lundi 13 décembre 2010

The Redneck Manifesto et Crëvecoeur au Sonic (11/12/2010)

















Les organisateurs nous avaient promis une soirée mémorable, bourrée d’émotions musicales et de surprises, une soirée à ne rater sous aucun prétexte : lorsque je débarque pile à l’heure sur la péniche qui abrite (tant bien que mal) le Sonic, il y a du monde, le bouche à oreilles a bien fonctionné. Il y a même quatre fois plus de personnes qu’au plus fort du concert du jeudi précédent – Hallux Valgus et Gate n’ayant attiré ce jour là que quatorze malheureux péquins – ce qui est déjà une première bonne surprise. Moi j’en ai tout simplement bien chié pour traverser cette ville de lumières et de pyrotechnies pour cause de semaine des fêtes du 8 décembre, j’ai failli écraser quelques touristes enguirlandés qui trainaient par là, des mères de famille bien sous tous rapports (MILF en anglais), des pères de famille travailleurs actifs, des stagiaires concernés, des retraités résignés, des grands parents nostalgiques. Bref.
Donc il y a foule au Sonic et le concert finira même très rapidement sold out. Mais pourquoi un tel engouement ? C’est qu’aujourd’hui nous allons assister au grand retour en ville après quelques années de silence et d’absence de The Redneck Manifesto et qu’entre les irlandais et Lyon c’est plutôt une longue histoire d’amour (on se rappelle que Modern City records n’est pas pour rien dans l’édition triple LP de I Am Brazil alors que d’autres ont encore en tête les effets persistants de concerts mémorables). La soirée est complétée par les Crëvecoeur de Nancy qui ont accompagné The Redneck Manifesto sur toute une mini tournée française d’automne ainsi que par Sheik Anorak/ Franck Gaffer en guise d’amuse-gueule. Encore lui ? Et oui : les esprits les plus moqueurs n’auront pas manqué de remarquer que depuis le début de la semaine ce ne sont pas moins de trois concerts qui se sont déroulés avec le même bonhomme – lundi et Kandinsky, jeudi et Hallux Valgus et enfin ce samedi avec Sheik Anorak, mettant ainsi un point final à l’édition 2010 du Gafferthon.























Mais que voulez vous, quand on aime on ne compte pas et moi je l’aime bien ce gars là. Et je suis bien impatient de savoir quelle version de Sheik Anorak il va nous servir ce soir. Je suis d’abord quelque peu déçu car il ne réitère pas le versant hyper noise et répétitif qu’il nous avait servi une fois précédente (en première partie de Liturgy au mois de septembre dernier) en jouant sur des motifs insistants et quasi bruitistes jusqu’à friser l’horreur convulsive. Mais je me calme rapidement sur mes exigences car, tout en reconnaissant parfaitement les titres joués, je constate également qu’ils ont été réarrangés, un petit peu remodelés. Moins de nervosité noisy, plus de guitare en mode planeur et encore une fois un bon concert.
Le petit plus c’est que Sheik Anorak a décidé d’innover sur un quatrième titre et plus particulièrement au moment de son final lorsqu’il se met à chanter – une grande première pour lui – mais à chanter sans micro, à la limite de la justesse, alors que la musique se détache de plus en plus en filigranes et que la batterie s’étiole elle aussi. Une bonne idée dont j’espère qu’il ne choisira pas de la laisser tomber. Après le concert, interrogé sur le côté plus aéré de sa prestation du jour, notre homme répondra qu’il a eu en effet l’idée de s’adapter quelque peu à l’esprit de la soirée pour voir s’il en était capable. Donc oui, Sheik Anorak sait aussi faire ça tout en gardant son identité propre. Mais j’arrête tout de suite les compliments sinon on va encore m’accuser de collusion.
















