samedi 31 décembre 2011

Pop.1280 / The Grid EP





Allez, pour en finir rapidement avec cette formidable année 2011, parlons un peu d’un disque paru à l’automne 2010 – on n’est plus à une contradiction près – sur un label qui a réussi à faire beaucoup parler de lui en publiant des disques décevants (The Men), dispensables (Slug Guts) ou bien même des disques dont on a carrément rien à faire ici (Zola Jesus), j’ai nommé Sacred Bones records.
Le disque en question est le Grid EP de Pop.1280 et si j’en parle maintenant c’est pour trois raisons essentielles : premièrement ce maxi de six titres me donne presque envie de remuer mon popotin ce qui, les années passant et les kilos n’aidant pas, relèverait presque de l’exploit ; deuxièmement, en dépit de son côté vas-y comme je te pousse, The Grid EP se révèle être un bon petit disque, certes plus récréatif et divertissant qu’attachant ; troisièmement et conséquence logique de tout ça, Pop.1280 et The Grid EP donnent enfin un semblant d’intérêt  au catalogue tristounet de Sacred Bones, il était temps.
Mais commençons par le début et le début c’est ce titre inaugural qui ouvre magistralement la première face, la machine à recourber les bananes Step Into The Grid, son rythme martelé mais dansant (quand on est un robot normalement constitué comme tout le monde), sa guitare post punk qui fait un tout petit peu mal aux oreilles, sa ligne de synthé presque inoubliable qui donne envie d’emballer autre chose que des moules marinières en papillotes et son chant à mi chemin entre l’arrogance fatiguée d’un ébouriffé en fin de ligne de coke et la morgue un brin mordante du crooner qui aimerait bien aller se coucher. Ce chant c’est le principal problème de Pop.1280 : il est efficace mais à la longue il endort un peu, car trop systématique, comme sur Redtube,  titre pénible et un rien plombant mais fort heureusement seule exception du disque.
Même dans ses moments les moins bons Pop.1280 ferait passer un groupe comme Frustration pour ce qu’il est réellement, c'est à dire un groupe de tacherons en tenue de travail et The Grid EP, en débit donc de quelques baisses de régime, ne fait pas que lancer quelques promesses en l’air pour attendre qu’elles retombent au sol comme des gros paquets de merde : Pop.1280 pourrait bien être ce que l’on appelle un groupe prometteur, pouvant générer un certain succès d’estime chez les hipsters de l’underground avant que les ayatollahs du bon goût sans saveur ne reprennent le dossier.




Depuis ce disque Pop.1280 a publié un single chez Blind Prophet records, deux titres encore meilleurs que les six de The Grid EP réunis, surtout la face B, dotée d’un Dead Hand très menaçant et presque sale. Il ne faudra pas attendre très longtemps pour savoir si Pop.1280 continuera dans cette veine plus dangereuse ou au contraire ira encore plus loin que Step Into The Grid  dans le frenetic dancing : on peut dores et déjà écouter sur internet Bodies In The Dune, un titre de The Horror, le premier album longue durée que Pop.1280 s’apprête à publier en janvier 2012, toujours sur Sacred Bones. Le suspens est insoutenable.

vendredi 30 décembre 2011

Oxbow – The Luxury Of Empire



Lorsque j’ai enfin failli parler aux membres d’Oxbow cela a été de manière totalement fortuite et de toute façon cela n’aurait pas été pour leur dire grand-chose. Le groupe tournait pour An Evil Heat qui venait tout juste de paraitre chez Neurot recordings. La date lyonnaise avait lieu au Gourbi, un squat détruit depuis bien longtemps pour laisser la place à un magnifique immeuble d’affaires. J’attendais après la première partie – il s’agissait de Ned qui remplaçait au pied levé The Blues Butcher Club (première version) parce que le guitariste de ces derniers avait eu la bonne idée de se casser un bras – et j’étais vraiment très impatient de revoir Oxbow sur une scène pour déjà la troisième fois. J’ai vu de l’autre côté de la rue cette bande de gamins en train de faire les cons avec mon vélo : je les ai poursuivis, rattrapés, l’un d’eux criait à un autre « c’est le mec du vélo, il va te casser la tête » mais je l’ai choppé facilement, ai expliqué que j’en avais rien à foutre du reste, ils se sont barrés sans comprendre et je suis retourné en direction du Gourbi plutôt content de m’en être sorti de cette façon là. Tout Oxbow était dehors en train de prendre le soleil, ils m’avaient bien regardé, assis devant leur tourvan noir, comme à un spectacle. Lorsque je suis passé devant eux ils étaient tout sourires, Eugene Robinson a commencé à me demander quelque chose, je n’ai rien compris, j’étais encore énervé, il a répété, j’avais l’air d’un con avec mon vélo alors je suis allé le plus vite possible le planquer dans un coin du squat pour que tout cela ne recommence pas. Ce jour là Oxbow a donné l’un des deux meilleurs concerts que j’ai jamais vus du groupe. J’étais littéralement heureux.
La seconde fois c’était au Sonic, pour la tournée suivant la parution de The Narcotic Story, à l’été 2007. J’étais arrivé terriblement en avance, tellement en avance que Niko Wenner se détendait sur le pont de la péniche en gratouillant sa guitare acoustique. Il répondait aux bonjours de tous ceux qui passaient devant lui. A l’intérieur il n’y avait encore personne, les portes n’étaient même pas censées être déjà ouvertes et Eugene Robinson installait consciencieusement le marchandising du groupe. Je me suis alors précipité vers lui, ai tout de suite acheté un exemplaire de The Narcotic Story en baragouinant avec une grosse boule coincée au travers de la gorge que je l’écoutais en streaming sur le site d’Hydra Head depuis déjà plusieurs semaines et que je l’aimais beaucoup. En guise de réponse j’ai eu droit à un immense sourire blindé de dents blanches et carnassières et Eugene Robinson, oui le chanteur d’Oxbow, a commencé à vouloir bavarder avec moi – comme d’habitude je n’ai rien compris et j’ai tout fait pour fuir, rapidement, le plus loin possible de lui. Ce jour là Oxbow a donné l’un des deux moins bons concerts que j’ai jamais vus du groupe. J’étais un peu déçu mais toujours heureux.




Et donc, lorsque le DVD d'Oxbow – The Luxury Of Empire est arrivé dans les locaux de la rédaction de 666rpm, je n’ai pas attendu pour le visionner. Je l’ai fait tout de suite, terriblement impatient, presque affamé.

Pourtant je n’ai pas vraiment changé d’avis à propos de la plupart des DVD musicaux. Les reportages complaisants racontant aux fans d’un groupe comment est né celui-ci, comment il a gravi un par un les échelons du succès – ce qui est très éloigné de la réalité d’Oxbow –, comment il est forcément devenu le groupe le plus important de tous les temps et comment ces mêmes fans sont très exactement en train de se faire arnaquer pour découvrir une histoire qu’ils connaissent pourtant par cœur, (oui mais cette fois-ci la « découverte » se fera en 5.1) ? Je déteste ça. Encore plus que les DVD qui retracent des concerts – les rares exceptions concernent les groupes en activité alors que j’étais à peine né ou en âge d’être passionné par autre chose que la musique.
Oxbow – The Luxury Of Empire est la parfaite antithèse de ce genre de bouillasse marketing et est très nettement supérieur au commun des DVD avec son très beau reportage signé Mariexxme, un tour diary plus anecdotique par le propre sonorisateur d’Oxbow en bonus ainsi que l’intégralité du concert donné par Oxbow en novembre 2009 à La Maroquinerie de Paris, à nouveau filmé par Mariexxme.
Plus que tout, Oxbow – The Luxury Of Empire (on désignera désormais ainsi le seul reportage principal du DVD) remplace toute forme de complicité baveuse, arrangée et marketée par quelque chose de bien plus noble et de bien plus distingué et qui se passe de commentaires acerbes : on est complètement dans le registre justifié et assumé de l’admiration profonde et de la fascination. Sans aucun doute parce que, voilà, Oxbow est réellement un groupe à part et que ce DVD n’est pas là pour prouver quoi que ce soit mais bien pour nous faire partager quelque chose de différent.

