Ce Heads Full
Of Poison est le deuxième album d’ALHEUCHATISTAS
en version duo ; accessoirement il s’agit également du troisième album du
groupe avec le batteur Ryan Oslance. Of The Body Prone (2009, Tzadik) était
un album quelque peu bancal et ayant de moins en moins à voir avec le
Ahleuchatistas revendicatif, acéré, presque violent et virtuosement énervé des quatre
premiers albums/mitrailleuses à tir continu du groupe. Moins de deux ans après, Location Location marquait enfin
l’avènement d’un Ahleuchatistas nouveau (et à deux). Affirmons tout de suite que son
successeur Heads Full Of Poison a
énormément de points en commun avec Location
Location mais qu’il lui est surtout très nettement supérieur (ce qui au
départ n’est déjà pas rien). Heads Full
Of Poison confirme surtout un état de fait que rien ni personne ne pourra
nier ou remettre en question : Ahleuchatistas n’est pas un groupe en
pleine déroute artistique qui s’est cherché un second souffle ou de nouvelles
sources d’inspiration le temps de deux albums à géométrie variable ; non, Ahleuchatistas
est un groupe qui tout simplement se pose les bonnes questions et qui continue encore
à le faire, plus que jamais – parce que les deux musiciens qui le composent désormais ne
savent véritablement pas faire autrement. Alors pourvu que ça dure.
En attendant on ne peut que se délecter des
figures imaginatives et parfois même très exotiques du duo Shane Perlowin/Ryan
Oslance – ici un peu d’africanité percussive, là beaucoup de tonkinerie qui
taquine, là encore des gammes accélérées de gamelan et puis aussi un peu de
danse du ventre (et des épaules) au milieu d’une chaleur torride, etc. Ces deux
là possèdent la faculté de remplir l’espace sans avoir recours aux subterfuges
des musiciens en pilotage automatique (comme auto-suffisant) mais alors que l’ancien Ahleuchatistas à
trois ébouriffait, ne laissait aucun répit à l’auditeur, tentait de l’épuiser
et en tout le cas ne lui laissait aucune chance – c’était à prendre ou à
laisser –, l’Ahleuchatistas nouveau convoque les grands espaces, des espaces
balayés par des tornades géantes, des espaces traversés par des rivières aux
cours faussement tranquilles et des montagnes désertiques dont les sommets
s’éloignent au fur et à mesure qu’on les escalade. Au détour d’un chemin
apparait un replat inattendu sur lequel pousse une forêt inextricable ;
plus loin c’est un ravin par-dessus lequel il faut sauter (heureusement les
deux Ahleuchatistas ont des ailes et non embarquent sans discuter avec
eux) ; enfin c’est le soleil qui fait fondre la neige et provoque la crue
des rivières.
Alors oui, Ahleuchatistas possède toujours cet art
de la surprise, celui qui sur les premiers albums du groupe nous laissait sans
voix ; mais désormais le duo l’utilise bien différemment : le groupe est toujours
capable de nous emmener très très loin mais surtout de nous y emmener par des
voies on ne peut plus détournées et parfois même mystérieuses. Le jeu
polyrythmique et très dynamique de Ryan Oslance garde cette fraicheur intacte
du gamin qui tape sur tout ce qui lui tombe sous la main pour découvrir quel
son il va pouvoir en tirer ; le guitariste Shane Perlowin truffe son jeu
de boucles – parfois jusqu’à deux ou trois en même temps – pourtant il en
ressort quelque chose de si naturel et de si vivant qu’on imaginerait sans
peine que ce garçon est physiologiquement capable de se dédoubler
lui-même ; son jeu précédemment plus technique et infiniment plus virtuose
était logiquement moins humanisé que ce qu’il fait désormais avec sa guitare,
ses loop stations et ses entrelacs de cordes. La sensibilité.
Avec Ahleuchatistas il n’y a donc pas de calme
avant (ou après) la tempête ; il n’y a que des contrastes, des éléments
qui se complètent ou qui se déchainent – Shane Perlowin est l’un des rares guitaristes capables
d’imiter une bourrasque de vent – puis qui se calment et on part volontiers pour un long voyage au cœur
d’une musique que l’on ne cesse de (re)découvrir au fil des écoutes d'un album tout simplement passionnant.
[Heads Full
Of Poison est publié en CD par Cuneiform records mais il existe une magnifique version double LP publiée elle par Harvest records]