lundi 31 décembre 2012

Ahleuchatistas / Heads Full Of Poison




Ce Heads Full Of Poison est le deuxième album d’ALHEUCHATISTAS en version duo ; accessoirement il s’agit également du troisième album du groupe avec le batteur Ryan Oslance. Of The Body Prone (2009, Tzadik) était un album quelque peu bancal et ayant de moins en moins à voir avec le Ahleuchatistas revendicatif, acéré, presque violent et virtuosement énervé des quatre premiers albums/mitrailleuses à tir continu du groupe. Moins de deux ans après, Location Location marquait enfin l’avènement d’un Ahleuchatistas nouveau (et à deux). Affirmons tout de suite que son successeur Heads Full Of Poison a énormément de points en commun avec Location Location mais qu’il lui est surtout très nettement supérieur (ce qui au départ n’est déjà pas rien). Heads Full Of Poison confirme surtout un état de fait que rien ni personne ne pourra nier ou remettre en question : Ahleuchatistas n’est pas un groupe en pleine déroute artistique qui s’est cherché un second souffle ou de nouvelles sources d’inspiration le temps de deux albums à géométrie variable ; non, Ahleuchatistas est un groupe qui tout simplement se pose les bonnes questions et qui continue encore à le faire, plus que jamais – parce que les deux musiciens qui le composent désormais ne savent véritablement pas faire autrement. Alors pourvu que ça dure.
En attendant on ne peut que se délecter des figures imaginatives et parfois même très exotiques du duo Shane Perlowin/Ryan Oslance – ici un peu d’africanité percussive, là beaucoup de tonkinerie qui taquine, là encore des gammes accélérées de gamelan et puis aussi un peu de danse du ventre (et des épaules) au milieu d’une chaleur torride, etc. Ces deux là possèdent la faculté de remplir l’espace sans avoir recours aux subterfuges des musiciens en pilotage automatique (comme auto-suffisant) mais alors que l’ancien Ahleuchatistas à trois ébouriffait, ne laissait aucun répit à l’auditeur, tentait de l’épuiser et en tout le cas ne lui laissait aucune chance – c’était à prendre ou à laisser –, l’Ahleuchatistas nouveau convoque les grands espaces, des espaces balayés par des tornades géantes, des espaces traversés par des rivières aux cours faussement tranquilles et des montagnes désertiques dont les sommets s’éloignent au fur et à mesure qu’on les escalade. Au détour d’un chemin apparait un replat inattendu sur lequel pousse une forêt inextricable ; plus loin c’est un ravin par-dessus lequel il faut sauter (heureusement les deux Ahleuchatistas ont des ailes et non embarquent sans discuter avec eux) ; enfin c’est le soleil qui fait fondre la neige et provoque la crue des rivières.
Alors oui, Ahleuchatistas possède toujours cet art de la surprise, celui qui sur les premiers albums du groupe nous laissait sans voix ; mais désormais le duo l’utilise bien différemment : le groupe est toujours capable de nous emmener très très loin mais surtout de nous y emmener par des voies on ne peut plus détournées et parfois même mystérieuses. Le jeu polyrythmique et très dynamique de Ryan Oslance garde cette fraicheur intacte du gamin qui tape sur tout ce qui lui tombe sous la main pour découvrir quel son il va pouvoir en tirer ; le guitariste Shane Perlowin truffe son jeu de boucles – parfois jusqu’à deux ou trois en même temps – pourtant il en ressort quelque chose de si naturel et de si vivant qu’on imaginerait sans peine que ce garçon est physiologiquement capable de se dédoubler lui-même ; son jeu précédemment plus technique et infiniment plus virtuose était logiquement moins humanisé que ce qu’il fait désormais avec sa guitare, ses loop stations et ses entrelacs de cordes. La sensibilité.
Avec Ahleuchatistas il n’y a donc pas de calme avant (ou après) la tempête ; il n’y a que des contrastes, des éléments qui se complètent ou qui se déchainent – Shane Perlowin est l’un des rares guitaristes capables d’imiter une bourrasque de vent – puis qui se calment et on part volontiers pour un long voyage au cœur d’une musique que l’on ne cesse de (re)découvrir au fil des écoutes d'un album tout simplement passionnant.

[Heads Full Of Poison est publié en CD par Cuneiform records mais il existe une magnifique version double LP publiée elle par  Harvest records]