jeudi 8 novembre 2012

Report : Réouverture de Grrrnd Zero




Vendredi 2 novembre 2012 : c’est la date de la réouverture officielle de GRRRND ZERO, dans un nouvel espace contigu à celui déjà occupé par le collectif comme ateliers de création ou locaux de répétitions. On nous promet une bonne grosse semaine de musiques aussi abracadabrantes qu’exigeantes, avant que la programmation ne se stabilise un peu plus (avec tout de même un rythme de deux à trois concerts par semaine). On pourrait appeler cela une démonstration de force mais les intentions de Grrrnd Zero, bien que radicales, ne sont pas aussi belliqueuses : il s’agit juste pour cette salle de faire preuve de son existence, de son utilité, donc de son désir de pérennité et de dire merde aux institutions culturelles œcuméniques, populistes et forcément de bon goût.
Car, rappelons-le, Grrrnd Zero n’est qu’un lieu en sursis : son autorisation d’ouverture ne court que jusqu’à la fin de l’année 2012 ; après un aménageur/investisseur immobilier à grande échelle, propriétaire des lieux, peut faire valoir ses droits sur le hangar désaffecté qui pendant deux mois va abriter les concerts programmés par Grrrnd Zero. On sait que la viabilité d’un projet culturel à la marge ne pèse en général pas bien lourd face aux impératifs financiers et aux promesses de bénéfices immobiliers issus de la restructuration high-tech de quartiers entiers pourtant tombés en déshérence pendant des années.




Ayant eu vent de quelques uns des noms de groupes ou de musiciens programmés, c’est avec un retard conséquent que j’arrive au 40 rue Pré Gaudry avec le secret espoir d’en avoir peut-être raté certains ; hélas les concerts n’ont pas encore commencé. Et il est plus de 22 heures lorsque sur la gauche de la scène une curieuse machine, jusque là plongée dans l’obscurité, se met en branle. Ses automatismes génèrent des rythmes saccadés sur lesquels un bassiste solitaire se lance dans de longues suites d’accords répétitifs ; une séquence de film avec des voitures de course est projetée en boucle sur le mur juste derrière et les vrombissements déformés des moteurs de la bande-son s’intègrent également au kraut minimaliste et mécanique de PIED GAUCHE.
Sous cette appellation certains auront reconnu Super Jean-François Plomb que l’on avait déjà pu croiser au sein de 300 mA en compagnie de Damien Grange et il aurait été vraiment dommage que je rate cette vingtaine de minutes de bricolage bruitiste et inquiétant : Pied Gauche, dont j’ignorais jusqu’à l’existence même et a fortiori la présence sur l’affiche du jour, est une vraie bonne découverte… Plus jamais (jamais ?) je ne prendrai le risque d’arriver en retard à un concert.




Suit LUDIVINE CYPHER. Un vieux projet d’un musicien lyonnais et activiste de Grrrnd Zero, remis en activité fin 2011/début 2012 et qui se détache de ses expérimentations/bidouilles électro-poétiques d’avant pour se recentrer davantage sur des pop songs un rien psychédélique et encombrées par des soli de guitare. De nombreux problèmes techniques viennent entacher ce concert et précipite même sa fin ; des problèmes gérés de manière assez drôle par l’intéressé, ce qui me fait temporairement oublier que je déteste la pop, exercice musical périlleux s’il en est – d’ailleurs prendre la pop uniquement comme un exercice de style est à mon sens la meilleure façon de se planter.




Je ne m’attends pas non plus à grand-chose avec RAMONA CORDOVA. Mais il se dégage pourtant de la musique de ce garçon lunaire un sentiment intrigant proche de l’affection que l’on porterait à un petit animal sauvage mais séduisant ; la pop étoilée de Ramona Cordova (il parait qu’il a pris comme nom de scène celui de sa grand-mère) finit par être touchante. Et Ramona Cordova me ferait presque oublier que ce début de soirée manque cruellement d’électricité.




De l’électricité on va enfin en avoir avec les trois italiens de FATHER MURPHY. Après l’expérience presque malheureuse du disque Anyway Your Children Will Deny It (dont je me suis parfaitement remis, merci) j’étais assez curieux de découvrir cette musique en concert ; malheureusement Father Murphy c’est encore pire avec l’image.
Musicalement on pourrait situer la musique du groupe comme un croisement électrique entre un Extra Life des débuts en version straight et un Winter Family noisy et goy ; mais sans la préciosité délicate du premier ni la profondeur mystique du second. La liturgie désaxée mais trop appuyée de Father Murphy tourne irrémédiablement au pathos – alors que j’imagine que le trio visait plutôt le pathologique – et le trio s’enfonce constamment dans une ornière cérémonieuse dont il ne ressort presque jamais.
On ne dira pourtant pas que Father Murphy est un mauvais groupe, il est juste extrêmement ennuyeux. D’un certain point de vue sa prestation tenait pourtant très bien la route – le batteur, pilier et clef de voute de toute cette construction religieuse, était très impressionnant à regarder – mais je n’ai que faire de tout ce lyrisme plus dark que dark et qui tente désespérément de rattraper le gothique et le macabre par la peau des couilles. Pénible et complètement vain.




Deuxième grosse interrogation de la soirée : SKOAL KODIAK. Kryptonym Bodliak, le deuxième album de ce groupe américain, aurait pu être bien meilleur qu’il ne l’est en réalité et surtout il ne laisse qu’imparfaitement entrevoir toutes les possibilités d’une musique à la fois dansante et psychotique. En concert les jeux sont malgré tout rapidement faits : le funk mutant et malade de Skoal Kodiak joue d’entrée la carte de l’efficacité voire du festif à outrance ; après la séance de larmes de sang obligatoires de Father Murphy le public massé devant la scène est comme rassuré et s’en donc à cœur joie : ça dance, ça braille et ça monte même sur scène.
Une dynamique qui ne faiblira pas durant tout le (long) concert de Skoal Kodiak bien que le groupe utilise toujours les mêmes ingrédients (couple basse/batterie vicieux, machines en coordonné parallèle, samples rigolos ou incongrus et chant halluciné sous perfusion de canard vécé) tout simplement parce que ces trois là sont réellement redoutables et imparables sur scène. Un bon concert de la part d’un groupe qui se fout complètement de la profondeur de sa musique et prend un plaisir terrible à manipuler les bas instincts des foules en liesse. Très américain, donc.

[quelques photos de cette soirée ici]