Chris Watson
est un musicien extraordinaire même si d’aucun lui refuserait volontiers ce
statut méritant. Notre homme a pourtant fait ses débuts au sein de Cabaret
Voltaire et a activement participé à l’enregistrement de disques aussi
essentiels que Mix Up (1979), The Voice Of America (1980) et Red Mecca (1981). Au sein du groupe de
Sheffield il était essentiellement chargé des machines c'est-à-dire le plus
souvent (et en plus des synthétiseurs) de la manipulation de bandes
préenregistrées. Avec le départ de Chris Watson Cabaret Voltaire a irrémédiablement
perdu son caractère post punk pervers – l’incroyable single Nag Nag Nag – et ses velléités
industrielles. Tous ces disques ainsi que l’immanquable et obscurantiste
coffret Methodology 74/78 ; Attic
Tapes sont toujours trouvables du côté de Mute records. Pour les gens
pressés on peut toujours conseiller la compilation The Original Sound Of Sheffield 78/82 avec l’excellent Do The Mussolini (Headkick) en guise de
tête de gondole.
Mais depuis Chris Watson a dévié de sa trajectoire
initiale. Toujours passionné de sons il s’est spécialisé dans la captation de
ceux-ci. Les pochettes de ses disques décrivent avec moult détails quels
microphones, câbles et enregistreurs Watson a utilisés pour capter tel ou tel
son. Car les disques plus récents de Chris Watson – la plupart chez Touch
records – c’est précisément cela : de la prise de son et des paysages
sonores. Un disque tel que Outside The
Circle Of Fire (1998) documente uniquement des bruits d’animaux captés dans
le monde entier. Et lorsqu’on parle de bruits d’animaux on ne parle pas
seulement de leurs cris, entre autres choses on s’émerveille à chaque fois de
cet enregistrement qui donne à entendre les remous de l’eau provoqués par un
squale replongeant soudainement dans les profondeurs de l’océan. L’abstraction
sonore est à son comble et si on ne savait pas que c’est un squale qui a
provoqué ces bruits cela n’y changerait rien. Malgré les détails techniques et parfois
géographiques – latitude, longitude, altitude, etc. – fournis on n’écoute qu’un
son et on comprend que l’acte de prise de son est un acte créatif comme un
autre, avec ses mystères et ses explications.
Chris Watson a ainsi élevé la prise de son et sa
restitution/diffusion au rang de création ce qui bien sûr défrise les mélomanes
et les tenants de l’instrumentation au sens strict et classique du terme. Ce
qui a amené notre homme à une certaine notoriété : par exemple son disque Weather Report (2003) est adulé par tous
les curateurs de musées d’art contemporain du monde mais moi je lui préférerai
toujours Outside The Circle Of Fire
qui est de très loin le plus beau de toute sa discographie.
Chaque nouveau disque de Chris Watson tourne
autour d’une thématique plus ou moins extensible (donc, on a déjà
énuméré : les animaux, la localisation géographique et la météorologie) et
El Tren Fantasma – publié à la fin de
l’année 2011 par Touch – n’échappe
pas à la règle. El Tren Fantasma a
effectivement été enregistré dans de multiples situations lors d’un voyage au
Mexique et tourne autour des trains. Un « thème » universel tant les
bruits de trains nous sont familiers. Mais ceux de Chris Watson sont une
nouvelle fois étrangement poétiques. Historiquement El Tren Fantasma a également un intérêt puisqu’il collecte des sons
captés sur une ligne ferroviaire (exploitée par les Ferrocarriles Nacionales de México) qui
reliait l’océan Pacifique à l’océan Atlantique, Los Mochis à Vera Cruz et qui
n’existe plus. Un train fantôme, donc (« fantasma » en espagnol) et
un voyage figé dans l’immobilité de ce qui a disparu à jamais.
Or El Tren
Fantasma reste d’une totale vitalité. Chris Watson a même pour la première
fois depuis très longtemps manipulé ses sons, les a mixés et a rajouté des
effets voire des sons autres qui donnent à El
Tren Fantasma un caractère musical auquel l’anglais n’avait guère touché
sur ses enregistrements solo précédents. Il est assez troublant de se laisser porter
par les fausses rythmiques induites par la mécanique ferroviaire comme sur El Divisadero (quatrième titre) qui
n’aurait pas à rougir de la comparaison avec une composition d’abstract techno.
Mais c’est plutôt du coté des pionniers de la musique sur bande qu’il faudrait
aller chercher une filiation, pour ce mélange entre finesse des compositions et
expressivité rude des matériaux collectés. Avec El Tren Fantasma Chris Watson touche au plus près et surtout au
plus juste, s’offrant peut-être l’opportunité de faire évoluer son art de la
prise de son vers quelque chose de plus conventionnel mais de toujours aussi universel.