Depuis Descension, son précédent album, Aluk Todolo est devenu l’un des groupes les plus intrigants qui soit. On ne saurait tarir d’éloges à l’écoute de ce neo kraut dégraissé de toutes tentations hippies parce que passé à la moulinette du harsh (les éclats bruitistes sont le fait d’une guitare…) et relifté par une esthétique vaguement black metal (comme le laisse deviner le monospace du groupe), black metal qui est d’ailleurs la tribu d’origine des membres d’Aluk Todolo, ils ont joué ou jouent encore dans des groupes BM underground dotés de noms impossibles à retenir et dont je n’ai jamais entendu une seule note. Mais il n’y a plus rien de commun entre la musique d’éventuels adorateurs du Malin ou autres apprentis incendiaires sans imagination et la musique du groupe. Avec des moyens réduits – Aluk Todolo joue en formation guitare/basse/batterie, il n’y a pas de chant – et un langage finalement très simple – lourdeur, saturation, répétitivité, hypnose, destruction – le trio a réellement inventé quelque chose d’unique. Parfois la musique d’Aluk Todolo me fait penser à celle de Laddio Bolocko dans une version plus sombre et extrêmement ralentie et le titre Y Toros sur l’album Strange Warmings Of Laddio Bolocko n’est vraiment pas si éloigné que ça des reptations de Burial Ground ou Desease de l’album Descension d’Aluk Todolo.
Si Descension était un pur chef d’œuvre, Finsternis est une merveille et un affolement. Ce deuxième album publié en 2009 par Utech records (version CD) et Public Guilt (pour le vinyle) va encore plus loin que son prédécesseur que l’on pouvait déjà considérer comme une longue suite où chacun des quatre titres sont liés – l’erreur aurait alors consisté à réduire Aluk Todolo au seul premier titre de Descension, le violentissime Obedience – comme un parcours initiatique dans la noirceur (on entend un sample d’Aleister Crowley sur le dernier titre, Disease). Bref. Finsternis poursuit cette logique de l’implacable instauré par Descension – la liste des titres est sans équivoque : Premier Contact, Deuxième Contact, Totalité, Troisième Contact et Quatrième Contact – et l’écoute incessante et paradoxalement vitale du disque vous enveloppe plus que jamais dans une ganse poisseuse qui vous empoisonne directement dans vos chairs.
Musicalement Finsternis est donc ahurissant. La basse inocule sa lourdeur malfaisante, une lourdeur qui s’installe petit à petit, la guitare poursuit ses incantations bruitistes et le mid tempo cher au groupe tombe encore plus bas de quelques bpm. La batterie est l’élément le plus étonnant mais aussi l’élément moteur de Finsternis, on n’entendra tout du long des cinq titres qu’un seul rythme à deux temps, sans aucune trace de groove, martelé inlassablement jusqu’à la folie, et on ne doit trouver qu’un seul break réellement conséquent sur toute la longueur de l’album (un court passage en blast beat au tout début de Deuxième Contact). Plus minimal, plus répétitif, il n’y a jamais eu et il n’y aura sans doute jamais plus. L’effet de transe est total. L’horreur est absolue mais on ne peut s’en détacher, un peu comme Sutter Cane – un écrivain imaginé par John Carpenter pour son film L’Antre De La Folie et inspiré par H.P. Lovecraft – a tout le mal du monde à détacher son regard du gouffre insondable d’où surgissent les monstres et visions d’horreur qu’il croyait pourtant avoir imaginés uniquement dans ses livres. Saisissant.
Le son de Finsternis est l’unes des autres grandes qualités du disque, un son sale, visqueux et collant mais n’en rajoutant pas trop dans le lo-fi arty. Un son qui convoque les trois instruments sur le même terrain de jeu et dont l’ampleur va grandissante. Ainsi, apparaissant vers la fin de Premier Contact et se poursuivant sur Deuxième Contact, une ligne de basse obsédante éclate de plus en plus alors qu’en fait elle n’évolue pas d'un iota, on se focalise dessus comme on se balancerait à l’unisson d’une incantation. Une incantation c’est exactement l’effet que procure Finsternis et la bête que convoque cette dernière est déjà là et a la dent vraiment dure et les griffes particulièrement acérées : les morsures et plaies infligées par les hurlements de la guitare sont de celles qui ne se referment pas. Troisième Contact relève carrément de la brulure au napalm (avec une guitare très black metal cette fois ci) alors que Quatrième Contact est la lourde porte – cette basse au début ! – qui se referme sur nous avant d’être abandonnés à notre sort. On imagine que si la violence de la musique d’Aluk Todolo s’estompe sur la fin c’est qu’il n’y a plus de vie non plus.
[et une nouvelle presque toute fraîche pour les admirateurs d’Aluk Todolo : le groupe est déjà en train d’enregistrer un nouvel album]