Il aurait été fort plaisant d’appliquer à Faust quelque vieux principe de contradiction voire de dualité puisque depuis quelques années déjà il n’y a pas un Faust mais deux Faust : celui de Jean-Hervé Péron et Werner Zappi Diermaier et celui de Hans-Joachim Irmler. Le premier a publié en 2009 un C’est Com… Com… Compliqué plutôt réussi et le second a profité de l’année 2010 pour nous balancer un Faust Is Last sur Klangbad, le propre label de Irmler. On ne reviendra pas sur les querelles intestines qui ont rongé les rapports entre Péron, Diermaier et Irmler et d’ailleurs on n’en sait pas grand-chose. On sait juste que, par exemple, Amaury Cambuzat qui avait rejoint Faust avec Olivier Manchion au milieu des années 90 (tous deux étaient alors membres d’Ulan Bator) a préféré quitter le Faust de Péron et Diermaier en 2007*, lassé par toutes les frasques du Art-Errorist en chef.
On aurait donc bien aimé à propos de ces deux Faust reprendre le trop tentant schéma du Dr Jekyll et Mister Hyde, trouver une explication à deux balles reprenant le mythe originel, son romantisme teutonique et ses conséquences sur la nature humaine. Mais on ne peut pas. On ne peut pas parce qu’à l’écoute de Faust Is Last on ne peut qu’admettre que le Faust de C’est Com… Com… Compliqué ou Disconnected (pourtant digne d’éloges) ne vaut pas grand-chose comparé à celui emmené par Hans-Joachim Irmler et sa bande de mercenaires. Faust et Faust Is Last ne se contentent pas de faire revivre les grandes heures du premier album du groupe, de So Far, de Faust Tapes ou de Faust IV, ils accaparent tout l’héritage de ces enregistrements historiques, s’octroient un monopole sans partage et ne laissent même pas quelques miettes à Péron et Diermaier. Si l’esprit du Faust originel est à chercher quelque part c’est bien au milieu de ces vingt deux plages (reparties sur deux CD, l’objet est superbe) de fureur, de collages, de psychédélisme métallisé, de garage, d’incantations primales, d’indus et d’expérimentations loufoques tous azimuts. Faust Is Last est d’autant plus terrassant qu’il est suprêmement jouissif et complétiste (à son écoute on a ce sentiment de faire le tour complet et exhaustif de la question Faust, phénomène assez rare pour être souligné).
Le titre du disque ne laisse d’ailleurs guère de doutes : après ce disque à valeur testamentaire et terminale Faust sera définitivement considéré comme mort. Tout ce qui éventuellement suivra ne sera que pâle imitation, vague tentative et échec annoncé. Faust est mort, vive Faust !
* si Amaury Cambuzat est crédité sur C’est Com… Com… Compliqué c’est tout simplement parce qu’il s’agissait de vieilles bandes (2006) ayant initialement servi de matière première à l’album Disconnected (2007) publié conjointement par Faust et Nurse With Wound