jeudi 28 juillet 2011

Charlemagne Palestine / Strumming Music





A en croire les exégètes, les multiples tentatives biographiques et autres discographies commentées de Charlemagne Palestine, Strumming Music est resté pendant très longtemps le seul enregistrement disponible ou tout du moins facilement trouvable du compositeur. La première édition remonte à un vinyle paru en 1974 sur le label Shandar de Daniel Caux. Cette nouvelle version datée de 2010 et sortie grâce à tous les efforts du label belge Sub Rosa propose elle pas moins de trois CDs.
« Strumming », pour les chipoteurs, est un terme qui s’applique à la guitare (le fait de balayer les cordes de l’instrument pour en tirer des accords, en fait tout le monde fait du strumming sans le savoir, comme n’importe quel crétin qui parle en prose dans la plus pure ignorance. « Strumming », dans le cas de Charlemagne Palestine et de son indéfectible piano Bösendorfer indique la façon de jouer du musicien, ce martèlement incessant des touches du clavier qui finit par créer un flot continu, les résonances des notes ainsi jouées se correspondant les unes avec les autres, pour aboutir à un raz-de-marée sonore unique en son genre et qui emporte tout. Ceci n’est pas du drone au sens de La Monte Young ou Phill Niblock – puisque les notes et les accords sur un piano ne peuvent pas être tenus, d’où la nécessité du « strumming » – mais a fort à voir avec la musique minimaliste (celle que Reich a popularisée dans les 60’s). Ceci n’est pas du drone (donc) mais finit par s’en rapprocher étonnamment, du moins dans les effets occasionnés, puisque toutes ces successions de notes jouées de plus en plus vite et de plus en plus fort au piano aboutissent à un intense magma sonore dérivant longuement et lentement et ondulant sans cesse (en volume comme en hauteur). Ecouter Strumming Music (à très fort volume évidemment) c’est tenter une expérience musicale et physique qui relève de l’extase. On remarque également un débauche d’énergie – celle du musicien/interprète, toujours secondé par une bonne bouteille de Cognac et ses fidèles peluches – qui contredit l’idée de drone dans le sens zen du terme, on préfèrera donc parler de transe.
La transe, elle continue sur les deux autres CDs de l’édition Sub Rosa de Strumming Music. Sur le CD n° 2 on trouve une version interprétée au clavecin et enregistrée en 1977, expérience s’il en est car les cordes pincées propres à la mécanique du clavecin sont à la fois un atout (percussif) et un frein à la création du magma sonore espéré et attendu. Les harmoniques dégagées sont très différentes que lors de l’utilisation d’un piano par Palestine et sans doute l’interprète de cette version au clavecin – Betsy Freeman – a-t-elle trop compté sur la mécanique de l’instrument pour pallier à son propre manque d’énergie. En fait on se rapproche ici des pièces les plus « rythmiques » d’un Steve Reich (dont la plus connue : Music For 18 Musicians). Le constat avec le CD 3 est différent : Strumming Music interprété par un ensemble de cordes (dirigé par John Adams), en 1977 également, se développe au contraire énormément sur les harmoniques. Les cordes sont jouées à l’archet, en glissendo, donc les notes sont soutenues, les résonances et les mélanges harmoniques persistants. On se situe ici, plus précisément que sur les deux versions précédentes, dans le registre du drone à strictement parler – on pense bien sûr cette fois à Young mais surtout à certains de ses acolytes d’alors, John Cale et surtout Tony Conrad bien que l’attaque initiale et le développement de cette version soient très doux et éloignés du volume grinçant et imposant habituellement expérimenté par les deux musiciens sus-cités. Quoi qu’il en soit, ni cette version pour cordes ni la version au clavecin ne peuvent égaler la version initiale au piano à la fois sur le plan de l’intensité et du continuum sonore. Toutes deux ne sont donc à considérer que comme deux intéressants bonus qui ont tout de même l’inconvénient majeur d’avoir transformé Strumming Music en triple CD avec les conséquences prohibitives que cela implique forcément au niveau du prix de ce disque (en plus les versions 2 et 3 pouvaient largement tenir sur un seul et même CD).