lundi 17 juin 2013

Staer / Daughters




Le grand retour de STAER. Un peu paresseusement, je m’apprêtais purement et simplement à renvoyer l’auditeur (et lecteur plus ou moins assidu de 666rpm/Heavy Mental) en direction de la chronique du premier album de ce trio norvégien. Mais cela aurait guère été généreux de ma part. Je concèderai peut-être qu’entre le premier album sans titre de Staer et le deuxième, mystérieusement nommé Daughters, il n’y a pas ce gouffre abyssal qui s’était ouvert sous nos pieds à la découverte du premier des deux, un gouffre insondable d’où s’échappaient des secousses telluriques et über-soniques comme on n’en avait plus entendues depuis trop longtemps, mais il serait injuste d’uniquement réduire Daughters, album marquant s’il en est, à l’aune de son déjà formidable prédécesseur.
Evidemment que dans le principe la musique de Staer n’a pas beaucoup changé – et c’est tant mieux. Mais on notera surtout que le groupe, tout en puisant dans ce qu’il a déjà magistralement accompli, est allé encore plus loin que précédemment. Comprenez bien que Daughters est un album encore plus fou, plus malade, plus tordu, plus bruyant et plus sismique que jamais ; mais il s’agit également d’un disque en apparence encore plus pensé, maîtrisé et – quelque part – de tout simplement démoniaque. S’il n’y a donc qu’un seul reproche à faire à Daughters, il est extrêmement infime : avec ce deuxième album l’auditeur marche en terrain connu. Mais pas pour très longtemps car ce terrain là est constellé de sables mouvants et de passages souterrains qui s’ouvrent sous ses pieds au fur et à mesure qu’il progresse au milieu d’une jungle sonore peuplée de grincements de machines infernales, de cris de monstres malades, de grondements de roches calcinées, de saturations métalliques et de plaintes innommables.
Car il ne se passe que peu de temps avant que l’on ne se rende compte que les trois Staer ont surtout accompli d’immenses progrès : le son de Daughters est encore meilleur (pourtant il s’agit toujours d’un enregistrement en prise directe), mélange de rudesse industrielle et de hurlements organiques ; puis le groupe nous enfonce des clous toujours plus loin dans le crâne et les constructions multi-sphériques de ses compositions atteignent des niveaux de complexité au départ insoupçonnés. La musique de Staer est en même temps extrêmement mouvante mais stable, changeante mais inexorable, globale – presque totalitaire – mais assoiffée de particularisme et  attaquant les sens de l’auditeur par l’intérieur comme par l’extérieur : avec Daughters vous vous retrouvez à la fois au cœur d’une musique qui vous enferme pour mieux vous emporter et à la fois complètement désarmé, comme foulé, laminé par une énorme grosse boule métallique changeant constamment de forme, de consistance voire de température et marquant de façons multiples et sans cesse renouvelées les chairs de ceux qui osent l’affronter.
On remarquera également les interventions à plusieurs moments clefs de Daughters du saxophoniste Kjetil Møster (Ultralyd), ce qui constitue une filiation assez claire et évidente entre Staer et la scène bruitiste/extrême – et non métalleuse – norvégienne (Ultralyd, donc, mais aussi Noxagt et MoHa!), scène dont Staer est actuellement l’ultime représentant et le dernier enfant légitime. Mais on citera également les groupes anglais qui ont secoué le monde durant les années 90 : des groupes tels que Ice/God – écoutez bien cette basse ! – mais aussi Terminal Cheesecake ou Skullflower pour le côté psychédélique maladif car déformé aux métaux lourds. Tout un tas de références qui inscrivent définitivement Staer parmi les grands groupes actuels en matière de musique apocalyptique d’autant plus, encore une fois, que Staer reste Staer c’est-à-dire un groupe qui en 2013 propose une musique aussi intransigeante que personnelle, insondable que magnétique, complètement  folle et littéralement mortelle.

[Daughters est publié en vinyle uniquement par Gaffer records – l’artwork du disque, des peintures signées Urd J. Pedersen, est absolument splendide avec une pochette transparente qui se superpose à la pochette cartonnée et donne également un effet mouvant fascinant]