Voilà. Il me semble bien que c’est la toute dernière
fois que je vais assister à un concert à Grrrnd Zero. Nous sommes le dimanche 21 avril et la date limite de péremption du
40 rue Pré-Gaudry, fixée au 30 avril, se rapproche dangereusement. Après c’est
l’exil vers l’inconnu, le déplacement forcé vers nulle part et un grand trou.
Le grand trou du chantier qui bientôt occupera l’espace des hangars et des
bâtiments de Grrrnd Zero ; et puis le trou créé par l’absence – momentanée
on l’espère – du collectif dans le paysage local des musiques et cultures
alternatives, tordues et déviantes.
Bien sûr beaucoup iront samedi prochain faire la fête et célébrer dignement la mort annoncée de Grrrnd Zero, du moins le Grrrnd
Zero dans sa forme actuelle. Mais après ? Après ce sera à nouveau et pour
un temps plus ou moins long les concerts qu’on ne peut plus organiser faute de
salle libre ou au mieux les concerts hors les murs et ceux montés à l’arrache
dans des caves ou des lieux inadaptés. L’équation [un concert = un toit + de
l’électricité + de l’eau et des chiottes] semble de plus en plus difficile à
résoudre.
J’espère par contre que ce ne sera pas la dernière
fois que j’assisterai à un concert de CARNE. Les deux lyonnais ont l’air d’être
en forme, détendus et sûrs d’eux et ils s’apprêtent à délivrer un bon set, bien brûlant.
Ils ont aussi enregistré au début du mois de janvier quelques titres sous la
houlette d’un épicier local bien connu, spécialiste en métallurgie appliquée et
en gras-double – j’attends le résultat de ces sessions avec impatience.
Passé le rituel quasi obligé de la corde cassée,
Carne fait défiler son répertoire sans défaillir et sans hésiter. Bonne
énergie. Jouer quasiment systématiquement en mid-tempo est la caractéristique
du groupe mais pas la seule : Carne c’est un peu comme si la température
ambiante était déjà à son maximum dès le départ, ça doit obligatoirement bouillonner
tout de suite, le gras surnage à la surface et laisse échapper une odeur
pestilentielle, la chaleur nous ronge et l’atmosphère tourne au rouge sang.
Il est évident que le duo a encore gagné en
maîtrise, en aplomb et en intensité ; Carne a également éliminé (au moins pour cette
fois) les compos purement instrumentales et – surprise ! – Marion, ex
bassiste d’Overmars, vient les rejoindre au chant sur un titre : cela fait
toujours plaisir de revoir cette boule de nerfs même si, malheureusement, la
sono ne lui a pas totalement rendu justice.
Le concert de Carne peut alors se terminer comme il avait commencé, c'est-à-dire
dans un déluge de saturation déchirante et de lourdeur asphyxiante.
Le groupe suivant constitue une surprise :
jusqu’ici je n’avais encore jamais entendu le nom de WITCH MOUNTAIN et j’aurais
préféré ne jamais l’entendre, pas plus que la musique du groupe. Lorsque la
fille au chant se présente avec ses petits camarades, elle prend la peine de préciser
qu’ils viennent de Portland, dans l’Oregon. Mais Witch Mountain pourrait être
originaire de n’importe où que cela n’y changerait pas grand-chose, tant le
groupe semble débarquer d’une lointaine époque, en gros les années 70, et
pratique un doom traditionaliste, ultra kitsch et dégueulant de dorures qui
ferait même gigoter la momie de Ronnie James Dio dans sa tombe.
Ouais, voilà, le son de guitare passe mal –
virez-moi ces effets abominables –, la basse est jouée aux doigts tout bien
comme il faut et le chant féminin est insupportablement aigu, mélodique et
précieux (avec de très rares passages en growl de temps en temps). Il n’y a que
le batteur qui m’amuse parfois un peu, même si son jeu à la fois très flexible
et puissant est ultra typé 70’s lui aussi ; il a une bonne tête de nerd, il
porte des gants comme si jouer de la batterie était un sport et il lève très
haut les bras en faisant des grimaces dignes de Mike Myers.
Witch Mountain effectue en ce moment toute une
tournée européenne en compagnie de Cough (les deux groupes reviennent même
du Roadburn) et voilà une bien drôle d’association, on imagine un truc peut-être
arrangé par les labels américains des deux groupes – Profound Lore pour Witch
Mountain et Relapse pour Cough – comme cela se fait souvent. Si vous voulez piquer
une bonne crise de rire, allez voir Witch Mountain en concert mais attention,
prévoyez également un budget bar parce que, malgré tout, le temps finira
forcément par paraître un peu long.
Allez voir un groupe que l'on ne connait que de réputation (et donc s’y
fier aveuglément) n’est pas toujours une très bonne idée mais dans le cas de COUGH cela a parfaitement fonctionné. Pourtant
voilà typiquement le genre de groupe dont les disques m’emmerdent au plus haut
point mais qui en concert arrive malgré tout à tirer son épingle du jeu. Des combos
comme Cough, qui courent derrière EyeHateGod par exemple, la scène américaine
métalleuse en est remplie, pour le meilleur comme pour le pire.
Alors qu’est ce qui différencie un Cough d’un
autre groupe consanguin et atavique ? Honnêtement c’est difficile à dire
mais, par contre, en plus de faire preuve d’aucune originalité, on peut
affirmer sans se tromper que Cough brille également par son absence de finesse
et d’inventivité. Toujours les mêmes riffs, toujours les mêmes rythmes,
toujours les mêmes beuglantes. Ce qui sauve le groupe – et donc le concert –
c’est la violence d’exécution dont Cough fait preuve et l’immodestie flagrante
du groupe lorsqu’il joue. Une attitude typique de tough guys, à priori détestable,
mais qui colle avec le reste.
J’ai donc passé un bon moment à me faire ramoner les oreilles, à secouer la tête comme un singe débile croyant découvrir la vie et à faire des allers-et-retours entre le devant de la scène, le bar puis les chiottes pour aller pisser mes bières. Un bon moment mais bientôt il sera déjà oublié. Pour l’instant l’effet obtenu ressemble juste à une bonne gueule de bois triomphante.
[les photos de ce concert d’esthètes c’est par ici]