vendredi 8 octobre 2010

Lucertulas / The Brawl























Commençons par un descriptif complet de l’objet du délit. En ces temps de misère matérielle et de recours récurrent aux mp3 comme source privilégiée pour abreuver la machine à musique, avoir un tel disque entre les mains est un vrai bonheur de petit occidental matérialiste. Imaginez donc une pochette de vinyle gatefold – ou plutôt une enveloppe cartonnée géante au format d’un LP (tu as eu la bonne idée d’acheter At Action Park de Shellac en vinyle il y a quelques années ? tu vois la gueule de la pochette ? et bien c’est la même) – avec dessus un dessin à gros traits représentant des individus de sexe masculin en train de se foutre joyeusement sur la tronche (The Brawl quoi) ou de tester la brouette japonaise à l’envers (si, au verso, regarde bien). A l’intérieur : un insert reprenant la même thématique pugiliste et comportant les paroles du disque dans un anglais tellement élaboré que même moi j’arrive à tout comprendre, un vinyle de 12 pouces et un CD. Le vinyle n’est gravé que d’un seul côté, sur la face muette s’étale la désormais habituelle illustration sérigraphiée – ici encore avec des gens qui se battent mais on a plutôt l’impression qu’ils s’embrassent pour de vrai. Chose extrêmement surprenante le CD ne contient pas la version (prête à être ripée en mp3) de l’album mais c’est le LP qui est le complément du CD : dessus on trouve quatre des neuf titres de The Brawl mais cette fois ci interprétés en italien. Les paroles de ces quatre titres en VO non sous-titrée sont imprimées elles aussi dans l’insert du disque mais inutile de préciser que du coup, là, je n’y entrave rien du tout.
Mais le plus important avec Lucertulas et The Brawl (que vous pouvez en plus vous procurer pour un prix très modique – 10 euros – auprès des labels, à savoir Robotradio records et Macina Dischi) ce n’est pas cet emballage de rêve mais bien le contenu, la musique. Lucertulas est un trio italien qui confirme que question noise rock pur et dur et option Chicago sound les transalpins n’ont vraiment plus rien à envier à leurs illustres modèles et prédécesseurs américains des années 90. Ce disque est un véritable plongeon dans le passé, un retour en arrière à la vitesse d’une centrifugeuse d’uranium enrichi piratée par un vilain et très méchant état terroriste du moyen orient. Ça pète. Ça fait très mal. Un rapide coup d’œil permet de s’assure que non, ce disque n’a pas été enregistré chez le binoclard ou chez le petit gros de Chicago mais bien à Padoue, une belle ville pas très loin de Venise. Quel bordel. Pour être un peu plus précis on note aussi sur The Brawl une optique tourmentée à la Dazzling Killmen – rappelle-toi la première fois que tu as écouté Dig Out the Switch, rappelle-toi comme tu as pleuré en découvrant Face Of Collapse tout en apprenant que les Killmen venaient tout juste de se séparer, rappelle-toi comment tu as du te contenter de Recuerda pour te consoler de n’avoir jamais vu ce groupe sur une scène – mais l’atmosphère générale de The Brawl, si elle transpire la séance d’équarrissage et de mise à sac généralisée est tout de même nettement moins sombre que chez le groupe de Nick Sakes tout comme elle est moins labyrinthique et torturée. Mais écoutez un peu Carlo’s Nightmare ou The Widower, par exemple. Vous m’en direz des nouvelles.
Après, on peut se demander quel est l’intérêt d’un disque tel que The Brawl en 2010. Absolument aucun vous répondrait du tac au tac un vieux noiseux tendance canal historique (comprenez né avant 1974 ou alentours) et c’est ça qui est bon. Mais tous les grands anciens, sans s’être auparavant concertés autour d’un feu de camp ni s’être ramolli la cervelle au calumet de la paix, sont unanimes pour dire que oui, Lucertulas est l’un des groupes de l’année et que The Brawl est également l’un des disques de 2010. On n’en est plus à un revival près, celui-ci me parait nettement plus sain et vital que les putasseries synth-prog qui hantent la musique post moderne branchouille actuelle et après il faudrait aussi m’expliquer quelle peut bien être l’utilité – dans ce cas parler d’utilité c’est pire qu’être insultant – d’une musique comme celle-ci en dehors de faire passer un excellent moment et d’électriser tous les sens de celui qui l’écoute. C’est exactement ce à quoi parvient The Brawl. C’est le grand retour de la musique cathartique. Essentiel.