J’ai pris le calendrier, j’ai coché les jours où il y a un concert qui m’intéressait, j’en ai barré quelques uns pour cause de restrictions budgétaires drastiques ou d’incompatibilité d’humeur (Jon Spencer Blues Explosion le 08 décembre au Ninkasi, Motörhead le 14 à la Halle Tony Garnier) et j’ai fait les comptes : il reste quand même cinq concerts auxquels je tiens vraiment, coincés sur une période de dix jours. Et, comme je n’ai absolument pas envie d’être raisonnable, je vais donc aller à tous.
Ce soir direction le Grrrnd Zero à Gerland pour un concert fleuve. Une affiche présentant Volcano The Bear (dont c’est le troisième passage à Lyon), les héros d’Ahleuchatistas, les locaux de Kandinsky, la surprise du chef en la personne de Faux Amis et – rajout de dernière minute – Will Guthrie qui initialement était programmé par la librairie Grand Guignol mais, devant l’absurdité de la situation, l’australien a été transféré sur cette soirée déjà bien chargée. On récapitule : cinq groupes ou musiciens cela peut paraitre beaucoup mais non seulement les concerts ne commenceront pas trop tard mais qui plus est l’organisation du jour aura configuré la salle de façon à ce que les sets s’enchainent sans trop de temps morts. Je serai au fond de mon lit avec quelques étoiles dans les yeux aux alentours de une heure et demi du matin seulement…
Kandinsky ouvre la soirée et je suis assez curieux du résultat : le trio est l’un des multiples projets de Franck Gaffer (ici à la batterie et à la bidouille) et a changé de formule un nombre conséquent de fois. Au départ duo (avec un guitariste), Kandinsky est passé par la case quintet avant de se retrouver à quatre et aujourd’hui ils sont donc trois avec l’adjonction d’un saxophoniste absolument pas inconnu de nos services parce qu’officiant dans RYR, excellent trio free gravitant dans les sphères du Grolektif. Le bassiste a lui intégré Kandinsky depuis quelques temps déjà et c’est lui qui jouait également avec monsieur Gaffer au sein de Lewis Karloff (RIP).
Kandinsky se veut un trio free d’improvisation, on sait que depuis quelque temps c’est un peu la marotte de Franck – avec pour preuve éclatante son autre trio avec Weasel Walter et Mario Rechtern : ils viennent tout juste de sortir un nouveau LP dont on reparlera très bientôt – et bien lui en prend car Kandinsky nouvelle formule s’est révélé des plus réjouissants. La communication entre les trois musiciens à l’air de bien fonctionner, le rendu est dynamique, c’est plein de fantaisie et le trio joue avec un plaisir évident. De plus, c’était vraiment agréable de revoir enfin ce saxophoniste qui a toujours plus d’un tour dans son sac mais celui qui m’a le plus impressionné c’est le bassiste qui arrive à moduler sa façon de jouer et à varier ses effets avec un mélange de décontraction et de détachement auquel il ne faut pas se fier. Le contraste avec le saxophoniste qui a l’opposé de la scène aime visiblement faire le pitre est assez drôle
De l’autre côté de la salle on remarque un kit de batterie avec des sièges installés autour en demi cercle. C’est là que Will Guthrie va assurer son solo de batterie (même si on peut souvent lire à son sujet this is not a drum solo), entouré d’une bonne partie du public qu’il va réussir à captiver. Ah ouais, un type qui joue tout seul derrière une batterie, sans avoir recours à quelques subterfuges et autres moyens électroniques ça ne vous fait pas envie ? Et bien vous avez tort.
D’entrée Will Guthrie instaure une dynamique qu’il n’aura de cesse de renforcer, semblant jouer toujours plus fort, toujours plus vite, toujours plus sec. En fermant les yeux on peut réellement se poser la question du nombre de batteurs en train de jouer à ce moment précis mais justement on ne veut pas fermer les yeux : regarder Will Guthrie jouer est un réel plaisir, bien au delà de la prouesse technique – quoique, le coup du break enchainant coups sur un tom et coups sur le ride à l’aide d’une seule baquette tenue en son milieu et uniquement par la grâce d’une rotation du poignet, je pense que je m’en souviendrai pendant encore longtemps.
Sans s’arrêter de jouer Will Guthrie enchaîne une seconde partie plus axée sur les cassures et utilisant divers accessoires (surtout des cloches ou un ressort) mais fait toujours preuve de cet incroyable dynamisme, comme un flot continu que l’on ne peut pas arrêter et c’est proprement diabolique. Une bonne surprise et (peut être) une grande découverte.
Nous sommes nombreux à les attendre ce soir : les Ahleuchatistas sont de retour. Et si l’impatience est palpable c’est que désormais le groupe est devenu un duo guitare/batterie après le départ du bassiste Derek Poteat qui n’a donc pas été remplacé. Un peu d’anxiété tout de même : la nouvelle formule fonctionnera-t-elle en concert ? Le début du set est un peu laborieux, il faut bien l’avouer. Shane Perlowin est maintenant obligé de manipuler une loop station et de jongler avec ses boucles, ce qui ne facilite pas forcement l’élasticité et la virevolte que distillait Ahleuchatistas sur des albums aussi essentiels que What You Will et Even In the Midst (Cuneiform records) ou The Same And The Other (réédité par Tzadik).
