Allez, hop, un chouette nouveau lieu à découvrir
sur Lyon, en bas des pentes de la Croix-Rousse, un bar/galerie associatif qui a
ouvert il y a environ six mois et qui se lance désormais dans l’accueil de
concerts. Ce soir le Nahual va même pouvoir
tester les choses en grand puisque le concert en question consiste en un carré
de groupes très électriques voire très bruyants : Cougar Discipline,
Steven, Steven & Steven, Forza Pschitt et Burne. Une programmation et une
organisation assurées par les deux garçons de Burne qui comme à leur habitude
avaient décidé de ne surtout pas faire les choses à moitié.
La cave du Nahual est par contre un peu bizarrement
configurée, en deux parties, et il faut bien avouer que si on n’a pas la chance
de se trouver du bon côté des demi-parois placées en plein milieu on risque de
ne pas voir grand-chose du concert. Mais l’ambiance est presque cosy, l’endroit
est vraiment pas mal avec ses voutes en croix et ses vieilles pierres de partout ;
les groupes jouent pas terre tandis que le public se masse autour comme il peut
et je sens que ça va être chaud.
Et effectivement ça l’est. Le premier groupe s’appelle
COUGAR DISCIPLINE et c’est la toute première apparition de ce trio composé de
Raf Chevignon au chant et aux textes, d’Alex Torticoli à la guitare et de Jo
Burne à la batterie – un groupe d’anciens, quoi. Raf étincèle avec sa veste
blanche de macro, son futal en skaï noir et ses bottes de cow-boy. Il est
nonchalamment adossé contre un mur, devant un pupitre sur lequel il a posé ses
textes. Parce que comme d’habitude avec lui, les textes sont plus qu’importants
et il y a toujours un côté performance voire théâtral dans ce qu’il fait.
Donc je fais des efforts pour tendre l’oreille mais
pas trop quand même puisque monsieur a débarqué avec sa propre sono pour la
voix : effectivement il raconte plein de trucs dégueulasses, non pas pour
choquer gratuitement (quoique…) mais plutôt pour mettre le doigt là où ça fait mal ; et il
n’a pas besoin de nous chier dessus non plus, il lui suffit juste de nous
mettre la gueule sur tout ce qui nous entoure. Derrière lui, les deux autres font
bien plus qu’assurer un blues noise d’excellente facture et très dense. C’est
lent, c’est lourd, poisseux et bruyant et la musique va crescendo, accompagnant
le chant/narration de plus en plus énervé et distillant toujours plus de
terreur malsaine. Tout ça finit dans une cacophonie explosive comme un orgasme un
peu abject. J’en tremble encore.
Le deuxième groupe s’appelle STEVEN, STEVEN &
STEVEN – ou, pour faire un peu plus simple, The Steven’s – et j’ai la surprise
de reconnaitre le bassiste chevelu, également activiste du côté de Grrrnd Zero,
fraction armée et option métallurgie appliquée aux plaisirs sonores. Le batteur
aussi ne m’est pas totalement inconnu puisque déjà vu il y a quelques mois avec
un groupe de post rock un rien plan-plan (pléonasme) en première partie de
Chausse Trappe. Par contre la tête du guitariste/chanteur ne me dit rien du
tout mais il porte un t-shirt délicieusement kitsch de Metallica et des
lunettes voltigeuses. Évidemment ils affirment tous les trois se prénommer
Steven, ce groupe doit pas être tous les jours facile à gérer.
A partir de là, je ne savais pas trop à quoi
m’attendre avec The Steven’s, trio présenté comme jouant du doom satanique et
une chouille psychédélique. La chouille sera en fait plutôt conséquente et il
est vrai que tout ça était bien lourd, bien gras et surtout très drôle, jusque
dans l’exagération assumée, un final assez grandiose avec une basse maltraitée
à la baguette, une guitare qui vomit, un batteur qui s’énerve (mon garçon,
arrête tout de suite avec ton groupe de post-rock, tu mérites bien plus que ça)
et donc des lunettes qui partent très loin en vol plané. Lorsque les trois
Steven s’arrêtent de jouer, ils ont l’air un peu saouls de leur musique et ils
ont bien rigolé, moi aussi, beaucoup même – voilà un vrai groupe de nerds. En
espérant les revoir bientôt.
Suit FORZA PSCHITT, à savoir les deux-tiers de Torticoli. On retrouve donc le guitariste qui jouait tout à l’heure avec Cougar Discipline mais depuis il a changé de tenue et surtout de guitare. Il change de jeu également, troquant la rage malaxée et la boue épaisse de Cougar Discipline pour d’infinies guirlandes de dentelles torsadées et presque élégantes et une application mélodique toujours intéressante. Pourtant je ne me résous toujours pas à ranger Forza Pschitt dans la trop petite case des groupes de math-rock parce que le duo, pas loin d’être virtuose et – évidemment – instrumental, va bien au delà des clichés néo-prog et de la branlette de loop station. Ça tombe bien, Alex n’utilise pas ce genre de saloperies tout simplement parce qu’il n’en a vraiment pas besoin.
La complémentarité des jeux des deux musiciens est également très frappante car ils n’arrêtent jamais de dialoguer, un échange permanent toujours pour le meilleur. Pourtant, d’une certaine façon aussi, chacun rivalise, visant toujours plus haut, et donc guitare comme batterie accaparent tour à tour toute l’attention : il est difficile pendant un concert de Forza Pschitt de ne pas se focaliser sur l’un puis sur l’autre et inversement, ne sachant plus où donner de la tête, comme un vertige tourbillonnant et étourdissant.
Les rois de soirée jouent enfin. Les deux BURNE
prennent un peu de temps pour installer leur matériel – une batterie avec
double pédalier et des cymbales placées vraiment très haut, une tonne et demi d’amplification
pour la turbo-basse et toujours le système d’éclairage avec néons et lumières stroboscopiques –
mais il est vrai également que casser une corde de basse dès les premières
secondes cela n’aide pas non plus.
Passé ce petit moment toujours un peu désagréable,
Burne repart aussi sec ; le groupe est encore plus fort, plus déterminé que
jamais et assène un titre plutôt lent et dévoile aussi un côté plus sombre et
viscéral que je ne lui connaissais pas. C’est pour moi le principal
enseignement de ce concert le Burne : le duo a encore muri et progressé et
surtout semble avoir diversifié son propos – en milieu de set le groupe a
également joué un étonnant morceau au groove aussi improbable qu’imparable. Pourtant
rien ne semble réellement prémédité, les deux décidant après chaque titre celui
qu’ils veulent jouer après. Ces deux là doivent un peu se connaitre par cœur.
Le concert se termine sur une suite de titres totalement
hardcore/spazz as fuck, une suite quasi ininterrompue de déflagrations et un
étalage de tortures soniques poussées à leur paroxysme par les éclairs des
stroboscopes – mais à ce moment là les Burne pouvaient bien faire ce qu’ils
voulaient, ils m’avaient définitivement mis dans leur poche, tout comme le
reste du public.
[les photos du concert c’est par ici]