L’idée est tellement bonne que l’on se demande pourquoi elle n’a pas été concrétisée un peu plus tôt. Duo existant depuis 2007, ANBB est la réunion de Carsten Nicolai aka Alva Noto et de Blixa Bargeld soit l’un des musiciens électroniques les plus importants de notre époque – tendance minimalisme, viande froide et systèmes d’équations à plusieurs variables – et le chanteur/guitariste/compositeur d’Einsturzende Neubauten (faut-il le rappeler). Alva Noto avait déjà eu recours à la parole en s’adjoignant le temps d’un excellent album (Unitxt en 2008) les services du poète sonore Anne-James Chaton. La scansion en mode énumération de ce dernier convenait parfaitement aux structures rigides et répétitives d’Alva Noto. On n’osait imaginer ce que pouvait donner cette même musique accompagnée de la voix si particulière d’un « vrai » chanteur, chanteur qui plus est de la trempe de Blixa Bargeld.
C’est désormais possible grâce à Ret Marut Handshake, EP publié par ANBB sur le très arty label Raster-Noton. Cinq titres et à peine une vingtaine de minutes dont le moment fort est incontestablement le morceau titre : Ret Marut Handshake développe toute la froide agressivité dont les deux musiciens sont déjà capables séparément, la déflagration mécanique est totale et le chant de Bargeld (en allemand, ce qui lui va nettement mieux que l’anglais) se fait l’écho de ses grandes heures au sein d’Einsturzende Neubauten. One* est la première accalmie du disque, une fausse berceuse – genre dans lequel Bargeld est devenu expert depuis Ein Stuhl In Der Hölle (album Haus Der Lüge en 1988) et qu’il n’a cessé de perfectionner depuis. Seulement la folie n’est jamais très loin et c’est bien son cri primal que l’on entend en fin de titre. Electricity Is Fiction, d’apparence désordonnée et bruitiste, est inquiétant et hypnotique avec ses samples et boucles de voix mêlés au pilonnage régulier et très technoïde d’Alva Noto. Bersteinzimmer est la seconde « balade » du disque, en fait une lente progression cinématographique avec instruments à cordes et servant parfaitement la théâtralité du chant de Bargeld. Mais comme le titre s’interrompt brutalement, comme avorté, le pathos n’a pas le temps de s’installer. Purement anecdotique, I Wish I Was A Mole In The Ground** est une sorte de comptine electro un peu agaçante. Une fin de disque donc un peu en queue de poisson, laissant comme un tout petit goût d’inachevé et de facilité. On espère que Mimikry – le premier album du groupe paraissant ce lundi 4 octobre, toujours chez Raster-Noton – reprendra le meilleur des idées d’ANBB, celles que l’on peut entendre sur Ret Marut Handshake et Electricity Is Fiction.
* de fait One est une reprise : à l’origine il s’agit d’une chanson de Harry Nilsson
** encore une reprise : I Wish I Was A Mole In The Ground est un air folklorique très connu repris par toute une flopée de bouseux