La musique du groupe a forcément changé et dans ces cas là rien de tel qu’un point de repère pour se raccrocher aux branches : comme par enchantement le groupe joue alors Heraclitean, le titre qui figure sur le formidable split qu’Ahleuchatistas partage avec FAT32 (sorti chez Gaffer records – voyez comme le monde est tout petit), et non seulement on reconnait alors avec plaisir un titre déjà très fortement apprécié mais qui plus est la version qu’en donne le duo est extrêmement réussie. Bingo : le concert décolle instantanément, la machine est lancée et malgré quelques sonorités parfois plutôt étranges à la guitare ce sera du tout bon. Derrière sa batterie et torse nu, Ryan Oslance oscille entre la performance physique, le pilonnage sans pitié et le chaos imminent. Nous voilà donc rassurés sur la bonne santé du groupe et nous pouvons attendre le cœur tranquille la parution de l’album qu’Ahleuchatistas vient tout juste de terminer d’enregistrer.
Adulés par les obscurantistes, vénérés à Grrrnd Zero, les Volcano The Bear sont pourtant un groupe bien trop injustement méconnu. Les plus beaux secrets sont ceux qui sont le mieux gardés mais il n’empêche que des fois on verrait bien ces anglais à l’humour certain ramasser un peu plus le fruit de leur talent pour ne pas dire de leur génie. Aujourd’hui le groupe est en formation à deux et je regrette un peu l’absence de ce troisième larron qui, lors du premier passage de Volcano The Bear au Rail Théâtre il y a trois ans*, avait terrorisé les foules avec son sens de l’humour très sec et décalé. Il n’est pas là mais cela n’empêche pas les deux autres de nous offrir un petit peu de théâtralité et de faire les zouaves sur scène. Je retrouve toutefois avec le même plaisir la poésie absurde de ce groupe unique – oui j’ai honte : j’avais raté le deuxième concert de Volcano The Bear dans le salon de Grrrnd Zero quelque mois après le premier passage du groupe – et ses compositions oscillant entre folk sous champignons, freeture anxiolytique et décérébrage nonchalant.
Mais je ne sais pas quelle mouche a alors littéralement piqué l’un des deux musiciens qui avait l’air de trouver qu’une personne dans le public parlait trop fort pendant que lui jouait : il lui a d’abord fait une remarque – tout le monde a alors cru à une nouvelle mise en scène – puis un peu plus tard s’est mis à marteler sa batterie en le fixant méchamment et enfin est allé le voir pour lui hurler dessus un shut the fuck up retentissant. Inutile de dire que l’incident a immédiatement cassé l’ambiance, que le charme Volcano The Bear a été rompu fissa et que l’envie n’y était plus vraiment. Nombre de personnes présentes ont alors quitté la salle et c’est seulement devant une quinzaine de personnes que le groupe a tout de même joué un titre en rappel. Comme tout est bien qui finit bien, notre ours volcanique ira après le concert embrasser sa victime innocente, lui présentera ses excuses, le fera monter sur ses genoux, le serrera dans ses petits bras et proposera même de lui offrir un CD de Volcano The Bear…
C’est fini ? Non, pas tout à fait. Le flyer du concert annonçait également la présence de Faux Amis. Effectivement le garçon est allé installer son matériel en dehors de la salle accueillant les concerts, juste à côté du bar, là où il donnera une prestation très drôle sur ses capacités notoires à pratiquer le harsh dans un état d’alcoolémie avancé.
J’assiste jusqu’au bout à ce bite happening du lundi soir puis sors de la salle, direction le parking où je dois récupérer mon vélo. Alors que comme d’habitude je galère avec l’antivol j’entends une voiture qui s’arrête dans mon dos, je la devine aussi dans le reflet de la vitrine du Secours Populaire qui me fait face. Une voix sèche s’élève :
- Monsieur ? Police ! Qu’est ce que vous faites là à cette heure ?
J’explique que je sors d’un concert, que je reprends mon vélo pour pouvoir rentrer chez moi et je montre mes papiers puisque on me le demande aussi. La voiture et les flics finissent par partir mais je les recroiserai un peu plus loin, à une rue de là, surveillant l’air de rien la direction que j’allais prendre. Je déteste ce sentiment persistant de malaise qui me pousse à penser que l’on a de moins en moins le droit de faire ce que l’on veut sans avoir l’air suspect et dangereux. Pourtant récupérer son vélo sur un parking pourri à une heure du matin, hein…
[quelques photos du concert à regarder ici]
* est écrit dans ce report : « d'ailleurs il ne faut jamais faire confiance à une bande d’énergumènes qui manient le non-sens aussi bien que l’absurde sinon c’est le plaisir assuré » – maintenant j’aimerais bien comprendre ce que j’ai bien voulu dire par là… sans doute rien du tout