Un dernier concert pour la route. Ce soir c’est en
effet la toute dernière fois que le dénommé Bambino Versailles tentera de nous éplucher les oreilles de l’intérieur et de nous
donner un mal de tête conséquent avec l’organisation d’un concert comme lui
seul en a le secret : deux groupes – dont un de nationalité allemande –
que personne ne connait, une cave froide et humide – celle de Buffet Froid –
comme lieu d’accueil, un prix d’entrée dérisoirement bas mais quand même apparemment
beaucoup trop cher et une promo à la limite de l’agression impérialiste.
Résultat : seulement dix-sept personnes hystériques se sont précipitées pour
assister à l’un des concerts de l’année 2013. Et environ une trentaine d’autres
seront restées dehors, à parler de tout et surtout de rien, à boire des bières tièdes
et acides sur le trottoir d’en face tout en profitant de la douceur nocturne d’un
printemps enfin retrouvé.
Après cet enterrement de première classe, Bambino Versailles
retournera là d’où il n’aurait jamais du partir, se fera à nouveau dorloter par
maman qui l’attend depuis de trop longues années dans la ville-berceau de
l’absolutisme monarchique puis terminera avec succès ses études en escroquerie
organisée, parcourra les hautes sphères du business mondial et inventera un
nouveau concept à la mode d’inutilité collective à base d’individualisme
égoïste et d’exploitation de la crédulité des masses – quelque chose d’encore
plus fort que FakeZook et U-Teube réunis. Bonne chance, gamin.
Vous ne connaissez pas NICOFFEINE ? Moi non plus. Ou alors
à peine. Voilà un trio allemand originaire de Coblence, un endroit terriblement
accueillant voire plutôt joli pour une ville située à la confluence du Rhin et
de la Moselle : des vieilles pierres de partout, des arbres avec du vrai
vert dedans et, donc, Nicoffeine, un groupe de vieux tarés qui aiment jouer
plus fort que tout le monde. Le batteur s’active également dans un autre groupe
d’apparence pourtant tranquille, portant le doux nom de Jealousy Mountain Duo et
qui a déjà joué quelques semaines auparavant sur Lyon, faisant fuir parait-il
90% du public présent mais dommage je n’y étais pas, cette date tombant en
plein pendant mon séjour annuel à Vittel-Plage pour y recevoir mes soins
antirhumatismaux.
Mais revenons-en à Nicoffeine, soit des gens qui semble-t-il
aiment mettre des femmes à poil sur les pochettes de leurs disques, un groupe composé
d’un guitariste ressemblant à un vieux rocker en cuir – sans doute un fan de
Johnny Thunder ou de Guitar Wolf –, d’un bassiste amateur de jolies barbes et
de belles moustaches (et très attiré par mes rouflaquettes divines, cela fait
au moins quinze ans que je n’avais pas fait une touche à un concert) et un
batteur qui déborde dans tous les sens. Un groupe qui à première vue fait un
peu peur mais rassure également : ces types ont l’air beaucoup plus vieux
que moi et ça c’est toujours bon à prendre pour mon égo chancelant.
Après ce fut, comme on dit vulgairement, la grosse
branlée. Un assaut noise rock accompagné de spacecakes hawkindiens donnant
parfois un résultat pas très éloigné de ce que nos amis japonais désignent pas
heavy psychedelism c'est-à-dire que ça sature dans tous les sens mais qu’en
même temps ça pulse de la mort qui tue, la tête dans les nuages radioactifs
frelatés et les pieds immobilisés par une boue dégueulasse de gras. La dernière
partie du concert, plus aérienne voire complètement c(r)amée, n’empêche pas le
maigre public devenu complètement hystérique de réclamer un rappel, lequel ne
viendra pas – le bassiste lance même un « respect the other band, there’s
a curfew here and they need time too for playing their gig ». OK, tant
pis, au moins la soirée est déjà à moitié réussie et je suis presque sûr de
rester sourd pour les quinze prochains jours.
L’autre groupe s’appelle donc DEGREASER. Et c’est
lui que je suis venu voir ce soir. Tout ça parce qu’on y retrouve un membre de
Woman (le bassiste me semble-t-il, alors qu’il joue de la guitare avec Woman).
De Degreaser je ne connais que le premier album, l’effroyable et glauque Bottom Feeder, le genre de disque qui ne
t’incite pas à sortir de ton trou, qui ne laisse jamais passer la lumière et
qui t’empoisonne à petit feu.
Je passe les détails sur les problèmes de son et
de réglages de l’ampli guitare – Degreaser utilise le matériel de Niccoffeine
mais le groupe annonce qu’il va jouer moins fort parce qu’il veut que tout le
monde entende tous les détails de sa musique (!) – ni sur mon expectative en
constatant que le batteur frappe sur une batterie minimale comme une paye
d’ouvrier textile au Bengladesh. Par contre je ne saurais passer sous silence
le côté nettement plus garage – mais faussement enjoué – des titres joués par
Degreaser ce soir là. L’explication est pourtant simple : le trio de
Brooklyn a principalement interprété de nouvelles compositions qui figureront
sur le troisième album du groupe à paraitre courant 2013 et dont pour l’instant
on ne peut découvrir que quelques extraits via la page bandcamp de Degreaser.
Du boogie-blues bien garage et qui pue mais du
boogie quand même, pas très éloigné de ce que peut faire maintenant un Shield
Your Eyes en Angleterre mais sans le côté grande communion psychédélique et
rayonnante avec option l’option lutins stellaires, non Degreaser garde malgré
tout son côté sombre, raclé jusqu’à l’os, maladif, profondément drogué, malsain
et vicieux. Et si le groupe a mis un peu de temps à décoller, il finira
complètement dans le rouge, faisant fondre les lampes des amplis, acceptant de
jouer non pas un mais trois titres supplémentaires (genre I don’t give a fuck
with that curfew) et voilà tout le monde – on est toujours qu’une quinzaine
dans la cave de Buffet Froid –, qui se retrouve à genoux. L’oubli, le noir, la
mort.
[les photos de cette mémorable soirée de losers sont ici]