Ce n’était absolument pas raisonnable. Le lendemain
d’un concert aussi bruyant que mémorable et réunissant Nicoffeine et Degreaser,
l’appel du ventre se faisait à nouveau ressentir. Et en ce samedi soir il y
avait de quoi satisfaire les appétits les plus aiguisés avec au moins trois/quatre
concerts intéressants sur Lyon : David Grubbs en formation trio et
Kaumwald au Sonic, Abschaum et The Dreams au Kraspek ou bien Cougar Discipline
et Deux Boules Vanille à la Triperie. Que demande le peuple ? Du (free)
jazz bien sûr.
Mais pas n’importe
jazz quel non plus : celui, électrique, trépidant et infiniment noise
de Kouma et celui, orchestral, nuancée et impérial de Radiation 10. Le tout se
passait au Toï Toï de Villeurbanne et de là à dire que je me suis rendu à ce
concert précis uniquement parce qu’il se déroulait à moins d’un quart d’heure
du quartier général de 666rpm il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas. Non,
j’avais juste complètement envie de quelque chose de différent de la veille alors
tant pis pour tous les autres concerts, surtout pour celui du génial David
Grubbs. Une autre fois, peut-être.
Quelque chose de différent mais de toujours
très électrique. KOUMA c’est
le mélange des genres plutôt parfait. C’est même le mélange des genres qui vous
fait précisément oublier qu’il en est pourtant un, c’est dire s’il est donc extrêmement
réussi. Et tout le monde n’y voit que du feu, dans tous les sens du terme :
sans même crier gare Kouma assène avec une aisance et une puissance stupéfiantes
une musique qui allie les trépidations saturées du noise rock, la complexité un
rien cérébrale et alambiquée du math-rock et la furie organique du free jazz.
Et puis il y a ce son unique, propre à Kouma, un
son à base d’un saxophone et d’une guitare barytons – des sonorités d’un gros
grain grésillant et brûlant et des montagnes de tremblements, une tempête
sonore qui ne serait rien sans la richesse effervescente et agitée de
rythmiques endiablées et de structures de compositions toujours haletantes.
Ils savent vraiment ce qu’ils veulent les trois
Kouma et ils sont vraiment au point. Le saxophoniste a sorti le marcel parce
qu’il sait qu’au bout de cinq minutes il pourra participer au concours de
t-shirt mouillés et, tout comme lui, personne ne se laisse aller dans le groupe,
tout le monde est à fond malgré une audience très sage à laquelle il faut faire
face ; car il n’y a pas beaucoup de monde et chacun reste confortablement assis
sur sa chaise, plus ou moins trépignant sur place. Mais Kouma s’en fout éperdument,
le groupe joue toujours et encore, escaladant puis dévalant les pentes,
tutoyant les sommets, lacérant les airs et gardant toujours à l’esprit l’impérieuse préoccupation animale des musiques organiques que sont le (free) jazz et le
(noise) rock.
Au moment où vous lirez peut-être ces lignes Kouma sera au milieu d’une petite tournée : ce soir jeudi 13 le trio joue à Pau au Localypso en compagnie de The Balladurians (une orga des irremplaçables A Tant Rêver du Roi), le vendredi 14 le trio est à Bayonne avec The Enterprise au Kixkil Ostatua (merci La Souche Rock) et le samedi 15 à Angoulème/Le Karma avec l’excellent Tom Bodlin ; les lyonnais qui ont raté le concert du 8 juin au Toï Toï pourront se rattraper le 21 pour un concert gratuit – évidemment… – et en plein air place de la République, Lyon 2ème, aux alentours de 19 heures…
Après Kouma, changement complet de décor. A tous
les niveaux. RADIATION 10 est un groupe issu du collectif Coax et comme son nom l’indique le
groupe comporte dix membres. Alors je compte : un, deux, trois, quatre…
neuf. Je recommence, presque déçu : un saxophoniste, un violoniste, un
contrebassiste, un vibraphoniste, un claviériste (il joue du Fender Rhodes), un
batteur, un guitariste, un trompettiste et un tromboniste. Bon, tant pis. Cela
fait donc bien que neuf musiciens et mis à part le batteur et surtout le guitariste – déjà
croisé avec IRèNE, Q ou DDJ – je n’en connais aucun. Et cette histoire de
« déception » n’est bien sûr qu’une bague.
Radiation 10 est ainsi une sorte de big band protéiforme
et inventif ayant à sa disposition une palette de sonorités d’une richesse
bienvenue : les mélanges de timbres, les mélodies qui se croisent et les
entrelacs harmoniques sont au cœur de la musique du groupe. Sur le papier ce
genre de formation me fait pourtant un peu peur, la peur sans doute du
maniérisme orchestral adapté à une musique – pour faire vite : le jazz –
que je préfère quasiment toujours en petite formation. Or Radiation 10 m’enlève
rapidement tous mes doutes. Que ce soit lorsque les musiciens jouent tous ensemble ou que ce soit lorsque une poignée d’entre eux seulement se lance
dans un aparté, Radiation 10 ne perd jamais le fil d’une narration musicale qui
ne tombe ni dans l’illustratif ou l’imagier ni dans le pompeux et le
démonstratif. Une sorte d’orchestre de musique moderne, c'est-à-dire un groupe
collectiviste et bouillonnant d’idées qui puise son inspiration à l’aune de
multiples sources historiques mais qui donc ne se prive d’aucune direction à
explorer. Une vraie découverte.
Radiation 10 vient de publier un nouvel album dont
on reparlera sans doute, bientôt.
[quelques photos de ce concert par ici]