Pour bon nombre d’admirateurs de Justin Broadrick, Pale Sketches est la bête noire de Jesu, le disque que le britannique n’aurait jamais du publier. Mais il constitue aussi le disque le plus révélateur de quelques unes de ses plus secrètes aspirations musicales. L’annonce de la parution de Jesu – Pale Sketches Demixed sur le label Ghostly International (petite maison gentiment electro) en a fait tourner de l’œil à plus d’un : non seulement Broadrick souhaitait à nouveau ressortir ces bandes mais qui plus est il s’attaquait lui-même à leur dépoussiérage et à leur remixage. Pale Sketcher c’est lui et uniquement lui. Peut être conscient qu’avec Pale Sketches il n’avait donné à entendre qu’une collection erratique de démos et d’inédits inachevés, notre homme a retroussé ses manches pour se replonger dans ce matériau brut. Bien lui en a pris. Pale Sketches était soporifique et mal ficelé, son principal défaut était son côté bancal. Avec Jesu – Pale Sketches Demixed Broadrick va jusqu’au bout d’une logique sans doute inavouable à l’époque (2007) parce que trop ouvertement à l’opposé de tous ses précédents travaux et il est amusant de constater que Pale Sketcher – son projet le plus ouvertement electro, pop et shoegaze – voit le jour alors que Godflesh – son projet le plus dur, métallique et industriel – vient d’être réactivé pour une série de concerts. Plus que jamais notre homme n’aime pas rester enfermé.
Le son côté bancal de Pale Sketches est oublié. On constate juste deux catégories de titres composant ce nouveau disque. Mais les deux ont en commun ce fort parfum d’évanescence et de romantisme floral qui allie Cocteau Twins et electronica gazéifiée. La première catégorie est plus electro (Wash It All Away, Tiny Universe et sa ligne de basse irresistible et Dummy, très spatial). La seconde se concentre sur le côté pop, chanté et rêveur (Can I Go Now, l’excellent The Playgrounds Are Empty, le magique Supple Hope et Plans That Fade plus vaporeux que jamais). On y découvre un Justin Broadrick vraiment doué pour arranger une chanson. On admet les voix trafiquées avant de les aimer telles quelles car la mélancolie qu’elles dégagent est à la hauteur d’une instrumentation subtile et délicate. A l’exception de Dummy et Tiny Universe qui ont été inversés dans le nouveau tracklisting l’ordre des titres a été scrupuleusement respecté et on peut s’amuser à comparer plus précisément chaque version une à une. Et invariablement la comparaison se fait au bénéfice des relectures offertes par Jesu – Pale Sketches Demixed. L’écoute du premier titre Don’t Dream It est même très révélatrice : véritable calvaire auditif dans sa version initiale, ce titre devient dans sa nouvelle version la porte d’entrée idéale sur un disque inspiré et rêveur. Cela ne rend pas la réécoute de Pale Sketches a posteriori moins douloureuse mais on comprend une fois de plus que Broadrick était encore en train se chercher et qu’il a juste mis trois années pour y arriver. Précisons néanmoins que les fans les plus intransigeants de Broadrick – ceux qui lui reprochent toujours tant et plus les vapeurs d’éther de Jesu – n’aimeront pas d’avantage Pale Sketcher et ce Jesu – Pale Sketches Demixed puisque le musicien britannique n’était encore jamais allé aussi loin. Il n’empêche également que ce disque, considéré au départ que comme une récréation, pose aussi de sérieuses questions quant aux possibles et aux prochaines orientations des futurs travaux de Justin Broadrick. Comme un parfum entêtant et on ne peut plus alléchant.