jeudi 1 décembre 2011

Report : Cut Hands au Sonic - 28/11/2011






Soirée expérimentale – seulement deux mots d’écrits et déjà une vulgarité – en ce lundi 28 novembre au Sonic. Cut Hands ce n’est pas n’importe qui puisque derrière ce nom on retrouve William Bennett, l’éminent fondateur/démiurge/ange de la mort à l’origine de l’un des groupes les plus extrêmes de la fin du XXème : Whitehouse.
Les derniers enregistrements connus de Whitehouse – d’ailleurs le groupe existe-t-il toujours ? – avaient montré un intérêt certain de Bennett pour le tribalisme et les rythmes africains. L’album sans titre que Cut Hands a publié en cette année 2011 chez Susan Lawly va encore plus loin, à tel point que certains petits malins jamais à court d’idées stupides ont parlé à son sujet d’« afro noise ». Ce disque indique également que Bennett travaillait depuis longtemps dans cette direction précise puisqu’il contient des enregistrements studios étalés entre les années 2003 et 2011.
Projet entièrement instrumental, sombre et magnifique à plus d’un point de vue, on y découvre des plages à la polyrythmie étonnamment riche et contrastée au milieu de choses plus typiquement harsh/power electronics et beaucoup d’autres nettement plus axées, il faut bien le dire, sur des accroches presque harmoniques. Avec Cut Hands on est donc très éloignés des débuts fracassants de Whitehouse (Total Sex, Birthdeath Experience, Dedicated To Peter Kurten ou Buchenwald) comme des disques de la reprise d’activité du début des 90’s et enregistrés par le binoclard Albini (Thank You Lucky Stars, Halogen, etc). Le concert s’annonçait donc pour le moins étonnant et, on l’espérait, captivant.




Malgré la qualité certaine de l’affiche proposée par les deux organisateurs du concert (Infect et Buffet Froid), ce n’est pas la foule des grands jours qui s’est précipitée au Sonic. Les absents comme souvent ont eu tort mais dans le public on notait nombre de passionnés et de fans résolus de monsieur Bennett, lequel nous a gratifié d’un set assez court (pas plus de 40 minutes) mais à l’intensité toujours croissante.
Cut Hands est avant tout un projet qui allie musique et approche visuelle. William Bennett joue sur le côté, derrière un laptop et sûrement deux ou trois autres choses inutiles qui ont échappé à mon regard, alors que le fond de la scène est occupé par un écran sur lequel sont diffusées des vidéos en noir et blanc, à l’image granuleuse et sale : dans un premier temps elles ne montrent que des cut-ups à base de formes plus ou moins abstraites et d’images de provenance inconnues tournées en Afrique puis c’est un véritable document qui défile sous nos yeux, documents sur lequel des hommes ingurgitent on ne sait quelle substance, leurs bouches et leurs nez dégueulant d’une bave gluante alors qu’ils se transforment en zombies défoncés. Un genre de rite lié à la transe et au shamanisme, sorcellerie et prise de pouvoir du corps et de l’esprit d’autrui.



Ces dernières images, aussi dures que captivantes, exercent un fort pouvoir d’attraction où se mêlent dégoût, plaisir et donc voyeurisme – on rejoint alors certaines des préoccupations de Whitehouse, surtout celui de l’époque où Peter Sotos pouvait encore y imposer ses visions et ses délires malsains. Si on s’appesantit autant sur les effets provoqués par les projections pendant le concert de Cut Hands, c’est parce qu’elles sont indissociables de la musique jouée par William Bennett.
Dans la droite et parfaite lignée de l’album, celle-ci est un mélange toujours renouvelé de polyrythmie et de nappes sonores déviantes, mélange  orchestré avec une finesse certaine, loin de toute volonté de frontalité cannibale et d’écrasement sans discernement. On surprend alors William Bennett à hocher de la tête, à taper du pied ou à serrer les dents et – quand même – à faire sa célèbre tête de gros méchant (ce qu’il n’est apparemment pas, vu le sourire qu’il arbora à la fin de son set et devant les applaudissements renouvelés du public). Cette finesse on la retrouve également dans le niveau sonore, plus que raisonnable ou en tous les cas sans commune mesure avec les déferlantes harsh ou power electronics – malgré un chouette passage bien tassé dans les suraigus.
Bennett module et fait évoluer sa musique, enchaine, construit et déconstruit avec toujours plus de subtilité, faisant parfois gronder certaines fréquences ou s’enchevêtrer les rythmes, dans un mouvement induisant une montée de la tension et de la violence (c’est à ce moment là que les images sur l’écran oscillent étrangement entre énigme et dureté). Cut Hands aboutit à une sorte de transcendance – transcendance musicale s’entend – de toute beauté, alors que sur l’écran la séance de shamanisme atteint également un niveau de folie paroxystique.




En première partie on a eu la joie de retrouver Yôko Higashi aka Hamayôko que l’on avait vue il n’y a pas très longtemps au sein de Gunkanjima ou en compagnie de Dehors Pythagore!, le projet de Gilles Laval. Là, elle joue seule, comme il y a un peu plus d’un an au même endroit (c’était en première partie de l’extraordinaire Aki Onda), sauf que cette fois la sauce prend un peu moins facilement.
Est-ce parce que l’ambiance de la salle est glaciale et le public moyennement passionné alors qu’il n’attend que l’arrivée de William Bennett/Cut Hands ? Est-ce parce que Yôko n’a pas revêtu de costume traditionnel japonais pour souligner encore davantage le décalage induit par le côté expérimental de sa musique confrontée à une certaine tradition chantée ? Je comprends aisément qu’au bout d’un moment on en ait soi-même assez de jouer avec les clichés, même si le but était de s’en moquer avant toute chose.
Yôko a donc un peu de mal, le public reste poli et distant – je ne sais pas si c’était prévu au départ mais elle enchaine toutes les parties de son set et ne laissera aucun blanc avant de prononcer un « merci » final. C’est regrettable parce que la fin du concert allait nettement en s’améliorant, le mélange dadaïste d’Hamayôko alliant electrobidouilles et mélopées japonaises sur fond de cut-up et de fausse légèreté finissant par faire son effet sur les deux ou trois derniers titres interprétés.