Il y a tant de choses que je ne sais donc pas, que je n’ai jamais osé demander au groupe après un concert, alors que d’autres y allaient et que les musiciens – pourtant épuisés – acquiesçaient à toutes les sollicitations, Eugène Robinson en tête. The Luxury Of Empire y répond très partiellement et la réussite de ce documentaire provient essentiellement de sa sobriété : interviews plongées dans la pénombre, on n’entend jamais les questions de l’intervieweur, seulement les réponses des membres d’Oxbow, pas d’effets numériques à la con ni de son méga surgonflé, montage simple et jamais racoleur. Une sobriété et un calme qui claquent violemment avec les extraits de concerts et le groupe en action, sur scène, en pleine ascension émotionnelle.
Le reportage de Mariexxme possède ainsi l’immense qualité de pallier à la frustration que les peine-à-jouir dans mon genre peuvent éprouver par manque de proximité avec un groupe que pourtant ils admirent. Oxbow fascine, attire et, en même temps, Oxbow fait toujours peur. Mais, et c’est très important, The Luxury Of Empire distille aussi suffisamment d’ombres, de mystères, de propos obscurs  – on n'y comprend strictement rien à cette leçon de symbolisme appuyée par l’exemple des nombreux tatouages d’Eugene Robinson –, de pudeur et de retenue de la part des musiciens du groupe pour que le moteur à fascination (encore elle), mu par ce simple tour de manivelle, reparte pour une nouvelle période indéterminée.
Le documentaire est en outre (très bien) sous-titré en français et les interviews confirment aisément deux autres choses : premièrement les gens d’Oxbow sont selon les moments disponibles, avenants, malades, fatigués, tendus, sympathiques, déplaisants, en colère ou insatiables mais ils ne sont jamais indifférents ; deuxièmement ils ont une idée très supérieure de leur musique – ce n’est pas de la prétention mal placée, ils expliquent seulement (surtout Niko Wenner) que ce à quoi ils veulent aboutir, ce qu’ils ont toujours voulu faire, est quelque chose de très difficile, de très exigent et de très ambitieux, qu’ils y arrivent peut être à peine aujourd’hui (les interview datent de 2009).

Still Before, le journal de tournée que Manuel Liebskind a filmé à l’aide de son téléphone portable, a le mérite d’apporter quelques détails du quotidien, toujours avec beaucoup d’humour, souvent de façon impromptue – comme ce passage où on découvre Marie qui explique aux quatre Oxbow qu’elle veut faire un documentaire sur eux, comment elle voit les choses, ce qu’elle propose au groupe, les regrets à propos de l’épisode du concert lyonnais avec sa sono terriblement déficiente et ses sleepings jugés inappropriés (cet épisode se finira à l’hôtel) ou les retrouvailles sur une aire d’autoroute entre Oxbow et Lydia Lunch alors en tournée avec Big Sexy Noise. Quant au concert d’Oxbow à la Maroquinerie, il ne fait que confirmer une seule chose, déjà mentionnée un peu plus haut : Oxbow est bien un groupe terriblement à part et définitivement différent.

Le DVD Oxbow – The Luxury Of Empire est disponible sur le site de Mariexxme.

jeudi 29 décembre 2011

MoHa! / Meiningslaust Oppgulp





Cet automne MoHa! a publié Meiningslaust Oppgulp, comme d’habitude sur le label Rune Grammofon. Meiningslaust Oppgulp est une excellente compilation de singles et de raretés des norvégiens. Le cauchemar absolu des petits malins qui s’amusent à collectionner absolument tout d’un groupe. Le bonheur pour les autres, ceux qui n’en ont ni les moyens ni forcément l’envie.
Très exactement Meiningslaust Oppgulp regroupe les disques suivants : les deux titres du 7’ Jeff Carey’s MoHa! publié en 2008 par Rune Grammofon, la face MoHa! du split partagé avec Tape That et publié en mai 2009 par Gaffer records, les deux titres d’un vinyle aussi rare (50 exemplaires) que singulier (pressé sous la forme d’un carré de 20 centimètres) et publié en novembre 2009 par le label hollandais Drop Of Blood records, les deux titres du single Kriiskav Valgus paru chez Le Petit Mignon en septembre 2010 et, enfin, les trois titres enchainés du 7’ split avec Horacio Pollard et publié en septembre 2011, à nouveau par Gaffer records. Il ne manque en fait que le single Rock/OFF comprenant des titres enregistrés avec Pål Jackman ou John Hegre de Jazkamer et publié en 2006 par Humbug records mais sans doute ces trois titres ont-ils été omis ici parce qu’il s’agissait avant tout de collaborations.
Une compilation de singles possède donc forcément un côté frustrant mais la liste établie ci-dessus devrait suffire à convaincre que MoHa! ne se fout pas de la gueule du monde avec Meiningslaust Oppgulp. Tout simplement parce que l’ensemble de ces « raretés » représente ce que le groupe a enregistré de mieux ces quatre dernières années, en particulier le génial Kriiskav Valgus – dont le titre Naajlos Ljom ouvre cette compilation comme s’il s’agissait d’un outrage aux bonnes mœurs – ainsi que l’ensemble des morceaux déjà publiés par Gaffer records : très loin devant tous les autres on place aisément Eg Blei Sogen Av Ein Atterganger (le titre du 10’ avec Tape That), un armageddon jusqu’au-boutiste qui se révèle aisément le plus monstrueux et le meilleur du lot avec son incessant ballet de cassures, de silences et de déflagrations, va-et-vient continuel qui semble ne jamais vouloir en finir. On se rapproche précisément là et au plus près de la folie de MoHa! en concert, à la façon qu’a le duo d’insuffler terreur sonique et chaos bruitiste avec une aisance qui confine à la cruauté froide (ce qui est assez troublant vu les têtes d’ange que peuvent se taper les deux musiciens du groupe). Si le côté machine à broyer industrielle et scalpel multidirectionnel de MoHa! vous rebute, évitez donc ce Blei Sogen Av Ein Atterganger ; si au contraire toute cette violence musicale vous fascine et vous électrise, l’acquisition de cette compilation est largement plus que nécessaire, d’autant que tout le reste – sans aucune exception – est d’un excellent niveau. MoHa! a toujours pris grand soin lors de la conception de ses différents singles et, assez paradoxalement, alors que les albums du duo peuvent finir par lasser sur toute leur longueur, Meiningslaust Oppgulp est une compilation nettement plus digeste et passionnante que les dits albums, alors qu’elle dure presque plus longtemps – seule exception, peut être : l’album Norwegianism en 2007, un disque qui pour l’instant reste le chef-d’œuvre incontesté et incontestable de MoHa!.

mercredi 28 décembre 2011

Coliseum / Parasites





Coliseum reste sur Temporary Residence pour la parution d’un Parasites EP dont on n’attend strictement rien d’extraordinaire. Soyons clair, l’album précédent, le miteux House With A Curse,  avait tellement donné à rire (à ses dépens bien sûr) que l’idée d’un nouveau disque de Coliseum ne nous effleurait même pas plus que ça.
Il y a des choses qui ne changent pas beaucoup avec le groupe de Louisville, entre autres la voix de stentor enroué de Ryan Patterson – ancien National Acrobat – et une certaine propension à appuyer sur l’accélérateur et à foncer dans le tas. On pense même pouvoir reconnaitre une sorte de tête de mort (l’imagerie préférée du groupe) dans ce ver gluant qui s’étale visqueusement sur la pochette d’un orange et d’un vert fashy comme les rollers que mes parents m’avaient offerts pour mes 10 ans, à ma période disco.
Mais qu’en est-il des velléités de Coliseum à adoucir sa musique jusqu’à singer les pires travers des groupes américains œuvrant dans le punk burné poppy voire emo ? Parasites a été enregistré par J Robbins (de Jawbox et Burning Air Lines et désormais dans Office Of Future Plans) et ça, ça ne présage vraiment rien de bon. Premier point : malgré ses huit titres, Parasites est bien un EP, puisqu’il ne dépasse même pas la vingtaine de minutes. Deuxièmement : Coliseum a retrouvé tout son mordant, surtout sur les quatre titres de la deuxième face du disque, titres qui pétaradent sec. Troisièmement : le trio a bien enregistré et analysé les erreurs d’un passé récent et, puisqu’il veut continuer à rendre sa musique de plus en plus mélodique et conviviale, il le fait désormais avec infiniment plus de classe et de discernement. Le résultat ce sont des titres comme l’irrésistible Waiting (Too Late), un véritable hymne post hardcore – post hardcore dans le sens de la fin des 80’s/début des 90’s, pas le truc ralenti des années 2000 –, ou comme l’enchainement imparable constitué par The Fiery Eye/Ghost Of God. Des titres qui n’ont rien à envier aux maîtres du genre, de Jawbox justement à Rites Of Spring. On n’en revient même pas d’une telle réussite, headbanging soutenu d’un sourire crétin garanti.
C’est tellement bon de se réconcilier avec le groupe qu’on finit même par apprécier davantage la première face de cet EP – très clairement chargée des nouvelles orientations prouto-emo de Coliseum – à la seconde, presque systématiquement symptomatique du Coliseum d’antan, celui du EP Goddamage ou de l’album No Salvation. Seul Give Up And Drive fait la jonction entre les deux pôles d’attraction du groupe et clôt magnifiquement Parasites, en fin de programme. Désormais Coliseum semble bien avoir trouvé et conforté sa nouvelle place avec cet enregistrement plus que bien mené, finalement il ne faudra considérer son prédécesseur House With A Curse que comme un bête disque de transition.

