mardi 29 septembre 2009

Bellini en état de grâce























Les concerts du dimanche soir c’est la bête noire des organisateurs et accessoirement la mort de la musique. L’épuisement d’une journée passée à se demander comment surtout ne pas faire tout ce que l’on ne devrait pourtant pas remettre au lendemain, l’avachissement progressif des tissus adipeux combiné à la brouillardisation cérébrale et la sieste obligatoire parce que l’apéro du midi s’est transformé en dévidoir, autant de raisons qui nous poussent, moi et ce qui me reste de (mauvaise) volonté, dans le sens contraire d’un trajet en direction du Sonic ou d’ailleurs.
Pourtant en ce dimanche soir j’y suis quand même au Sonic, dans cette péniche rouge où je me rends en moyenne deux à trois fois par mois. J’y suis et on me fait remarquer que je ne suis pas très causant, encore moins que d’habitude, est ce que je n’aurais rien à dire ? C’est exactement ça. Le moral dans les chaussettes et les chaussettes trouées. C’est dégueulasse.
Mais pour rien au monde je n’aurais raté les italo-américains de Bellini, un groupe de plus que je n’ai encore jamais vu en concert alors qu’il est (je crois) déjà passé plus d’une paire de fois dans cette ville de propriétaires socialistes. La honte quand même. Je compte bien me rattraper malgré une envie d’être ailleurs qui me ronge les terminaisons nerveuses.























Ce sont les locaux de Chick Peas - pas vus en concert depuis presque une année alors que, comme ils le disent eux même, le Sonic est leur deuxième maison tellement ils y ont souvent joué - donc ce sont les Chick Peas qui entament la soirée avec une conviction débordante et communicative. Nos pois sauteurs ce soir portent bien leur nom tant leur concert est dynamique, les deux bassistes gigotent dans tous les sens, s’acharnent et assaisonnent leur noise punk d’une forte dose de bonne humeur.
Il me semble surtout qu’il y a plus de chant qu’auparavant - l’un d’eux ironise : voici un titre qui ressemble à une vraie chanson, elle aurait presque un refrain - et quelques nouveautés agrémentent un set touffu (trois quart d’heure) et sans temps mort. Mention très spéciale à ce titre joué vers la fin, on va dire en antépénultième position (en avant avant dernier quoi) et en forme de boogie infernal à vous donner envie de vous trémousser le houblon du ventre frénétiquement et jusqu’à plus soif.
Pour le dernier titre de leur set, les Chick Peas parlent d’une reprise et annoncent que celui ou celle qui trouvera quel est le titre qu’ils vont maintenant jouer se verra offrir une bière. La proposition est tentante mais j’ai beau me creuser la tête, je ne me souviens pas qui chantait ces paroles d’un machisme triomphant couronnées d’un refrain qui en substance dit she’s got balls… j’aurais ma réponse à la fin du concert - il suffisait juste de demander - mais en attendant c’est l’occasion pour les Chick Peas de nous offrir un final orgiaque et débridé. Ces petits gars sont fans de Bellini, fiers d’ouvrir pour eux et donc particulièrement motivés.


















C’est un petit bout de femme qui monte sur la scène. Giovana Cacciola (chant) a tout de la mère de famille, replète, un rien fatiguée mais franchement digne. Agostino Tilotta (guitare) a le visage buriné par les ans et une tête de vieux brigand. Derrière je reconnais sans peine Alexis Fleisig, batteur de feu Girls Against Boys (j’imagine que ce groupe aussi finira un jour par se reformer…), Alexis Fleisig qui se révélera être le bout en train du groupe avec ses blagues grotesques - I like it ! I like this plane ! - et ses rictus goguenards. On complète avec Matthew Taylor à la basse et on obtient le line-up complet de Bellini. J’avoue qu’à ce moment très précis, juste avant que le concert ne commence, je ne sais plus trop à quoi m’attendre. L’envie de partir me prend à nouveau.
Le son du groupe est un peu difficile au début, on va dire que la mise en place l’est également mais cela ne dure pas : la rythmique veille au grain, vous régule comme il faut les drôles de motifs joués à la guitare par Agostino Tilotta (et il y a intérêt : on le sent toujours prêt à partir dans des trucs insensés de vieux bluesman urbain) et tout va de mieux en mieux. Dès la fin du deuxième titre Bellini est sur sa lancée.
La voix se fait alors plus audible, prenante, émouvante… Giovana Cacciola, sans aucun artifice, avec un non look total et le physique de ta mère captive à elle seule toute l’attention. Ses interventions, nuancées, cheminent le long de ce fil tenu entre justesse et chausse-trappe, entre fausse douceur et éclairs d’intensité vus au travers de paupières fermées. On retrouve dans sa prestation en concert toute l’émotion de l’album The Precious Prize Of Gravity. Giovana Cacciola est une sorte d’anti diva, à l’attitude noble et droite, tout chez elle (son regard en particulier) dégage une pointe de tristesse rentrée mais elle chante sans aucun pathos ni aucune affectation. J’ai rarement été ému à ce point là par une chanteuse qui peut faire autant de grandes choses avec une telle économie de moyens.


















Derrière elle les trois garçons continuent d’envoyer le feu tous azimuts, partent à l’occasion dans des dérapages noise du meilleur effet et s’échangent entre chaque titres quelques private jokes - c’est assez frappant cette décontraction dont ils font preuve, à la limite du rigolard alors que leur musique est aussi émotionnelle. Je ne prends absolument pas cette manière d’être comme antinomique de la part d’un groupe qui ferait alors sembler de jouer un rôle - celui qu’impliquerait une musique sérieuse et tendue - et qui aurait trouvé dans sa chanteuse son gimmick de scène. Au contraire, s’il faut du courage pour oser s’exposer et si rires et bonne humeur il y a, c’est sans aucun doute parce que jouer sa musique en concert fait énormément de bien aux membres de Bellini. Même Giovana Cacciola se laisse aller à une certaine décontraction et sa prestation n’en gagne que plus de force, on n’est plus très loin du sommet.
Au moment du rappel, c’est de bonne grâce qu’elle reste débout devant la scène, tout sourire, regardant ses trois camarades jouer l’instrumental The Man Who Lost His Wings dans une version nettement moins cow punk que celle de l’album The Precious Prize Of Gravity et sur laquelle Agostino Tilotta s’en donne à nouveau à cœur joie. Encore deux titres (chantés) entre ombre et lumière et ce concert de Bellini s’achève brutalement sur une impression mélangée entre trop-plein et manque. Bellini c’est vraiment de la musique vivante et communicative.