Crëvecoeur est un groupe originaire de Nancy un peu trop facilement rangé dans le tiroir post rock à mon goût. Il est vrai que la musique du trio (mais des fois ils sont un peu plus nombreux sur scène) est instrumentale, cinématographique voyageuse et que l’instrumentation est non seulement variée mais également inhabituelle. Chaque musicien joue d’ailleurs de plusieurs instruments : la violoniste du synthétiseur ou du mélodica, le batteur de la guitare ou du synthé et surtout de la trompette et le guitariste de la batterie et même un peu de thérémine.
La musique de Crëvecoeur est en outre l’une des plus évocatrices et sensibles que je connaisse, mélange de mélopées presque enfantines, de divagations rêveuses et d’emprunts aux musiques de westerns. Les deux albums du groupe sont aussi magnifiques l’un que l’autre et qui plus est ils ont été réunis il y a un an grâce à Denovali records sous la forme d’une édition en double LP absolument incontournable.
Sur scène la petite magie intimiste de Crëvecoeur fonctionne à plein, les thèmes musicaux vous extirpent quelques frissons et vous feraient presque devenir nostalgique de quelque chose qui pourtant n’a pas réellement existé – le groupe évite ainsi toute mélancolie mais aussi tout débordement lacrymal en générant une fantasmagorie sans suite, comme s’il lui ôtait en même temps toutes ses facultés d’étalages. Certains reprochent à Crëvecoeur de ne pas prendre beaucoup de risques, de rester uniquement dans les limites du vocabulaire de la vignette et de la ritournelle de boite à musique. Bien au contraire, le groupe a compris que le pathos et le surlignage pouvaient être le pire ennemi de toute musique instrumentale et procède donc par petites touches successives, comme pour donner quelques contours à un tableau impressionniste.
















The Redneck Manifesto débarque comme en terrain conquis. Crëvecoeur n’a même pas fini d’enlever tout son matériel et les irlandais n’ont même pas commencé à s’installer le leur qu’il y a déjà une cinquantaine de personnes fanatiques collées devant la scène à attendre que The Redneck Manifesto démarre son set. Le groupe, vieux champion d’obédience math rock/post rock a une réputation qui le précède et donc à tenir, il va alors s’y employer tout comme il faut en alignant une set list en forme de best of et parcourue (mais pas trop) ici ou là de titres inconnus et que donc j’imagine être extraits de leur album Friendship publié cette année.
Tout est quasiment parfait, communicatif, dynamique, groovy, sautillant (à l’image du bassiste qui passe les trois quarts du concert à faire des pointes comme une ballerine) et les membres de The Redneck Manifesto sont aussi généreux et prodigues qu’avant – enfin des irlandais qui ne connaissent pas la crise. Ce même bassiste explique dans un moment de grande euphorie que lui et ses petits camarades sont vraiment contents d’être là avec un public au taquet, que cela les motive toujours plus alors qu’avec l’âge jouer à fond est devenu moins évident pour eux, merci, merci et merci. Le public applaudit, ravi, ravi et ravi de se faire ainsi caresser dans le sens du poil.
















Alors quelques bémols quand même ? Et bien soit : heureusement donc que le bassiste ne chante pas sinon il se prendrait très certainement pour le nouveau messie (celui que tu veux, les messies ce n’est pas ce qui manque dans l’histoire redondante des religions). Le guitariste de droite nous sort parfois de drôles de sons de sa guitare, drôle est un euphémisme qui cache difficilement quelques avalanches de notes bien trop progressives à mon goût. Et puis – piège difficile à éviter lorsqu’on fait de la musique instrumentale un tant soit peu groove et festive – un peu de démagogie pointe son nez, groupe et public chantent en chœur le leitmotiv de The Dillon Family Dancers par exemple (un titre forcément très populaire de The Redneck Manifesto alors qu’il est très loin d’être son meilleur, avec tous ses relents jazz rock mollasson).
Bien évidemment je dis tout ça uniquement pour avoir le plaisir de faire la fine bouche, moi aussi j’ai une réputation à tenir. On a quand même eu droit à deux malaises et aux ambulances de pompiers mais ce fut un bon concert, bien chaud, avec plein de filles dans le public, de la bière fraiche et la soirée s’est prolongée jusqu’à très tard dans une ambiance parfaite de boum 90’s (plus quelques vieilleries telles que Blondie qui ont heureusement rehaussé le niveau).

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