mardi 27 décembre 2011

Ceremony / Covers EP





Il y a un mystère CeremonyRohnert Park – du nom du bled d’où sont originaires ces jeunes gens et le titre de l’album que le groupe a publié en 2010 – oscille entre hard core criard/anarcho-punk et slacker pop ou même power pop façon Dinosaur Jr et ce sans aucune transition. Mais qu’est ce que c’est que ce groupe ? Qu’est ce que c’est que ces mecs ? Le pire – si on peut s’exprimer ainsi – c’est que voilà un mélange détonnant qui fonctionne parfaitement et on ne pourrait pas imaginer ce disque sans ces deux aspects pourtant diamétralement opposés. C’est ça le mystère Ceremony – bien plus que le côté très éclectique du groupe –, cette faculté à savoir transformer en identité propre, pertinente et presque logique ce qui aurait pu passer que comme une incongruité sans lendemain, voire une lubie à oublier vite fait bien fait, et d’y être parvenu sans avoir recours aux subterfuges de je ne sais quelle fusion à la va-comme-je-te-pousse pour connards bariolés.
Tentons donc de dissiper ce passionnant mystère, ce qui pousse Ceremony à enchainer un Moving Principle virulent avec un The Doldrums (Friendly City) en mode Pavement et, pour ce faire, aidons-nous de ce Covers EP publié cette année par Bridge Nine, comme la plupart des autres enregistrements du groupe*. Pour une fois, je vais être honnête : on n’y arrivera pas. On n’arrivera pas à déterminer le pourquoi du comment du parce que, même si on avait bon espoir avec ce bien nommé disque de reprises. Cela ne sert à rien. Les gens Ceremony se moquent complètement de nous, ne veulent rien nous dire mais continuent de nous avoir avec leurs drôles de disques. Et ils aiment ça. A tel point que le groupe en rajoute une bonne couche : Covers EP ne comprend fort logiquement que des reprises – six au total – mais, comme cela ne semblait pas suffire, les petits gars de Ceremony ont imaginé une pochette sur mesure, un inventaire de tous les groupes qu’ils ont déjà où qu’ils aimeraient un jour reprendre. Ça commence par Devo, ça se termine par Tommy Dorsey (qui ça ?) et au milieu de cette liste il y a des dizaines (centaines ?) de noms… on en trouve quelques uns de complètement effarants tels que Happy Mondays ou Erasure, on y trouve également des choses que l’on aime bien ici mais qui n’ont aucun rapport avec le reste (Big Black, Cro-Mags ou My Bloody Valentine) et enfin il y a des noms qui semblent avoir un peu plus de rapport avec le côté punk de Ceremony (Crass, Rudimentary Peni et Youth Of Today).
Voilà. Sur Covers EP Ceremony reprend superbement Urban Waste, les Pixies, Crisis, Eddie And The Subtitles, Vile et Wire. Le choix du titre de Wire est un peu convenu (puisqu’il s’agit de Pink Flag), par contre on s’émeut à chaque fois de cette splendide version du Holocaust de Crisis – le groupe ultra marxiste de Douglas Pierce et de Tony Wakeford avant qu’ils ne fondent un Death In June jouant lui sans vergogne avec l’imagerie nazie. C’est tout ce que l’on vous dira de ce disque. Ah non : Covers EP est un 12’ monoface en vinyle transparent et sa face muette est sérigraphiée d’un dessin représentant des roses en salade. Une preuve supplémentaire du côté arty (mais pas chiant) d’un groupe vraiment hors du commun.

* toutefois fois le prochain, un single annoncé pour le mois de janvier 2012, sera publié par Matador records – un album devrait suivre au printemps

lundi 26 décembre 2011

Aids Wolf / Ma Vie Banale Avant-garde




On s’était plus ou moins réconciliés avec Aids Wolf. Ce n’est pas que l’on était réellement fâchés mais les deux précédents disques du groupe, les EP Dustin' Off The Sphynx et surtout March To The Sea, avaient à la fois l’avantage certain d’une durée assez courte et celui d’un niveau pas trop trop dégueulasse, pour un groupe de suiveurs pétomanes, question pompage d’Arab On Radar. Jusqu’ici Aids Wolf remplissait tant bien que mal le trou béant laissé par les maîtres de Providence – sauf que, maintenant, il va falloir composer avec Doomsday Student, le nouveau super-groupe des anciens Arab On Radar… Le EP, le single, le truc qui dure moins de sept minutes chrono par face c’est donc ce qui convenait le mieux à Aids Wolf et le groupe ne prenait ainsi pas le risque de perdre son peu de spontanéité et ne risquait pas non plus de trop ennuyer ou agacer l’auditeur (quoique…). Jamais on ne vous conseillera ici d’écouter les vieux albums d’Aids Wolf, à moins de vraiment vouloir faire chier votre entourage ou de les saucissonner – les disques, pas les personnes de votre entourage – avec une machine à mp3 et de n’en garder que la substantifique moelle, c'est-à-dire jamais beaucoup plus de deux ou trois titres par galette.
C’est donc avec un effarement certain que l’on a appris qu’Aids Wolf publiait en octobre 2011 un double LP sur le label Lovepump United. Non mais quelle idée… Ma Vie Banale Avant-garde est un vrai double album, c'est-à-dire qu’il dure largement plus d’une heure. Ce disque est-il donc le cauchemar et l’horreur annoncée ? Oui, pas loin. Mais pas tout à fait. Et d’abord, il convient de faire un rectificatif : on a dans de précédentes chroniques à propos d’Aids Wolf beaucoup fait référence à Melt Banana et on se demande aujourd’hui un peu pourquoi – parce que c’est aussi une fille qui y chante façon furie ? Il est évident que plus Aids Wolf enchaine les disques et plus ceux-ci sont chaotiques, bordéliques et de moins en moins axés sur ne serait-ce qu’un semblant de mélodie (même hystérique) ou de construction – exit donc la référence au groupe de Yasuko Onuki et Agata. Question amour de la musique, Aids Wolf aurait pu faire illusion dans le passé mais ce qui intéresse plus que jamais le désormais trio* c’est l’explosion finale, le grand soir du n’importe quoi et le chaos no wave/noise le plus complet. On devrait être contents ? D’une certaine façon, et paradoxalement, oui. Dans un mauvais jour comme celui-ci (ou comme celui-là : les mauvais jours, ce n’est pas ce qui manque en ce moment, alors fais ton choix camarade), la mixture d’Aids Wolf est un formidable évacuateur de merde.
Que cela ne dure pas, on peut s’en douter, et c’est pour cela que les quatre faces de Ma Vie Banale Avant-garde finissent en supplice. Aids Wolf marque le pas, s’enlise et a choisi pour son nouveau disque d’alterner titres à peu près lisibles et bouillasses expérimentales que l’on imagine très largement improvisées. Une construction très binaire de Ma Vie Banale Avant-garde qui ne fait qu’en accentuer les ficelles comme les faiblesses. Et pourtant… ce ne sont pas forcément les titres les plus évidents que l’on préfère ici, les « impros » à bordel tirant souvent leur épingle du jeu. Contradiction ? Ambivalence ? Oui tout à fait. Avec Ma Vie Banale Avant-garde Aids Wolf a en quelque sorte réussi un drôle de petit exploit : le disque rebute, sa longueur et ses facilités agacent mais on y revient, pas tous les jours ni très souvent, mais on y revient. On ne parlera pas non plus de fascination mais d’une certaine addiction. Aids Wolf est un groupe que l’on peut finir par aimer et, surtout, c’est un groupe dont on découvre qu’on aime le détester… Ma Vie Banale Avant-garde se referme comme un piège, éreintant, et on l’accepte. Jusqu’à la prochaine fois.

