Celui là de concert, je l’attendais avec une
impatience certaine. Trois groupes musicalement très différents les uns des
autres, un lieu sur les pentes de la Croix-Rousse où il fait bon venir écouter
de la musique et une bande de copains qui se sont décidés à organiser ensemble
une date pour permettre à un de leurs plus vieux et meilleurs amis de jouer
enfin sur Lyon. La soirée s’annonce bien et – c’est une bonne nouvelle – la
Triperie se remplira suffisamment pour donner à ce concert des airs de
réussite.
Arrivé sur place et les cinq euros de droit de
passage à peine payés à l’entrée, j’ai droit à une première bière gratuite, ce
qui n’est pas pour me déplaire : évidemment je ne me sens absolument pas
soudoyé ni influencé par une telle manifestation de générosité (juste l’impression
d’avoir un peu une tête de vilain soiffard). Les balances se terminent doucement
– comme d’habitude il y a du retard – et j’apprends ainsi que l’ordre
d’apparition des groupes sera le suivant : Forza Pschitt puis Kanine et
enfin MIM & Les Vosgiens.
FORZA PSCHITT – malgré un nom au ridicule certain
mais ça je crois que je l’ai déjà dit – est un groupe très sérieux composé d’un
batteur et d’un guitariste issus de Torticoli. Je commence à m’habituer à la
musique de ces deux-là c'est-à-dire, puisque c’est la troisième voire déjà la
quatrième fois que je vois et écoute Forza Pschitt en concert, que je reconnais
même certains morceaux lorsque le duo les interprète. Ça y est, j’ai ma carte
de vieux fans aguerri.
Le groupe en est lui au stade où il laisse un
petit peu de côté cet enthousiasme pétaradant et juvénile qui m’avait tellement
séduit la première fois, un stade où il approfondit toujours plus les détails fourmillants
de sa musique. Laquelle me semble de plus en plus mélodique, chargée de notes
et cependant jamais étouffante. Le risque serait de tomber dans l’excès
démonstratif – démonstration de petits doigts agiles et non pas démonstration
de force – or les deux Forza Pschitt instaurent une sorte de dialogue qui
relève de la passion partagée et qui, de l’extérieur, s’avère formidablement intéressant à
suivre.
Forza Pschitt joue une musique qui brûle et
qui pétarade – bien plus que du vulgaire math rock pour progueux refoulés et
éjaculateurs précoces – en ce sens qu’il se passe quelque chose pour de vrai,
que la logorrhée musicale de Forza Pschitt n’est ni stérile ni vaine et qu’elle
est peut-être bien du genre à ne pas s’arrêter en si bon chemin : plus
j’écoute ce guitariste et plus je me dis que ce garçon est un grand malade mais
heureusement qu’il joue avec un batteur qui derrière ses grimaces de chien fou
à l’air un peu plus sage que lui. Et encore.
KANINE
joue en deuxième. Kanine est un duo de free jazz composé d’Art au saxophone
ténor et de Sheik Anorak à la batterie. Le principe de fonctionnement du duo
est simple : jouer et voir ce qui ce qui se passe ensuite, des fois rien,
des fois tout. Un mélange de courage, sûrement d’inconscience et finalement de
plaisir.
Pourtant ce soir là Kanine est un peu à la peine, Franck/Sheik
Anorak jouant sur une batterie d’emprunt (et vraiment toute pourrie). Faisant
preuve d’une certaine sagesse, le saxophoniste préfère alors la plupart du temps choisir
le parti-pris des textures sonores et des mélodies contre celui de la ruade
purement free. Ce concert de Kanine est donc plutôt un moment flottant, souvent
intéressant mais contrairement aux deux Forza Pschitt, les deux musiciens de
Kanine semblent avoir un peu de peine à dialoguer, entre les efforts de l’un
pour s’arranger avec une batterie qui ne sonne pas et les idées de l’autre qui
ne prennent pas toujours vraiment forme.
