Décidemment elle est bien molle cette rentrée. Ou alors c’est moi qui suis tout perdu. Pas grand-chose comme concert à se mettre sous la dent. Quelques programmateurs de salles et autres organisateurs me le disent d’ailleurs : c’est l’explosion des cachets même chez les indépendants et les obscurs - crise oblige ? - puisque plus personne ne vend beaucoup de disques et que tout le monde veut quand même vivre de sa musique. Alors les tourneurs assaisonnent la note. Lorsque on me raconte le montant du cachet* demandé pour Ghédalia Tazartès (en formation trio), un artiste que j’aime vraiment beaucoup mais qui n’ameutera jamais plus d’une trentaine de personnes dans une ville comme Lyon, je reste sur le cul. Lorsque on me raconte également le prix** qu’aurait du payer Les Nuits Sonores pour s’offrir Sonic Youth en haut de l’affiche (les gens de ce festival pouvant aussi faire preuve de bon sens ont tout simplement renoncé à programmer les new-yorkais) je comprends que je ne reverrai plus jamais Thurston Moore and C° dans cette ville. Je comprends également pourquoi les places de concerts sont si chères dans les capitales où tous ces groupes passent pour leurs tournées - en France cela se limite trop souvent à Paris. Pour en revenir à Sonic Youth : prochain concert parisien au Palais des Congrès et prix compris entre 39 et 50 euros. Plutôt crever en attendant que The Dead C se décide enfin à venir faire une tournée en Europe***.
Mais ce soir tout va bien. On est vendredi, les trois groupes qui jouent n’ont pas roulé plus de 250 kilomètres pour débarquer au Sonic, le prix d’entrée est méga modique et il y a des distros qui proposent des disques pour pas cher. La programmation fomentée par Bigoût records et Atropine records annonce Blackthread, Geneva et Sofy Major.
On commence donc par Blackthread, one man band composé d’une moitié de One Second Riot. J’avais déjà assisté au deuxième concert de ce grand garçon au mois de juin dernier en première partie de Gate (aka Michael Morley, c'est-à-dire un tiers de The Dead C, oui j’ai des idées fixes…) et à l’époque le charme avait opéré bien que l’effet de surprise n’y était pas : j’avais pu écouter avant la démo de Blackthread enregistrée à la maison. Depuis, tout un été est passé et j’ai fait un peu exprès de ne jamais remettre cette démo dans la machine à musique. Une certaine impatience m’a gagné avant ce concert, je crois que je n’étais pas le seul dans ce cas là aussi une certaine fébrilité s’est ressentie du côté de Blackthread qui pourtant s’en est très bien sorti.
Sur les pas d’un Alan Vega neurasthénique pratiquant un shoegaze synthétique, Blackthread épingle des petites vignettes minimalistes et flottantes à l’aide d’un synthé, de boucles, d’une basse (sur deux titres) et de son chant de plus en plus convaincu. C’est souvent très court, intense malgré le côté décharné pour ne pas dire squelettique de l’instrumentation et c’est plein d’émotions. J’aime particulièrement ce côté fragile et cette poésie petit format - celle que l’on découvre lorsqu’on s’allonge dans un pré pour regarder au moins aussi loin que les bancs de pâquerettes devant soi ou celle d’un détail anodin perdu dans une ville trop grande (un cœur tagué sur un vieux mur décrépit par exemple). J’ai aussi plusieurs fois pensé à un album solo de Colin Newman, son Commercial Suicide de 1986 je crois. Blackthread n’a pas encore tout à fini l’enregistrement de son premier disque, j’espère que l’on en reparlera très bientôt.
Le deuxième groupe de la soirée, c’est la surprise du chef. Je ne connais absolument pas Geneva, groupe originaire du côté de Valence et qui s’apprête à sortir un album qui s’annonce pas mal du tout. Je ne sais pas si Geneva a bénéficié de mon état de manque question guitares en fusion qui t’explosent la cervelle et te trouent le cul (plus de deux mois d’abstinence quand même) parce que j’en voulais du gros, du gras et du lourd et que je l’ai eu. Je ne vais pas non plus insinuer que je me suis laissé influencé par le t-shirt Dinosaur Jr du guitariste/chanteur mais la musique de Geneva est atypique.
OK, on prend une section rythmique du tonnerre (une batterie puissante, une basse énorme), on ajoute des guitares qui triffouillent le métal et le hardcore et un chant de beuglard en pleine urgence vindicative et on obtient ce que font 95 % des groupes de hardcore actuels, genre je tiens Coliseum par la barbichette et Narrows par les couilles. Là où Geneva éclate tout le monde, c’est avec cette capacité de déraper, ces glissements rythmiques (pas vraiment des accélérations, disons plutôt des changements de position) qui font que la machine s’emballe très sérieusement. Moments pendant lesquels le guitariste en profite pour se lancer dans des soli tout retors, dysfonctionnés, larsenés, dissonants - noisy quoi, le mot est lâché. Un titre instrumental et plus calme pour démontrer que les 90’s américaines ne sont pas étrangères à la musique de Geneva et le groupe se lance dans un dernier titre définitivement convaincant. Là aussi on reparlera de cet excellent trio lorsque ce nouveau disque sera disponible.
Je fais partie des convaincus tardifs de Sofy Major, dernier groupe à jouer ce soir. J’aime beaucoup le dernier quatre titres en date alors que les précédentes productions m’avaient à peine chatouillé les gonades. guitariste à casquette, bassiste à casquette et batteur tatoué : non ce n’est pas Unsane from New York City qui débarque mais Sofy Major de Clermont-ferrand. Le groupe attaque son set avec Meurtre à Lézoux, premier titre surpuissant du quatre titres. Une première constatation s’impose : la guitare a un son qui vous cisaille les nerfs auditifs tout simplement parfait. Deuxième constatation : le line-up du groupe a encore changé, ils étaient cinq sur le dernier enregistrement, ils ont dans un passé maintenant lointain été quatre et désormais ils ne sont plus que trois. C’est le bassiste qui assure le chant en mode gargouillis brutaux.
Si je mets un peu de temps à rentrer dans le hardcore noise de Sofy Major c’est tout simplement parce que je pense encore très fort à Geneva mais aussi parce que sur la petite scène du Sonic, Sofy Major en formation resserrée joue bien évidemment autre chose que la noise mâtinée de metal et rampante du disque. On est plus près de l’esprit brutal et simplement efficace du 25 centimètres partagé avec One Second Riot. Un guest impromptu vient mettre le feu aux poudres dès le troisième titre (titre très court et annoncé comme Endive : si c’était bien le cas il a été nterprété dans une version vraiment différente du disque).
Passé cet intermède fort appréciable, les Clermontois sont sur les rails et je m’accroche à leur furie communicative pour un concert intense et foutraque. Les deux derniers titres - est ce parce que le bassiste a justement annoncé qu’il va s’agir des deux derniers et qu’instinctivement je me mets en position combustion maximum afin de bien en profiter ? - sont des tueries sans nom, merci les gars, en particulier l’avant dernier sur lequel le guitariste fait à nouveau des étincelles. Embrasement total et fin de soirée dans un flou relatif à papoter de sujets forcément primordiaux et essentiels.
* alors à ton avis ? …1500 euros
** 100 fois plus c'est à dire 150 000 euros - elle a bon dos la crise
*** et c’est ça la bonne nouvelle du jour : The Dead C annonce sa venue pour 2010 !