* on confirme que Aids Wolf ne sont plus que trois : le groupe a perdu un guitariste, celui qui reste joue avec un double système d’amplis

dimanche 25 décembre 2011

René Binamé / The Leipzig Band Battle Session





C’est dimanche et on s’emmerde. C’est dimanche et en plus… en plus vous avez vu quel jour on est exactement ? Oui, c’est Noël. Alors 666rpm va faire un suprême effort pour conjurer le mauvais sort et tenter d’amuser les enfants et les petits vieux : cela fait plusieurs mois que nos services Loisirs Faciles & Indécence Partagée ont reçu un exemplaire en vrai et en dur du LP de René Binamé, un LP intitulé The Leipzig Band Battle Session. Ici, on se demandait sérieusement ce que l’on allait bien pouvoir faire et surtout dire d’un tel disque. Quoi ? Vous ne connaissez pas René Binamé ? Moi non plus, enfin pas vraiment… disons que durant les longues années pendant lesquelles j’ai été plus ou moins obligé de côtoyer des post-alternos cynophiles et amateurs de chansonnettes, j’ai tout fait pour éviter le sujet.
Mais comme je ne suis absolument pas contre les tests en laboratoire sur des animaux vivants, j’ai décidé de faire écouter The Leipzig Band Battle Session à ma progéniture, sans la prévenir de quoi que ce soit, bien évidemment. Ce disque sera mon disque de Noël pour toute la famille ou ne sera pas. Mais avant une précision importante : The Leipzig Band Battle Session est constitué uniquement de reprises, suite à un pari/concert où le groupe s’était vu imposer une playlist de/pour débiles. Voilà qui pourrait être amusant. Un rapide coup d’œil sur les titres enregistrés par René Binamé en studio une fois la grosse poilade du concert terminée ne m’apprend pourtant pas grand-chose, heureusement qu’après la mention des titres repris a été rajoutée celle des groupes ou chanteur qui les avaient originellement interprétés : Donna Summer, Gloria Gaynor, Elton John, Samantha Fox… que du très (très) lourd.
Curieusement le disque est divisé en deux : la première face comporte surtout les titres les plus rapides et la seconde les titres les plus lents voire mélancoliques. Diantre ! A mon sens René Binamé se plante complètement sur cette face B car il est impossible d’être à la fois vraiment drôle et aussi sérieux – et puis quelle idée de reprendre Princess Of The Dawn d’Accept alors qu’il y a tant d’autres hymnes incommensurablement bouseux chez ces teutons retardés ? Et même plus, pourquoi ne pas avoir carrément repris du Judas Priest ou – encore mieux – du Mötley Crüe (je rappelle qu’aujourd’hui c’est dimanche et qu’en plus c’est Noël) ? On passe également sur Enola Gay, fausse bonne idée par excellence. En début de face A, Could It Be Magic ratisse quelques suffrages et en fermant les yeux on y verrait presque une ramonade. Je survivrai* et I’m Still Standing (mouhaha hahaha, j’avais complètement oublié ce clip de merde, vive les années 80) suivent à peu près le même chemin mais pas La nuit de ce cher Adamo ni Quand Revient La Nuit de qui-vous-savez. A croire que le mot « nuit » ça ne fait pas très fêtes de fin d’année.

[…]

Bon, maintenant, il faut que je dise enfin toute la vérité : je n’ai jamais eu aucun penchant pour les dindes. Et même, je n’ai jamais eu aucun humour. Je remercie évidemment le label de m’avoir envoyé The Leipzig Band Battle Session en même temps que l’album In Case Of Fire Break Glass de Two Pin Din, mais franchement ce n’était pas la peine. 
Mais parce qu’aujourd’hui c’est dimanche et qu’on s’emmerde, parce qu’aujourd’hui c’est aussi nowel et que c’est encore pire, pour mettre un peu de baume au cœur de toutes celles et tous ceux qui soutiennent René Binamé depuis des années contre l’avis négatif du premier crétin venu doté d’un ordinateur, d’une connexion internet et qui en plus se prend pour un critique d’art, pour contrebalancer cet avis éminemment défavorable et pour égayer provisoirement l’avenir de millions de familles qui arrivent encore à se tenir chaud entre elles au sein d’un douillet foyer en attendant les effets du chômage de longue durée, de la banqueroute alimentaire ou de la fin du monde, je laisse la parole à ma plus jeune collaboratrice au sein de l’équipe rédactionnelle de 666rpm, spécialiste depuis un peu plus de six ans de la vraie vie en rose : « René Binamé c’est très mauvais mais c’est aussi super rigolo ». OK. Sans rancune.

* mais pas trop longtemps, hein…

samedi 24 décembre 2011

Aidan Baker / Lost In The Rat Maze





Lost In The Rat Maze, publié par le label Consouling Sounds, est peut être bien le 67ème enregistrement officiel d’Aidan Baker en moins de cinq années. Au niveau quantitatif, tout va donc pour le mieux : le canadien continue d’abreuver ses nombreux fans d’incessantes parutions de disques enregistrés en solo et à la chaîne. Cela fait des mois (des années ?) que l’on ne sait plus où donner de la tête et ici, on a un peu renoncé à tout vouloir écouter – à défaut de tout chroniquer – de la production pléthorique du monsieur. L’équation redite + lassitude + allez voir ailleurs si j’y suis a fini par gagner. De temps à autre on jette pourtant une oreille sur un  nouveau disque, une nouvelle réédition ou une énième collaboration mais on ne le fait que par pure politesse envers un passé plutôt glorieux et pas si ancien que cela, ce n’est même pas la curiosité qui nous pousse à agir ainsi. Misère. Au passage, vous aurez sûrement aussi remarqué que Nadja – le jadis splendide groupe d’Aidan Baker et de Leah Buckareff – tourne désormais plus ou moins au ralenti : contrairement à Aidan Baker en solo, le duo a en effet sensiblement levé le pied question enregistrements, a passé le plus clair de deux dernières années à ne publier que des collaborations et il prend doucement le chemin d’un oubli ému mais fatal.  
Ce n’est pas avec Lost In The Rat Maze que l’on va pouvoir se rattraper. Tout Aidan Baker y est ou presque et cette nouvelle fois est encore une fois de trop. Piano fantôme, chant de Droopy imitant sous l’eau les cris de détresse d’une meute de baleine dépressives, flutiaux désespérants, batterie ultra minimale (tenue par le propre frère d’Aidan Baker, Richard, ils jouent également ensemble au sein de Arc), guitare étirée à la loop station, pop tellement minimaliste qu’elle en devient inexistante, shoegaze du pauvre, ambient de l’ennui, drone sans vibration… la liste de tout ce qu’Aidan Baker a à nous proposer est aussi longue que fastidieuse, accablante que sans saveur. Le musicien a su parfois nous étonner*, se servir de ces mêmes éléments pour en sortir quelque chose d’intéressant or Lost In The Rat Maze ne débouche sur rien si ce n’est sur la certitude qu’on ne réécoutera pas un disque d’Aidan Baker de sitôt. Où alors il faudrait un miracle.

* et cela peut encore lui arriver, comme sur ce Green Figures tout récemment évoqué et publié par l’excellent label Basses Fréquences – d’une manière générale on pense pouvoir affirmer que sur tous les disques d’Aidan Baker publiés par Basses Fréquences, il n’y en a strictement aucun à jeter

vendredi 23 décembre 2011

Shield Your Eyes / Volume 4





Avec une belle constance, Shield Your Eyes publie Volume 4, le quatrième album studio du trio en 4 ans. On reconnait que Volume 4 n’est pas un choix de titre qui brille par son originalité mais, honnêtement, il s’agit bien là du seul petit défaut que l’on pourrait trouver à ce disque. Stef Ketteringham – chanteur/guitariste rouquin et survolté – avait annoncé à qui voulait bien l’entendre que ce nouvel album serait de loin le meilleur de toute la discographie de son groupe. Un peu de fanfaronnade cela n’a jamais fait de mal à personne, surtout lorsque ce qui est initialement annoncé se révèle vrai sur toute la ligne : Volume 4 est bien le meilleur disque de Shield Your Eyes en ce sens qu’il est le plus complet, le mieux écrit, le plus diversifié, le mieux enregistré et sûrement aussi le plus inspiré.
On avait pu regretter avec les disques précédents du trio un petit manque à l’écoute du résultat – Shield Your Eyes, malgré des efforts évidents, étant toujours meilleur en concert que sur disque. Volume 4 permet au groupe d’obtenir enfin un résultat satisfaisant. Est-ce parce que le bassiste Nick Bavin est toujours à son poste alors que tous ses prédécesseurs n’y avaient jamais fait long feu ? Est-ce parce que les londoniens sont allés s’isoler pendant une dizaine de jours à la fin de l’hiver 2011 au Norfolk Hotel, sur l’île de Jersey, pour l’enregistrement du disque ? Capté en prise directe et en live dans la grande salle du restaurant de cet hôtel, Volume 4 sonne miraculeusement bien* : on y retrouve toute l’intensité de Shield Your Eyes en concert et on touche également au plus près les subtilités et les finesses de sa musique.
Celle-ci n’a pas beaucoup évolué depuis Theme From Kindness, le troisième album du groupe, mais Volume 4 en accentue encore davantage les particularités et les raffinements. Et ceux-ci sont plus que nombreux. On avait l’habitude de connaître Shield Your Eyes sous un angle parfois très noise rock avec des compositions débridées emmenées par la voix éraillée et le jeu tordu de Stef Ketteringham à la guitare ainsi que par le jeu proprement hallucinant du batteur Henri Grimes, toujours entre puissance de frappe et équations différentielles. On retrouve cet aspect à la fois très frontal et biscornu sur nombre de titres de Volume 4 (l’inaugural Larkspur, Tryna Lean A Ladder Up Against The Wind et Brno), aspect soutenu par des lignes de basse qui s’entendent et donnent plus de groove à l’ensemble. Mais on note nombre de titres plus lents, plus posés, toujours dotés de mélodies tordues, parfois proches d’un blues émotif (Drill Your Heavy Heart et Until I Find A Natural Way), d’autres fois faisant plus que flirter avec une certaine élégance pop (You Merit High Hopes a même un côté emo-punk certain**).
Phénomène qui s’amplifie également de plus en plus chez Shield Your Eyes : les titres acoustiques. Et on n’aurait jamais cru que ceux-ci puissent autant élever la musique du groupe en direction du sublime, à l’image du vraiment très beau Glad, alors que Crowd joue plus la carte de l’intimé rassurante. Dernier titre du disque, Schutze Deiner Augen est quasiment un vrai blues – chant et guitare uniquement –, un blues à la fois fort reconnaissable et en même temps dévoyé par cette façon très spéciale qu’ont le chant et la guitare de partir en vrille, de se contorsionner et de retomber débout sur leurs pattes, tels deux félins facétieux. Shield Your Eyes a définitivement gagné ses galons avec ce magnifique Volume 4.

