Mesdames et messieurs les Cheveu-sceptiques, il va clairement falloir changer d’attitude et d’opinion au sujet de ce groupe basé à Paris et de sa musique jusqu’ici quelque peu capillotractée. Je suis bien d’accord pour dire avec vous que le premier album du groupe était bourré de trous d’air et de moments d’égarement et qu’il aurait tout juste pu remplir un honnête EP de quatre titres. Autant dire que le cas Cheveu semblait réglé d’avance, emballé c’est pesé, que cela n’allait pas faire un(e mise en) pli, un bon coup de brushing, une coloration sur les racines et on n'en parle plus. Mais Born Bad records n’est pas Josie Salon De Coiffure Pour Dames – le label a pourtant prouvé qu’en sortant les disques de Frustration il aimait la musique pour garçons coiffeurs dépressifs – et a décidé de persister et de faire confiance aux trois petits gars de Cheveu, sûrement parce qu’ils le valaient bien. Ou alors on peut dire qu’ils ont le nez creux chez Born Bad, plus que moi en tous les cas, qui jusqu’ici suis complètement resté insensible et méprisant à l’égard de ce groupe.
Il s’en est donc fallu de peu pour que Cheveu me passe totalement au dessus de la tête et que 1000 – c’est le nom du nouvel album du groupe – n’atterrisse même pas dans le réservoir à mp3 de l’ordinateur familial où il serait resté à moisir avant de sombrer dans l’oubli. C’eût été une profonde erreur. Le fossé qui sépare le premier album de Cheveu de 1000 est aussi large et profond qu’une raie au milieu d’un crâne d’énarque polytechnicien en fin de carrière ministérielle. Des hits, ce nouvel album en comporte largement plus de deux par face (premier bon point) et, entre ces éclats fulgurants de luminosité décadente, les titres, disons intermédiaires, ne font pas plus office de remplissage qu’ils ne font penser à une salle d’attente. Il y a effectivement des titres qui passent difficilement la rampe – Sensual Drug Abuse et sa bouillie hip-hop – et d’autres qui laissent un peu froid mais, à l’image de la pochette du disque qui pour la première fois dans l’histoire discographique de Cheveu est aussi soignée que colorée, 1000 tient enfin les promesses d’un groupe qui jusqu’ici se montrait incomplet et décevant.
Pourtant les recettes de Cheveu n’ont pas réellement changé entretemps, on reconnait immédiatement le groupe – une qualité de plus en plus rare à notre époque de standardisation maximum – alors pourquoi ce revirement ? Tout simplement parce que le groupe a enfin boosté son songwriting (on l’a déjà dit : c’est ce qui explique la surpopulation de tubes sur le disque : Quattro Stagioni, Charlie Sheen, Impossible Is Not French, Ice Ice Baby, Like A Deer In The Headlights, My First Song, Bonne Nuit Chérie) au point de faire passer au second plan le côté souvent énervant du chant. Cheveu a su également maîtriser son son de gamelles lo-fi, a appris à mettre les petits plats dans les grands sans passer pour des hipsters clinquants ou des crevards racoleurs. Et des arrangements assez subtils arrivent même à vous arracher quelques frissons de midinettes (les cordes impériales sur Quattro Stagioni, No Birds ou Bonne Nuit Chérie).
Donc voilà, 1000 c’est la même chose qu’avant mais en beaucoup mieux. Ce n’était pas beaucoup plus difficile que ça. Et je reconnais mes torts : ce qu’il me fallait, c’était une bonne coupe de nouilles, bien dégagée autour des oreilles.