jeudi 22 novembre 2012

Les Suce Pendus / self titled




LES SUCE PENDUS sont morts. Et s’ils sucent encore quelque chose, c’est plutôt les racines des herbes folles qui prolifèrent au dessus d’une fosse commune : ce groupe originaire d’Amiens s’est en effet auto-immolé après un ultime concert le 18 novembre 2011 ; il ne reste de lui que les souvenirs de celles et ceux qui ont eu la chance un jour de le voir en concert ; il restera pour toujours également ce LP sans titre et donc posthume, publié par Label Brique (la boite à rondelles d’Headwar).
Et il n’est jamais trop tard pour parler d’un disque comme celui-ci ; pas seulement parce que le groupe n’existe plus, on s’en fout complètement d’être en retard sur l’« actualité » car ce qui compte c’est bien ce qu’arrive encore et toujours à déclencher cette musique aussi noire et déglinguée que possible. Quatre (longs) titres seulement et des paroles en français qui laissent entrevoir, toujours au plus mauvais moment, des insanités, des horreurs, des chuchotements, des grognements, des hurlements, des cris de douleurs, des appels dans le vide : Les Suce Pendus aimaient appuyer là où ça fait mal mais, c’est plus une conviction qu’autre chose, ils étaient aussi les premiers jouets de leurs maux et de leurs souffrances.
Voilà donc un disque qui ne laisse pas vraiment le choix : ce sera le malaise, la violence et la boue de l’existence ou rien ; par contre – et c’est précisément sur ce point précis que Les Suce Pendus étaient un groupe sans aucun doute inestimable – ce disque est incroyablement fascinant et addictif. Oui, il nous traine là où on ne veut jamais aller, oui il nous montre ce que l’on ne veut pas voir, oui il nous malmène et nous perturbe… mais on aime ça et on en redemande.
C’est que la musique, tout aussi noire que le reste, est incroyablement belle et forte. Violemment belle et violemment forte, même. Les Suce Pendus piochent du côté du Berlin et du New-York du début des années 80, pillent Einstürzende Neubauten, The Birthday Party et les Virgin Prunes, réaniment la no-wave et le post punk, font glisser les guitares vers leur plus simple fonction de machines à bruits, martèlent des rythmes douloureux, jouent avec nos nerfs et nos désirs, malaxent les sons comme ils pétrissent les chairs, brulent le peu d’atmosphère respirable qui restait encore et nous abandonnent là, comme des pauvres merdes, désemparés, meurtris mais comblés, et seuls.
Un disque contre lequel le seul remède est de le réécouter. Encore, encore, encore, encore. Encore.