C’est Function records – le même label que Nitkowski – qui a publié ce disque et comme pour le Stay In The Home You Love de leurs petits camarades, le Volume 4 de Shield Your Eyes est un combo LP + CD agrémenté d’un superbe livret de 16 pages avec moult belles photos de l’enregistrement dans cet hôtel de l’île de Jersey.

* ajoutez à cela un mastering signé James Plotkin et vous aurez tout compris
** je ne sais toujours pas si c’est une référence voulue ou pas mais Shield Your Eyes est à l’origine une chanson de Jawbreaker (premier titre de l’album Bivouac, en 1992)

jeudi 22 décembre 2011

Biosphere / N-Plants





Sans compter les disques de remixes/réinterprétations ou les bandes originales de films, N-Plants est le neuvième enregistrement de Geir Jenssen sous l’alias de Biosphere. C’est malheureusement aussi le plus décevant de tous.
On peut être totalement insensible à l’esthétique molle de cette musique électronique œuvrant principalement – mais pas que – dans le domaine de l’ambient et ne s’interdisant aucune référence au monde de l’eau froide, des icebergs et des cercles polaires sans oublier quelques relents écolos bon teint voire même new-age. Mais on peut également reconnaitre à Geir Jenssen/Biosphere un sens très poussé dans cette esthétique sonore qu’il a principalement créée – on pourrait parler aussi de Thomas Koner mais si les influences des deux hommes peuvent être assez similaires, les résultats obtenus sont vraiment très différents.
Il n’est donc pas très étonnant que Biosphere ait atterri chez Touch, label spécialisé en musiques électroniques expérimentales mais pas trop, du moins pas suffisamment pour faire peur ou même déranger. En matière de techno intelligente, d’electro à bulles, de vaporisations glacées, de trips sous LSD au pays de Nanouk l’Esquimau ou de déambulation au milieu de forêts sombres et humides, on préfèrera finalement quelqu’un comme Wolfgang Voigt/Gas et ce pour deux raisons essentielles et indiscutables : premièrement la musique de Gas n’a jamais eu aucun scrupule à donner envie de danser à l’auditeur ; deuxièmement Biosphère finit par tourner rapidement en rond et s’auto-contempler – objection votre honneur : l’auto-contemplation et l’enfermement ombilical sont les deux caractéristiques essentielles des musiques électroniques dites évoluées. Oui, bon… si on veut, objection retenue. Mais on n’enlèvera pas de l’esprit de l’accusation que Biosphere est ce que l’on appelle poliment un second couteau, un second couteau avec un petit talent et que l’on aime certes retrouver au fil d’albums éparpillés sur déjà 20 années.
N-Plants a une thématique assez différente dans la discographie de Biosphere. « N » comme « nuclear » et « plants » comme ces végétaux ou algues parasites et friands de radioactivité qui poussent à proximité des centrales nucléaires : Geir Jenssen s’est ainsi interrogé au sujet des nombreux sites qui au Japon bordent les côtes, à la merci des raz-de-marée ou qui sont situés sur des zones à activité sismique intense. Le truc c’est que ces questions, notre homme se les est posé avant le séisme du 17 mars 2011 et la destruction de Fukushima, jouant en quelque sorte les cassandres, prédisant un avenir sombre et catastrophique. L’album a été achevé en février 2011 et c’est pour cette raison que l’on épargnera relativement N-Plants, pour cette lucidité. Mais celle-ci n’a rien à voir avec le fait de faire de la musique. Et dans le cas d’un titre tel que Monju-1 – à peine plus évolué qu’un tube interplanétaire de Deep Forrest – la pilule reste difficile à avaler. Sur N-Plants Biosphere fait en effet trop souvent preuve d’une incroyable légèreté musicale, se laissant rattraper par la joliesse de chouettes petites mélopées interprétées avec des sons de synthétiseur à la limite de l’affreux. La musique d’ascenseur n’est pas très loin, un ascenseur peut-être plein de bonnes intentions mais un ascenseur quand même. Plus dure sera la chute.

mercredi 21 décembre 2011

Full Blast & Friends / Sketches And Ballads


On avait laissé Full Blast – c'est-à-dire le trio composé de Peter Brötzmann, Marino Pliakas et Michael Wertmüller – sur deux albums studio : un premier disque sans titre remettant d’actualité le free jazz 60’s/70’s le plus débridé tout en lui insufflant une bonne dose de blasts et un deuxième, Black Hole, malheureusement moins bon car souffrant d’une production et d’une qualité d’enregistrement trop lisses pour rendre réellement justice à la furie initiale du trio. Full Blast est revenu en force en 2010 grâce à Crumbling Brain, un LP publié par Okka Disk et enregistré en concert. Crumbling Brain possède également cette autre particularité d’accueillir des invités – de fait cet album a été publié sous le nom de Full Blast & Friends – dont quelques noms prestigieux, on se souvient notamment du solo de guitare électrique complètement dément que Keiji Haino a placé sur Pull Up ! Pull Up ! Terrain ! Terrain !
Avec Sketches And Ballads – publié par Trost records – Full Blast est à nouveau de retour avec des invités et à nouveau pour un enregistrement en concert. Les friends du jour se nomment en l’occurrence Ken Vandermark au baryton et à la clarinette, Thomas Heberer à la trompette et Dirk Rothbrust aux percussions. Si on connait très bien le premier, on peut préciser que le deuxième joue avec l’ICP et que le troisième joue ou a joué sur nombre d’enregistrements de musique contemporaine (des compositions d’Helmut Lachenmann par exemple).



La principale nouveauté de Sketches And Ballads se situe pourtant ailleurs : cet enregistrement comporte une composition unique signée du seul Mickael Wertmüller. Et cela s’entend. Sketches And Ballads démarre en effet sur une courte intro/pilonnage à la batterie, Wertmüller y démontre toute sa capacité à enchainer les explosions, roulements de caisse claire et de toms, et il maîtrise toujours aussi parfaitement la technique de la double pédale, comme au bon vieux temps d’Alboth!. Il en profite ainsi pour en mettre un peu de partout dès que l’occasion lui en est donnée. C’est ce qui rend Sketches And Ballads aussi binaire, alternance de moments furieux drivés par une batterie de malade et passages très calmes et quasiment inévitables pendant lesquels presque chaque musicien place son solo – celui de Thomas Heberer à la trompette à la 18ème minute est vraiment magnifique.
L’exposition des différents « thèmes » révèle en début de disque un travail assez fin en matière de composition et d’arrangements, avec des dialogues intéressants entre les musiciens, mais cela ne dure pas vraiment : les passages collectifs prennent le dessus, virent régulièrement à la démence, plusieurs solistes en même temps, dans la droite lignée de ce que Brotzmann a quasiment toujours fait ou du Global Unity Orchestra d’Alexander Von Schlippenbach. L’effort de composition est donc rattrapé par le free, le free est boosté par le jeu de Wertmüller et en conséquence on obtient une pièce de 36 minutes entre sophistication appuyée et sauvagerie débridée.

