Après le succès de We Recruit – on parle de la qualité évidente du disque, pas de ses ventes
mirobolantes qui ont à peine permis au groupe d’équiper son tour bus de
nouvelles jantes en alliage ou de mettre de la moumoute synthétique sur le
volant –, Ventura n’avait pas trente-six solutions au moment d’enregistrer son
troisième album. Soit le groupe refaisait presque exactement le même disque et
là tout le monde allait se mettre à applaudir poliment tout en se retenant à
peine de bailler ; soit les Ventura durcissaient considérablement le ton,
épaississaient les guitares, se mettaient enfin à boire comme des hommes et
balançaient des rythmiques du diable en acier trempé – après tout, la Suisse
d’où est originaire Ventura est aussi la patrie d’adoption du metalcore (etc.)
et n’oublions pas que Mike, le batteur de Ventura, a en son temps fait partie
des très tendus Iscariote.
Mais, comme le démontre la pochette assez fabuleuse
d’Ultima Necat, ce n’est pas aux
vieux singes que l’on apprend à faire la grimace et, dans un moment de totale
clairvoyance, VENTURA a du décider que non, qu’il
existait surement une troisième voie et que cette voie là le groupe allait la
trouver et l’explorer. Ultima Necat
ne remet pas en cause les quelques fondamentaux que le trio a lentement mais
sûrement mis en place depuis ses débuts (Ventura semble vouer un amour immodéré
aux années 90, celles du rock noisy et ombrageux) mais le groupe a
effectivement trouvé une nouvelle façon de les éclairer, de les mettre en
valeur. En insufflant une forte dose de brouillard mélancolique à sa musique –
les esthètes et autres critiques d’art appellent cela du « shoegaze »*
mais je n’en suis pas certain –, Ventura s’est donné tous les moyens de battre
ses propres records en matière d’expressivité et d’intensité mais aussi et
surtout en matière de finesse et d’émotion(s).
Rien que pour Amputée,
chef-d’œuvre et point culminant du disque avec ses onze minutes de grisaille
sublime et de déchirements soniques, Ultima
Necat est un disque à découvrir et à écouter sans plus attendre… Et écouter
Ultima Necat c’est l’aimer
instantanément : Ventura a également réussi, une nouvelle fois avec l’aide
et la complicité de Serge Morattel à l’enregistrement et aux manettes, à
trouver une formule alchimique et sonique qui permet à sa musique de vous clouer
sur place tout en vous rongeant de l’intérieur. L’âpreté des sentiments et la
précision des blessures ne sont jamais très loin derrière la prétendue douceur
mélancolique tout comme les compositions les plus mordantes d’Ultima Necat gardent cette profondeur troublante
dans laquelle on plonge pourtant instantanément. Ultima Necat est tout simplement un beau disque, un vrai beau
disque.