En fin de set l’un des deux musiciens précise même
qu’il s’agissait de « Kanine fatigué » or il serait injuste de totalement
réduire la prestation qu’a donné le duo ce soir là à une demi-heure simplement en
demi-teinte : certaines volutes mélodiques du saxophoniste étaient très
intéressantes et parfois très belles bien que l'on puisse regretter qu’il faille toujours
à celui-ci un peu de temps pour se dérider, se débrider, avoir un peu plus
confiance et lui-même et en sa musique. Pourtant on sait bien qu’il en est tout
à fait capable, la preuve avec ce dernier titre joué en rappel et réclamé à
corps et à cris par un public bien réchauffé par une seconde partie de set
meilleure que la première ; un rappel pendant lequel les deux musiciens
ont enfin joué comme ils devraient toujours le faire, les yeux fermés peut-être
mais les regards convergeants, c’est sûr.
Arrive enfin MIM.
Tout ce bordel de concert a un peu été organisé exprès pour lui, pour qu’il
quitte Bruxelles et vienne jouer à Lyon, point de départ d’une mini-tournée. Il
est accompagné de trois musiciens – Les Vosgiens – dont deux jouent habituellement
dans La Pince, l’un des meilleurs groupes de post-punk-noise-ce-que-tu-veux
découvert et écouté ces derniers temps.
Et puis arrive forcément ce moment fatidique où
les réponses devraient tenter de prendre les mêmes chemins que les questions
bien que, en ce qui concerne As Far As I
Compute, le premier album de mim, un disque que l’on a ardemment défendu ici, cela semblait tout simplement
irréalisable. D’une part parce que As Far
As I Compute est un disque réellement incroyable et d’autre part parce
qu’il s’agit surtout d’un disque méticuleux question réalisation et
terriblement sophistiqué dans sa volonté (réussie) de noirceur. Pas facile de
retranscrire en concert un enregistrement aussi entier et aussi exigeant.
Tout le matériel déployé sur scène aussi ne manque
pas d’une certaine sophistication, à commencer par ce système de capteurs qui
transforme les mouvements de mim en déluges et autres dérèglements sonores (ce
qui le pousse également à entamer quelques chorégraphies mi-robotiques
mi-désarticulées et auxquelles je ne m’attendais absolument pas). Une technologie
qui, fait assez rare, ne vient pas à l'encontre ni n’encombre celui qui s’en sert. Voilà
quelqu’un qui sait ce qu’il veut.
Reste la prestation du groupe en lui-même, une
prestation contrôlée par un mim souvent très pointilleux mais qui finalement consent
à se laisse aller. Malgré des problèmes de son certains (pas assez de voix –
l’avant dernier titre joué se transformant carrément en pantomime muette – et
un peu trop de puissance du côté de l’ampli basse), mim & Les Vosgiens ont
été un parfait groupe live c’est à dira un groupe avec des défauts, des
manquements mais surtout un groupe qui a aucun moment a perdu de vue qu’il était
en train de jouer devant un public et que c’était bien là le principal. Un bon concert,
donc, sauf que, fort égoïstement, découvrir d’abord mim en live puis sur disque
aurait certainement été plus facile.
Je ne sais pas ce qui a ensuite incité le
principal intéressé, s’excusant presque de la (relative) courte durée du
concert, de prendre une guitare et de se lancer en solo dans une démonstration
bluffante de vieux blues. Dix minutes et quelques de finger picking, d’open tuning et
d’accords ancestraux. On m’avait déjà raconté que mim était capable de jouer
comme cela pendant des heures voire des nuits entières, comme un magicien.
Je remercie également les deux personnes qui tour
à tour sont venues me voir pour m’offrir un verre de whisky, prenant la peine
de préciser qu’il s’agissait d’un whisky bien tourbé et fort en goût et
qu’elles étaient sûres qu’il allait beaucoup me plaire. Effectivement. Mais je
n’avais jamais pensé avoir également la tête d’un mec qui aime particulièrement
le whisky tourbé […].
[quelques photos du concert par ici]