mardi 20 décembre 2011

Black Cobra / Invernal





Black Cobra n’est pas à proprement parlé un groupe de poètes mais on va finir par le regretter. Invernal est le quatrième album du duo – le deuxième pour Southern Lord – et a été enregistré et mixé par Kurt « je casse tout ce que je touche » Ballou, le guitariste/sorcier/producteur de Converge. Il n’y a pas que la laideur proverbiale de ses artworks qui soit une constante chez Black Cobra : d’album en album le groupe n’a en effet que peu voire même pas du tout évolué. Pour parler d’un disque du duo il faut donc se replier sur deux facteurs… premièrement l’estimation subjective du degré d’excellence des compositions ; deuxièmement la qualité même de l’enregistrement et de la production.
Ainsi Chronomega, troisième album et prédécesseur direct d’Invernal, en avait déçu plus d’un à cause de la présence aux manettes de Billy Anderson, lequel avait été accusé d’avoir par trop policé le son du groupe. Rappelons que sur le génial Bestial (2006) et le légèrement en dessous Feather And Stone (2007) c’est un parfait inconnu, Dan Escauriza, qui avait fait office d’ingénieur du son et donné une coloration résolument crade au hard core métallisé de Black Cobra. Malgré toute la propreté induite par le travail de Bill Anderson sur Chronomega, on avait fini par s’y faire et peut être Invernal suivra-t-il le même chemin dans nos cœurs assoiffés de violence gratuite et de sang frais. Mais ça va être dur. Parce que si ce cher Billy avait eu la main un peu lourde question ripolinage sonore, que dire du travail de Kurt Ballou ? Sur Invernal il s’en faut de peu pour que l’on soit d’emblée complètement dégoûté par ce son testostéroné et glacé comme un marron dans le cul d’une dinde de noël – oh oui fais-moi mal mon chéri mais pas trop quand même.
Reste donc le niveau des compositions… celui-ci n’est ni mieux ni pire que celui des albums précédents de Black Cobra mais sans doute que la lassitude n’incite pas à tendre l’oreille plus que ça. Ce qui n’incite pas non plus c’est l’absence d’un ou deux vrais titres lents, lourds et dégueulasses (« sludge » comme ils disent chez les jeunes) comme il y en avait sur Bestial et Feather And Stone et domaine dans lequel Black Cobra excellait pourtant. Il n'y a plus qu’à se farcir un chapelet de bourinades à l’image de cet Avalanche dont les relents thrash ne sont même pas drôles. Heureusement que pendant toute cette débauche d’énergie génératrice de lassitude on peut tout de même admirer la technique du batteur Rafael Martinez et compter les roulements de grosse caisse, wow. Seule exception au milieu de cette surenchère trop bien ordonnée : Abyss, un titre instrumental qui ferait pleurer ma mère.
Enfin il y a un dernier point à aborder : qu’est-il donc arrivé au chant du guitariste Jason Landrian ? Il a toujours mal chanté c’est vrai mais au moins il savait brailler comme un porc et c’est tout ce que l’on peut demander au chanteur d’un groupe tel que Black Cobra. Sur Invernal on n’ose pas croire que l’ami Kurt et sa production maléfique soient les seuls responsables d’un chant aussi plat, convenu, parfois doté d’une reverb totalement merdique et tristement agressive. Véritablement, s’il y a un élément qui fera tomber Invernal dans les oubliettes encore plus vite c’est bien ce chant pas loin d’être calamiteux et qui gâche tout ce qui aurait pu être sauvé par ailleurs.

lundi 19 décembre 2011

Doomsday Student / A Jumper's Handbook






« I have been the guitarist for Arab on Radar for over 12 years. I have devoted my life to making this music. Last year we called it quits due to infighting. The music was insane and so were the people making it. DOOMSDAY STUDENT is a new band created by all of AOR just replacing me. It comes as a slap in the face to me personally to have this fraudulent band playing in the likeness of AOR. This is unjust and should be called out. » - Mr. Clinical Depression. Ce petit texte balancé sur internet en septembre 2011 n’est absolument pas inventé : c’est Jeff Schneider, guitariste d’Arab On Radar, qui parlait ainsi. En résumé on peut expliquer qu’Arab On Radar, reformé comme tant d’autres groupes, n’a pas supporté d’avoir oublié pourquoi il s’était séparé une première fois. La tournée 2010 a capoté au bout de quelques dates seulement, Jeff Schneider a endossé le rôle du connard et les trois autres en ont profité pour monter un nouveau groupe du nom de Doomsday Student, avec un nouveau guitariste en remplacement de Jeff – allez, faut pas pleurer.
Anchor Brain, le label du chanteur Eric Paul, s’amuse à mener les fans d’Arab On Radar en bateau (« You know who these men are. They have been other men. Who they were before does not matter. »*) mais heureusement l’insert de ce A Jumper’s Handbook précise le nom du guitariste nouveau venu : un certain Paul Vieira. On le connait parce qu’il est également le guitariste des Chinese Stars, aux côtés d’Eric Paul et du batteur Craig Kureck – les anciens Arab On Radar ne sont donc pas allés chercher très loin pour remplacer ce salaud de Jeff Schneider. Un instant on a failli imaginer que par jeu le groupe avait lui-même monté cette histoire de toutes pièces, qu’il faisait semblant d’avoir viré Jeff Schneider : c’eût été la blague de l’année, voire de cette dernière décennie consacrée à la reformation et au retour aux affaires de groupes presque inconnus (sauf d’une poignée de fans inconditionnels) comme celui de vieilles gloires ayant passé suffisamment de temps à l’hospice ou à taffer dans des boulots merdiques pour avoir fait oublier leur nullité et leur ringardise initiales.
Si on donne toutes ses précisions c’est pour une seule et unique raison : en écoutant A Jumper’s Handbook ce n’est pas Doomsday Student que l’on entend mais Arab On Radar. Si on préfère : les deux groupes et leurs musiques sont en tout points identiques. C’est la première bonne nouvelle de cette histoire et de ce disque. On peut, onze années après le dernier album d’Arab On Radar, Yahweh Or The Highway, écouter à nouveau un nouvel enregistrement studio du groupe. Doomsday Student c’est la même batterie minimaliste et martelante, les mêmes guitares qui vous transpercent les tympans, le même chant qui raconte les mêmes histoires d’urine et de menstruations, le même minimalisme noise, l’ultime désossage du rock’n’roll et la même frénésie, le tout catapulté en dix titres repartis sur deux faces d’un 12’ qui tourne en 45 rpm. C’est un peu le roi est mort, vive le roi. Et onze années c’est amplement suffisant, donc, pour que l’on ait envie de réécouter cette musique, même enregistrée sous un autre nom de groupe, sans avoir à se plaindre de ses redites – et même si elle n’a pas bougé d’un pouce.
En conclusion, la seconde et dernière bonne nouvelle portée par A Jumper’s Handbook et Doomsday Student pourrait être celle-ci : il est donc possible en cette décennie merdique de business musical rétro-actif qu’un groupe qui se reforme ne puisse pas tenir ses engagements et finisse copieusement par se foutre sur la gueule. Il y a un côté rassurant dans le fait de penser il n’y a pas sur Terre que des musiciens technocrates abrutis et nécessiteux, qu’il y a aussi des merdeux inconstants et suicidaires. Mais que les Doomsday Student jouent précisément une musique identique à celle d’Arab On Radar est à la fois un immense plaisir et une façon de gâcher ce même plaisir en y instillant le doute car mis à part pour humilier Jeff Schneider, je ne vois pas d’autre intérêt dans cette opération d'auto métamorphose à l'identique. Reste que A Jumper’s Handbook est un petit chef-d’œuvre du genre, si j’écrivais dans un vrai journal dont l’une des méthodes d’appréciation serait de noter les disques, je mettrais 10/10 à celui-ci. Sans hésitation.

