et les mélanges noise/ethno/electro me fatiguent quelque peu en se moment.
Blurt met du temps à s’installer, Ted Milton est toujours aussi impressionnant et aussi classe -il porte ses éternels costards un peu trop grands qui lui font de belles épaules carrées et une silhouette de personnage de bande dessiné, son inamovible crête résiste tant bien que mal sur le sommet de son crâne- et il se balade dans la salle avec son sax alto en bandouillère, sort dehors puis revient. A un signal invisible et silencieux les deux autres, Steve Eagles (guitare, dans le groupe depuis le départ, quoique par intermittence) et Bob Leith (batterie) montent sur scène, bientôt rejoints par l’improbable chanteur/saxophoniste qui a apporté un grand verre rempli de whisky pour éponger ses petites soifs entre les titres.
Et c’est parti pour un merveilleux concert de post punk, tendu, groovy et erratique : Ted Milton chante de sa voix tour à tour nasillarde et outrée, le guitariste (avec sa coupe de cheveux de bitos et ses vieilles bretelles il a vraiment l’
air -et l’âge- d’un buzzcocks) envoie des riffs incroyables de simplicité et d’efficacité, il a ce son, métallique, façon aluminium sur les dents, tellement copié de nos jours et pas forcément pour le meilleur. Les deux sont très efficacement appuyés par un batteur au jeu également très sobre. Blurt c’est l’anti emphase absolue. Et que dire des interventions au saxophone de Ted Milton ? Il a un jeu très limité, une technique proche de celle d’un tétraplégique s’entraînant au crawl dans la baignoire de sa salle de bain mais il a des idées harmoniques en veux tu en voilà et un son inimitable, rugueux et inhabituel pour un saxophone alto (lequel est tout cabossé et lustré par les ans). Passés les premiers instants d’émerveillements infantiles qui me prennent toujours face à cette musique, je suis obligé de céder à mes mauvais penchants naturels : il faut dire que la musique de Blurt se prête parfaitement à la danse du steak haché et à la transe psychotique.
Le seul reproche à faire à ce concert concerne sa durée : Blurt joue longtemps, trop, sûrement, et le groupe accuse un coup de mou à mi parcours, la deuxième moitié du set est moins impressionnante que la première, alternant petites perles amphétaminées et pochades post punks plus poussives. Tout fini pour le mieux sur une dernière perle racée et nerveuse qui réussit donc à laisser un excellent souvenir dans l’esprit du public encore debout.
La table de merchandising est limitée et c’est dommage parce que les
disques de Blurt sont difficiles à trouver -même les rééditions sont rares, comme celle de
Pagan Strings chez Spalax- le mieux étant de jeter son dévolu sur les deux volumes de
Let There Be Blurt chez Salamander records, encore disponibles. Mais sur la table il y a cependant le single publié par
The Orchestra Pit, un enregistrement récent de Blurt dans sa formation actuelle avec deux titres dont un exceptionnel
Cut It, finalement beaucoup plus représentatif de Blurt que
Kenny Rogers Greatest Hits (chez V.I.S.A., en 1989), disque que j’ai ressorti de son oubli de poussière dès mon retour au bercail : la production y est ratée et a mal vieilli (c’est peut être pour cette raison que Blurt l’avait entièrement réenregistré quelques mois plus tard).
Cut It/
Hat, un excellent single dont on reparlera à l’occasion (attention : teasing) et encore un concert (presque) inoubliable de la part de Blurt et de Ted Milton.