C’est un peu la malédiction du troisième jour…
Après un 21 juin pas loin d’être mémorable – et blindé question public – le
Festival Expérience(s) a connu un creux certain pour sa troisième et dernière soirée.
Au lendemain de la fête de la musique (sic), bien peu ont osé ressortir de chez eux
pour se frotter à une programmation encore plus éclectique mais aussi l’une des
plus exigeantes et difficiles de toute cette cinquième édition du festival (au moins sur ses deux premiers
tiers).
Avouons aussi que, du côté de la rédaction pourtant
prête à tout de 666rpm, même le doute s’est immiscé bien profondément dans le
crâne endolori du chroniqueur, tout ça grâce à ses vieilles copines gueule de
bois et grosse fatigue. Mais quand on aime on ne compte pas, alors retour au Périscope histoire de s’achever
encore un peu plus…
Question découverte, la soirée a bien commencé
avec XAVIER SAIKI. On me pardonnera peut-être de n’avoir jamais entendu auparavant
le nom de ce garçon, guitariste de son état, ni de n’absolument rien connaitre
de sa musique. Une totale ignorance que j’aurais pu promptement balayer d’un coup de baguette magique mais je n’en ai rien fait. A quoi bon ?
Ce soir Xavier Saiki propose un solo de guitare
plutôt intrigant : il joue assis avec sa guitare à plat sur ses genoux et
il a posé dessus un ou deux ressorts, juste au niveau des micros de caisse. Le
reste est question de frottements, de pincements, d’attaques percussive,
d’échos et de manipulations ainsi que du bon usage d’un ampli Fender Twin
Reverb, inusable machine à sons s’il en est.
Autant dire que l’on n’entend pas de la musique au
sens le plus basique mais aussi le plus réducteur du terme mais des
constructions sonores éphémères qui éclatent en cascades ou se cassent
brutalement la gueule jusqu’à s’effacer. Une musique – pourtant – qui ressemble
aux bruits multiples et démultipliés de la nature : fermez les yeux et
vous ne saurez pas que Xavier Saiki joue avec une guitare électrique, un peu
comme lorsqu’on se balade dans un endroit reculé et que des grincements,
craquements et autres souffles de vie vous assaillent, brusquement, venus de
nulle part.
Suit le duo LIONEL MARCHETTI / JÉRÔME NOETINGER,
un duo que l’on ne devrait plus présenter. Cela fait des années que ces deux là
jouent ensemble et pratiquent une musique improvisée élaborée à partir d’un
système de magnétophones à bandes et de bricolages insensés, en fait on peut
affirmer que Lionel Marchetti et Jérôme Noetinger réalisent en direct une sorte
de musique électro-acoustique sauvage et non figée.
Jouant avec les effets de diffusion sonore en
plusieurs points, les deux musiciens accumulent ainsi tout un travail
passionnant sur les sons tout en le saupoudrant de quelques plaisanteries
raffinées et derrière le sérieux apparent de la démarche et de la contenance des
deux hommes il y a en fait un puits sans fond de trouvailles ingénieuses et de
délires sonores. La concentration et la non attitude des deux musiciens laissent
toute la place possible à une musique de l’instant qui ne peut que s’écouter et
ne se regarde donc pas (ou alors pas beaucoup) : il ne peut pas y avoir de
parasites entre elle et l’auditeur et je me sens alors un peu stupide avec mon
appareil photo, tentant de capter ce qui ne peut pas l’être.
Le groupe le moins expérimental – et au passage
franchement rock – de la soirée est en fait la principale raison de ma
venue : les DEBORAH KANT
jouent en dernier devant un public clairsemé parce qu’une partie de celui-ci, qui
s’est selon toute vraisemblance essentiellement déplacée pour Xavier Saiki et/ou
le duo Marchetti/Noetinger, s’est empressée de repartir tout de suite après. Les
survivants – environ une trentaine de personnes – ne vont pourtant pas
regretter leur choix.
J’ai déjà vu plusieurs fois Deborah Kant en
concert mais toujours au même endroit, c’est-à-dire sur la petite scène du
Sonic. Au Périscope le groupe semble avoir presque trop de place mais a gardé
sa configuration habituelle (inamovible ?) avec le guitariste/chanteur
tout à gauche puis le batteur, le bassiste et enfin le deuxième guitariste sur
la droite. Par contre, ce qui change pour ce concert, c’est la nature même du
son de Deborah Kant, très ample mais flottant, presque caoutchouteux. Le rock
noisy du groupe se teinte alors de couleurs inédites, encore plus psyché, d’autant
plus que l’on a toujours l’impression que les Deborah Kant ne jouent jamais
deux fois de suite une de leur composition exactement de la même façon.
Le groupe est à la fois un peu maladroit –
approximatif diraient certains mais le terme d’ « approximatif » me
semble dénué de toute la considération malgré tout bienveillante que recèle celui
de « maladroit » – mais il est également impérieux et impérial lorsqu’il prend à
bras le corps les envolées soniques qui constellent son répertoire. En écoutant
et en regardant les quatre garçons de Deborah Kant je redécouvre un vrai
groupe, un groupe de rock bruyant mais mélodique, qui transpire de l’humain à
travers tous les pores de sa musique. Qu’importe les maladresses et les
hésitations, Deborah Kant défie avec ardeur les lois de la pesanteur en
projetant sa musique dans de nouvelles directions et, surtout, de nouvelles
dimensions.
Le maigre public ne s’y trompe pas parce qu’il
réserve une ovation au groupe ; dommage donc qu’il n’y ait pas eu plus de
monde pour assister à ce petit miracle de lévitation mais, en même temps,
aurait-il eu lieu exactement de la même façon devant une salle pleine à craquer
comme l’était le Périscope le vendredi 21 au soir ? Peut être bien que non. Et les moments les plus rares sont
ceux que l’on chérit toujours le plus.
[les photos de cette troisième et dernière soirée
du Festival Expériences sont ici]