* une autre phrase du même goût et à la même signification est également gravée sur chacune des faces de ce 12’ vinyle, au cas où on n’aurait pas très bien compris la subtilité de la conversion d’Arab On Radar en Doomsday Student

dimanche 18 décembre 2011

Picore / Assyrian Vertigo




C’est dimanche et on s’emmerde. Alors on écoute Assyrian Vertigo, le troisième album (double) de PICORE… Ah ! j’en vois déjà qui se trémoussent de bonheur rien qu’à l’évocation de ce nom mais je vais me faire un plaisir de les refroidir immédiatement : ce Picore là n’a strictement rien à voir avec le groupe espagnol homonyme mais est lui d’origine tout ce qu’il y a de plus lyonnaise. Il navigue même au sein de la nébuleuse Jarring Effects. Alors ne partez pas, le groupe dont on va vous parler ici et maintenant mérite amplement toute votre attention.
Après un long silence – L’Helium Du Peuple, le deuxième album de Picore, datant déjà de 2006 – le groupe est de retour avec une formation quelque peu remaniée (un batteur/percussionniste en plus) et des idées à revendre. Picore peut en effet se vanter d’une particularité bien à lui : son line-up est assez inhabituel puisqu’il comprend de la guitare, des machines, des voix, des percussions, des instruments à vents (trompette, clarinette)… mais chaque musicien/intervenant au sein de Picore ne se contente pas d’un instrument de prédilection, tout le monde ici s’essaie à un moment ou à un autre à d’autres expériences. Rien n’est fixé, rien n’est formaté, tout reste à faire. Ainsi la musique du groupe devient forcément étrangère à tout référencement ou plus exactement les références se bousculent dans notre tête à l’écoute d’Assyrian Vertigo : il y a de l’indus chez Picore, du hip-hop, de la noise, du post rock, du post punk, de l’électro et sûrement beaucoup d’autres choses.
Avec sa conception très cinématographique, on a même failli écrire cinétique tellement on se sent ici embarqués dans une suite sans fin de mouvements irrésistibles, Assyrian Vertigo est à l’image du groupe qui l’a conçu : riche, varié, étonnant, détonnant, perturbant, inclassable et tout bonnement haletant. Loin d’être un enregistrement unidimensionnel, ce double album n’en finit pas de ravir et de réactiver quelques vieux souvenirs tout en ayant à la fois l’élégance et le talent de ne pas se reposer dessus – certaines parties peuvent faire penser au Bästard de Radiant, Discharged, Crossed-Off, d’autres évoquent irrémédiablement Hint (désormais compagnons de label de Picore depuis qu’ils se sont plus ou moins reformés) et on pense également à tout ce « courant » multiforme qui vers la deuxième moitié des années 90 alliait abrasivité issue de l’indus ou même parfois de la noise avec la répétitivité entêtante d’une musique électronique lourde puisant son venin dans quelques racines dub (cf les compilations Electric Ladyland sur le label Mille Plateaux avec Techno Animal, DJ Spooky, Ice, etc).
Assyrian Vertigo évite toutefois la confrontation systématique et privilégie largement la déambulation, les couloirs secrets, défonce les portes murées et les tours d’ivoire et charcle sévèrement à l’occasion. Il est surtout très inhabituel ces jours-ci de pouvoir enfin écouter un groupe et une musique œuvrant dans l’atmosphérique plombé qui ne fasse pas directement référence aux musiques expérimentales des années 60 et 70. Je dirais même qu’en plus de reposer, cela fait grandement du bien.
Le deuxième disque d’Assyrian Vertigo est un remix complet de l’album : il y a autant d’intervenant qu’il y a de titres. Exercice en général plutôt casse-gueule, cette version remaniée du disque s’en sort plus que pas mal, il faut préciser aussi que le générique comprend quelques grands noms et quelques seconds couteaux de qualité. Evidemment certains n’ont pas pu s’empêcher de faire un peu n’importe quoi (comme Aucan qui fait juste du Aucan c'est-à-dire de l’électro très bas de gamme).

Assyrian Vertigo a été publié en double CD et, depuis peu, en double vinyle par Jarring Effects. Pour les fétichistes on conseillera évidemment le double LP parce qu’il est fatalement très beau et qu’en plus il ne comporte pas les remix (sauf si vous vous servez du coupon mp3 qui va avec…).

samedi 17 décembre 2011

Aidan Baker - Kevin Micka / Green Figures





Il y a tellement longtemps – une année entière ? – que 666rpm n’a pas parlé d’Aidan Baker ou de Nadja, alors qu’il arrivait qu’une chronique mensuelle soit systématiquement consacrée à l’un ou l’autre, que c’est presque comme si on avait laissé passer toute une éternité… Voici quelques uns des disques que le canadien a pourtant publiés (tout seul ou en groupe) depuis plus d’un an et dont notre service Technique de Propagande & Mauvaise Foi Revendiquée n’a même pas osé parler, ne fut-ce que de très loin : Nadja – Autopergamene (Essence Music), Nadja – Sky Burial (Latitudes), Aidan Baker – Songs Of Flowers & Skin (Beta-Lactam Ring records) ou Aidan Baker – Lost In The Rat Maze (Consouling Sound)… Un retard qui ne sera très certainement jamais rattrapé mais tant pis*.
Préférons donc parler de l’actualité d’Aidan Baker puisque celui-ci vient de publier en compagnie de Kevin Micka – beaucoup plus connu sous son alias d’Animal Hospital – et grâce au label Basses Fréquences un album intitulé Green Figures regroupant différents enregistrements en concert. Le 11 novembre 2009 les deux musiciens se trouvaient ainsi à Montréal et Kevin Micka, assurant la première partie d’Aidan Baker, s’est donc joint à ce dernier à la batterie afin d’interpréter quelques chansons du répertoire de canadien : Chainsaw et Machina tirées de l’album Green & Cold alors que l'on peut retrouver Figures dans une version différente sur l’album Blue Figures. Trois titres et une quarantaine de minutes, c'est-à-dire largement assez pour goûter à la pop shoegaze d’Aidan Baker sans s’assoupir.
Car contrairement à l’album Green & Cold qui souffre un peu de ses longueurs instrumentales, Green Figures, pourtant composé aux deux tiers du même matériel, ne laisse pas à la lassitude ou à l’ennui le temps de s’installer. Les motifs répétés à l’envie, les échos lointains comme dans un brouillard cotonneux, les rythmes systématiquement ralentis et en pointillés, le chant monotone et neurasthénique d’Aidan Baker… tous ces éléments, connus et symptomatiques du musicien, s’imbriquent parfaitement les uns dans les autres pour un disque étonnant calme, reposant et contemplatif. Seule la fin de Machina, doucement chargée par une guitare saturée, provoque quelques tremblements et soubresauts mais ceux-ci, après tant de calme et de linéarité, se révèlent être une conclusion bienfaisante à un disque absolument parfait pour la contemplation comme la rêverie.

* Lost In The Rat Maze, publié en février 2011, devrait quand même faire l’objet d’une prochaine chronique…

vendredi 16 décembre 2011

Danisco (For Beauty) / IV





Danisco (For Beauty) ? Connais pas. Mais quelque chose me dit que je vais en bouffer de ce Danisco là, et qui plus est pendant un certain temps. On récapitule : Danisco (For Beauty) est un duo palois mais instrumental à base de basse (Sébastien Lavigne) et de batterie (Alexis Toussaint). Oubliez les références à Sabot, NoMeansNo*, surtout qu’il y a de la guitare et aussi du chant chez les canadiens, et écoutez-moi donc ce bon gras-gras qui remonte à la surface des deux faces de ce LP agrémenté d’une tête de bœuf fraîchement découpée dans un abattoir homologué anti-abattage rituel – c’est vrai que tuer des bêtes « proprement », c'est-à-dire en se donnant une bonne conscience de prédateurs carnivores, c’est beaucoup mieux… la prochaine fois que vous croiserez une génisse ou un bœuf demandez-lui donc pourquoi, endormissement ou pas, il devient complètement fou et mort de trouille à l’approche de n’importe quel abattoir/laboratoire high-tech, rien qu’en sentant l’odeur de la mort et du sang répandu des collègues déjà passés à la moulinette à viande**.
Mais je m’égare et revenons-en à nos moutons. Lesquels ressemblent donc plus à des bovidés qu’autre chose, par exemple du bon gros taureau couillu et doté d’un large cou. Chez Danisco (For Beauty), tout est dans l’épaisseur, l’amplitude du tour de taille et la puissance du torse mais pas question ici de démonstration testostéronée au machisme conquérant ou de branlette de nerf de bœuf. A l’écoute de ce IV on choppe rapidement une bonne chair de poule car ce qui intéresse nos deux maquignons ce n’est pas de manier le couteau ou le hachoir à viande comme un cuisinier coréen en pleine ébullition mais de conjuguer puissance, souplesse, nervosité, gras – gras double, évidemment –, densité, vrombissements et un peu d’arithmétique. Tiens, et si on appelait la musique de Danisco (For Beauty) du sludge trigonométrique ? OK : l’idée est très mauvaise mais elle a le mérite d’affirmer que ce groupe est fait d’une viande qui se passe de tout étiquetage.
On n’aurait jamais osé croire qu’un tel mélange – le premier qui parle de farce je le passe direct au fer rouge –  soit possible et le résultat, cinq titres plus un « remix » très réussi qui affolent le troupeau, fait preuve d’une originalité certaine. Contrairement à nombre de formations instrumentales et plus ou moins mathématiques, Danisco (For Beauty) est un groupe totalement non-arty, franc, direct, qui est à la fois capable d’une haute précision désinvolte et d’une lourdeur mastoc peu commune. Allez donc faire un petit tour du côté d’A Tant Rêver Du Roi, le label qui a permis à ce disque d’exister*** et payez-vous une bonne tranche séance collective d’équarrissage.  

