On va parler d’un temps que les moins de quarante
cinquante ans ne peuvent pas connaitre, un temps où Thurston Moore, Lee Ranaldo
et Kim Gordon étaient eux-mêmes encore dans la fleur de la petite trentaine*,
un temps où cette même Kim Gordon chantait déjà comme une patate mais elle
chantait des trucs intéressants et surtout elle ne portait pas encore ces
jupettes et autres robettes qui l’ont faite passer du statut de « je suis
la copine du guitariste/chanteur du groupe et je joue de la basse » à
celui de « je suis une milf et le sex-symbol du groupe ».
C’est peut dire si les albums Confusion Is Sex, Bad Moon
Rising et Evol ont largement
contribué à la mythologie de SONIC YOUTH
et – même lorsqu’on a découvert les new-yorkais plus tard avec Sister et Daydream Nation
– ils constituent encore aujourd’hui un choc musical profond dont on ne se
remet pas. On n'affirmera pas que Sonic Youth c’était mieux avant parce qu’après
tout on n’y était pas et on laissera à chacun la liberté de déterminer sa
période préférée du groupe – ici, on l’aura compris, c’est clairement la
période 83/86 qui domine, immédiatement talonnée par la période 87/90 (faut
être précis dans la vie).
Aubaine ou pas, Sonic Youth réédite Smart Bar – Chicago 1985, donnant une
nouvelle vie à l’un des bootlegs les plus réussis du groupe**, un
enregistrement dont la qualité sonore dépasse l’honnête sans pour autant
atteindre l’excellent... la prise de son est rude mais elle permet de goûter
pleinement à ce Sonic Youth fantasmé. Car tout est dans le titre – 1985 –
et le tracklisting de ce double LP est impressionnant pour les fans de Sonic Youth
première période : c’est logiquement l’album Bad
Moon Rising qui se taille la part du lion en occupant près de la moitié du disque (Death Valley ’69, Brave Men Run, I Love Her All
The Time, Ghost Bitch, I’m Insane) alors que Evol (qui ne sortira que l’année d’après) n’est représenté que par Secret Girl et surtout Expressway To Your Skull, Confusion Is Sex par Making Up The Nature Scene seulement, Kill Yr Idols par le morceau
titre (tout simplement incroyable ici) et le premier mini LP de Sonic
Youth par une version démente de Brother
James mais aussi par The Burning
Spear (rebaptisé Madonna, Sean And Me
par Thurston Moore c'est-à-dire l’une des autres appellations d’Expressway To Your Skull – allez
comprendre…) ; il faut ajouter à cette liste les inévitables Halloween et Flower ainsi qu’un seul inédit, Kat’n’Hat, un titre encore inachevé de Sonic Youth et que le
groupe tentait de mettre en forme lors de ses concerts de 1985 mais qu’il n’a
jamais terminé ni réenregistré en studio par la suite.
Il n’y a que des moments forts sur Smart Bar – Chicago 1985, à commencer
par l’intro sur une note qui s’éternise de Death
Valley ’69 (l’un des rares titres du Sonic Youth des débuts où la ligne de
basse et donc Kim Gordon servaient à quelque chose) ou l’enchainement dans la
démence entre Flower et The Burning Spear. Les new-yorkais sont
alors au sommet de leur période bruitiste et nihiliste – mais n’oublient pas de
dire merci entre les morceaux – et justifient cette réputation de terroristes
sonores qu’ils ont trainée jusqu’en 2011 (et l’annonce du hiatus à durée
indéterminée du groupe), une réputation dont ils ont malheureusement abusée de trop
nombreuses fois pour justifier ensuite des albums qui ne le méritaient pas.
[Smart Bar –
Chicago 1985 est publié en double LP avec coupon de téléchargement mp3 et
en CD digipak par Goofin’ records, l’un des labels de la nébuleuse Sonic Youth]
* Thurston Moore est né en 1958, Lee Ranaldo en
1956 et Kim Gordon en 1953 – ils avaient donc respectivement 27, 29 et 32
ans en 1985 : dès le départ le nom de Sonic Youth était emprunt de cette ironie
très arty qui a caractérisé le groupe durant toute son existence ; ici il
s’agissait de rendre hommage aux groupes de hardcore dont Moore était ultra fan
tout en marquant sa différence avec ces petits jeunots…
** on se prend à rêver que Sonic Youth continue en
aussi bonne voie : le groupe a assurément des kilomètres de bandes dans
ses archives, de toutes les périodes et pour tous les goûts – pourquoi par
exemple ne pas continuer en rééditant dignement Walls Have Hears, un magnifique double LP publié uniquement de
façon semi-officielle et faisant malheureusement la joie des spéculateurs du
disque ?