L’honnêteté intellectuelle – qui parait-il est un
facteur essentiel de crédibilité pour toute personne se targuant de vouloir
donner son avis sur la musique des autres mais, personnellement, je me fous
plus que jamais de toutes ces histoires de pertinence objective du jugement –,
bref, ahem, l’honnêteté intellectuelle me pousse à admettre qu’il n’y a qu’une
seule raison qui un jour m’a poussé à écouter Yetchalal, le premier album de UKANDANZ.
Cette unique raison s’appelle Damien Cluzel.
On a déjà croisé ce garçon et sa guitare baryton
avec Kouma, power trio de free noise basé à Lyon et, plus que jamais, je ne peux que chaudement vous recommander d’écouter le premier album sans titre de ce
groupe aussi extraordinaire que furieux ou bien, encore mieux, d’aller le voir
en concert*. Damien Cluzel, donc. J’en rajoute un peu – au risque de froisser
la modestie de l’intéressé – mais sans la présence de ce garçon dans le line-up
de Ukandanz, je serais sans doute resté complètement ignorant et fier de
l’être. Mais pourquoi cela ? Tout simplement parce que Ukandanz est
généralement classé dans la rubrique éthio-jazz/ethiopian rock.
Les petites cases à rangement c’est mal. Ceux qui
les inventent – genre les stagiaires marketing ou autres des maisons de disques
comme les chroniqueurs de disques – sont de parfaits incapables dotés d’œillères cloutées ; celles et ceux qui s’en servent aveuglément, espérant ainsi gagner
du temps dans leur choix musicaux mais risquant sans même s’en rendre compte
d’y perdre nombre de découvertes potentielles, n’en sont pas moins de parfaits
incapables eux-aussi. Essayons donc d'oublier cette étiquette en forme de croute
épaisse qui affuble la musique de Ukandanz de termes aussi insupportablement
simplistes et réducteurs que « musique ethnique » ou « fusion
entre musiques traditionnelles et européennes modernes ». Et écoutons…
… Il y a pourtant un peu de cela avec Yetchalal – attention descriptif
lapidaire et donc limitatif : de la musique tirant une partie de ses
racines à la fois du côté de l’Ethiopie, du jazz moderne et de l’électricité
contemporaine – mais, après, tout est une question de dosage et celui de
Ukandanz raisonne parfaitement à mes oreilles de mélomane obscurantiste et
exigeant. Emmené par la locomotive Aykèdashem
Lebé, Yetchalal est tout
simplement l’un des disques les plus enthousiasmants question transe et soleil
pour tout le monde et qu’il m’ait été donné d’écouter depuis longtemps. Un
enregistrement qui pourrait aussi bien convaincre les amateurs de rock sévère
voire bruyant, de jazz inventif et non sclérosé et de chant passionné. Du moins
celles et ceux qui enlèveront leur casque anti-bruit. Impossible en effet de
ne pas tomber instantanément amoureux d’un groupe et d’une musique qui parlent au
cœur tout simplement parce qu’elle s’exprime avec le cœur.
Les musiciens** de Ukandanz font ainsi preuve
d’une générosité mêlée à une rigueur qui forment un écrin sans égal au chant
extraordinaire de Asnaké Gèbrèyès. Le
bonhomme possède une sacrée présence, rien que sur disque. Et
que cette langue est belle, même si complètement incompréhensible à mes
oreilles d’occidental (mais on s’en fout un peu, non ?)... Et que ce chant
vous entraine également loin, très loin. La plupart des titres de Ukandanz sont des adaptations d’airs traditionnels – c’est Damien Cluzel, encore lui, qui généralement se colle à la lourde tâche des arrangements – mais n’ayez pas peur de ce que vous venez d’apprendre. N’ayez pas peur d’écouter Yetchalal et de l’aimer. Car ce disque est une merveille à découvrir absolument***.
Yetchalal a été publié l’année dernière en CD cher Buda Musique
mais a été réédité en vinyle en avril 2013 par Gnougn records**** ; malgré des
titres en plus sur le CD que sur le vinyle, ce dernier reste d’une qualité largement
supérieure question confort d’écoute et beauté inaltérable du support ;
précisons enfin – parce que c’est un gage de qualité sonore – que Yetchalal
a été enregistré aux feu-studios PWL, désormais relocalisés du côté de la Bretagne sous le nom de Kerwax.
* à ce propos, bande de lyonnais, Kouma sera en
concert le samedi 8 juin 2013 – ce soir donc – en compagnie de Radiation 10 au
Toï-Toï (17 rue Marcel Dutratre, à Villeurbanne)
** oui, il faut absolument citer le reste du
line-up du groupe : Lionel Martin au saxophone ténor, Fred Escoffier aux
claviers et Guilhem Meier à la batterie
*** et si quelqu’un à des noms d’enregistrements
de musique éthiopienne à me soumettre, que ce soit en musique traditionnelle ou
moderne, je suis preneur
**** un label dont on a déjà parlé à propos des affreux gamins d’Ultra Zook