* tiens, au fait, vous vous rappelez de la pochette de Wrong ?
** comme je n’ai pas envie de passer pour un militant végétarien, je précise un tout petit peu : quelles que soient les conditions dans lesquelles sont abattus les beefsteaks, entrecôtes, blancs de poulet, saucisson, boudins et autres bonbons à la gélatine qui atterrissent dans votre assiette, c’est forcément dégueulasse, c’est forcément plein de sang, plein de barbaque qu’on écartèle et reprocher à certains le luxe ancestral de saigner les animaux n’est que de l’hypocrisie très mal placée et – restons poli – une énième résurgence de cet hygiénisme occidental qui fleure bon le racisme ordinaire à peine déguisé en politiquement correct
*** et qui fêtera au Printemps prochain son dixième anniversaire

jeudi 15 décembre 2011

Akosh S. & Gildas Etevenard / Erem






Des nouvelles d’Akosh S. – Szelevényi Ákos de son vrai nom –, on n’en a jamais beaucoup… Mis sous les feux des projecteurs grâce aux bons offices de l’ex-chanteur d’un groupe de rock bordelais mais de renommée internationalement française, le saxophoniste hongrois s’est fait plus discret depuis qu’il a été viré comme tout le monde ou presque de Barclay/Universal – label pour lequel il a gravé sous son propre nom ou sous celui de Akosh S. Unit un nombre impressionnant de disques studio et live entre 1998 et 2004… Plus discret certes mais presque aussi productif et privilégiant surtout ces dernières années enregistrements en solo et autres duos : deux disques en compagnie de la superbe et magique Joëlle Léandre, un autre avec le lutin eriKm chez Ronda records et des enregistrements avec Gildas Etevenard, batteur, percussionniste, trompettiste et bricoleur et son état. A l’heure actuelle ce ne sont donc pas les projets et collaborations qui manquent au saxophoniste.
Publié en ce début d’automne 2011 par le lieu associatif marseillais La Mesón, Erem est le deuxième enregistrement officiel du duo Akosh S./ Gildas Etevenard après le double CD Nem Kellett Volna. Les deux hommes jouent ensemble depuis presque une dizaine d’année et le second avait d’ailleurs intégré le groupe du premier en remplacement de l’inoxydable batteur Philippe Foch – on peut l’entendre sur l’album Nap Mint Nap paru en 2004. Si jusqu’ici vous aimiez et ne connaissiez que les enregistrements furieux, multipolaires et collectifs du Akosh S. Unit, vous ne vous sentirez pas dépaysés pour autant : il y a fort logiquement moins d’élans « fire music » sur Erem mais le parfum général y est toujours aussi entêtant et diversifié, mélange de lyrisme à fleur de peau, de musiques originaires d’Europe de l’Est, de free jazz, de psalmodies quasi tibétaines (avec tintements de clochettes et vibrations de gongs en prime) et de balades dans les airs au milieu d’ombres bienveillantes.
Le duo Akosh S./Gildas Etevenard multiplie les instruments – ténor, clarinette, voix, harmonium, gongs et cloches pour le premier ; batterie, gardon hongrois (une sorte de viole, que l’on peut entendre sur Havak Sara par exemple), gongs et percussions pour le second – et multiplie d’autant les échanges et donc les atmosphères. Il y a un fort côté mystique dans le jazz ethnique des deux musiciens or il ne faut absolument pas voir là une quelconque prétention mais, à l’inverse, une humilité et une générosité qui font réellement du bien. Donc il n’y a rien de sacré ou – pire – de sacralisé chez le duo, Erem c’est même souvent tout le contraire, comme une longue et lente déambulation – les 20 minutes que dure Tudat – avec en prime quelques éclats vif-argent (Hivat, Akad et Táj) qui rappellent le tumulte du monde. Dans ses moments là le son du saxophone ténor d’Akosh S. est toujours aussi magnifique et s’accommode plus que bien du difficile exercice du duo free – il faut dire aussi qu’il y a du répondant avec un percussionniste aussi imaginatif et diversifié que Gildas Etevenard.

mercredi 14 décembre 2011

Møller Plesset / Hartree-Fock Method





Hartree-Fock Method marque le grand retour de Møller Plesset. Qui ça ? Et bien Møller Plesset, quoi… 2002 : un premier album, Rather Drunk Than Quantum, publié avec l’aide des copains sur un label du nom de K-Fuel records ; 2005 : un deuxième album, The Perturbation Theory, publié cette fois-ci par Perte & Fracas. Autant dire qu’à moins d’être breton, d’être client de la libraire Alphagraph à Rennes ou de faire partie d’un tout petit groupe d’initiés, Møller Plesset était le secret le mieux gardé du début de ce XXIème siècle. Tellement bien gardé que ce nom ne dit souvent pas grand-chose aux passionnés de guitares tressées en dentelle de fils barbelés et de noise rock un brin déviant, une chouille arty et avec une petite dose d’hystérie renfrognée en plus s’il vous plait, merci. Dans le meilleur des cas, si on tente de parler du groupe à un amateur éclairé dont on pense à l’avance qu’il ne pourra que déjà être de la partie, c’est tout juste si on récolte un « oui je connais de nom mais je n’ai jamais vraiment écouté » un petit peu gêné aux entournures. Sachez qu’il n’est pas trop tard pour vous rattraper, les deux premiers albums de Møller Plesset sont toujours disponibles, parce qu’évidemment il ne s’en est pas vraiment vendu des tonnes, à peu près autant d’exemplaires que le groupe a effectué de tournées triomphales en Europe du nord depuis 10 ans – ceci expliquant sûrement cela.
Ou alors on se tourne vers ce Hartree-Fock Method, donc, un EP de quatre titres sorti sans crier gare ou presque en ce mois d’octobre 2011, cette fois-ci chez In My Bed. Il n’est pas très différent des deux albums, ce nouvel enregistrement. Il a juste l’avantage d’être le plus récent, de débouler après une période de silence assourdissant de la part du groupe, de remettre en mémoire une musique unique, donc de faire espérer qu’il y a encore de la fraîcheur chez Møller Plesset, que ces quatre garçons bougent encore, même un peu. Par contre, si on ne connait pas du tout le groupe – ce qui, on l’aura bien compris, ne constituera en aucun cas un exploit insurmontable –, on aura gagné le privilège d’une belle découverte. Elle n’est pas facile la musique de Møller Plesset, malgré (ou à cause de) ses apparences faussement simples. Il faut s’accrocher, ça sent le cerveau qui fume, mais si on parvient à rentrer dedans, à dompter cette paire de guitares cascadeuses, si on apprivoise les deux chants aussi étonnamment spéciaux l’un que l’autre, et bien on comprendra enfin et on partagera ce sentiment de profonde injustice et d’incompréhension : pourquoi donc les Møller Plesset n’ont-ils pas recueilli un peu plus que ces quelques honneurs dispersés ?
Court et sec, le bien nommé Shorty débute la première face du disque et ravive instantanément la flamme d’antan. Oui, le groupe a pris de la bouteille, il est assurément moins direct ou moins violent qu’auparavant, mais il sait toujours allier cette impétuosité de travers avec la nécessité de faire monter la pression, toujours un peu plus, jusqu’à la frustration. Suit I Hear qui donne avant tout à écouter et apprécier le duel par ricochets des deux guitares, jamais outrageusement saturées (et ça fait vraiment du bien) mais toujours d’une aridité imparable et toujours également cette tension qui  monte, qui monte, et le chant dans l’anti lyrisme le plus total mais pourtant tellement expressif (et judicieusement doublé à l’occasion par la seconde voix dans un registre presque féminin). Liar pourrait carrément flirter avec le post rock cher à Slint, comme dans une sorte d’état flottant, avant les enrouements de la voix et autres grondements feulés puis le retour des chœurs aigus alors que les guitares en profitent une nouvelle fois pour repartir de traviole – en quelque sorte slint vient de copuler avec US Maple et le résultat est absolument brillant. Reste Love Affair In Chemnitz, presque enjoué, mais les compositions de Møller Plesset ne dépendent pas de schémas préexistants, elles ne font même pas forcément appel à des structures cycliques et ce dernier titre de déraper, plus doucement, en laissant entrevoir pour la première fois du disque un lyrisme presque plaintif.

Les deux premiers albums de Møller Plesset étaient de superbes objets, même pour des CDs. L’artwork de Hartree-Fock Method a de nouveau été confié à EM mais cette fois-ci, c’est encore mieux : Hartree-Fock Method est un vinyle de 10’, sa pochette se déplie en un magnifique poster tout de noirs et de gris et retenu autour du disque par un obi façon japonais. Cet EP, tiré à trois cents exemplaires numérotés, est vendu par In My Bed au prix de 10 euros port compris, soit une misère pour un disque pareil.