Alors, comme ça, il n’y pas que la musique dans la
vie ?
Ces dernières semaines à Lyon ont été chargées en
concerts – par exemple la veille de celui-ci, le jeudi 15, il y avait Fordamage, les Louise
Mitchels et Binaire au Marché le Gare ; le jour même certains ont préféré
aller voir Marvin au Sonic ; le lendemain ce sera le tour d’Acid Mothers
Temple au Nouveau Théâtre du Huitième en association avec Grrrnd Zero – aussi il faut bien se résoudre à faire
des choix.
Oui, je le sais, il y a pire comme problèmes
existentiels mais par contre, question sûrement de militantisme, ce qui nous pend
toujours au nez – parce qu'il n'y a rien de plus fragile qu'une structure alternative face aux institutions culturelles – c’est un jour d’avoir moins (presque plus ?) de concerts à
se mettre sous la dent ; alors il faut aussi faire la part des choses et soutenir
les groupes, les lieux, les orgas, la musique…
… Le choix de la semaine a donc été ardu car oui il
ne faut pas se planter ; et finalement ce sera le Périscope pour une soirée
co-organisée par la salle, le Club des Invertébrés et le Kraspek. Avec par
ordre d’apparition Torticoli, La Terre Tremble !!! et Shield Your Eyes.
Les TORTICOLI avaient annoncé qu’ils ne joueraient
ni leur set ni leurs titres habituels mais qu’ils allaient s’offrir le luxe d’une
petite séance d’improvisation collective. Ce n’était pas une blague : l’un
des deux guitaristes porte une attèle au pouce, le groupe n’a donc pas répété
depuis près de trois semaines et de toutes façon le guitariste en question aurait
été incapable de jouer correctement une musique qu’il connait pourtant par
cœur.
Le suspens ne dure pas très longtemps
parce que les trois Torticoli, après un début un poil laborieux lié à la prise
des repères nécessaires pour tout lâcher ensuite, se mélangent allègrement pour
notre plus grand plaisir, arrivant à faire décoller leurs plans entre noise
rock instrumental et blues déviant – le guitariste handicapé tire même pas mal
de la couverture à lui, l’envie de jouer est vraiment là et ça fonctionne
parfaitement. Moi qui croyais que j’allais commencer à me lasser d’un groupe vu
pas moins de dix fois en un peu plus d’un an et demi et bien j’ai eu tout faux.
Suit LA TERRE TREMBLE !!! dont
l’album Salvage Blues est l’une des petites merveilles
de l’année. Chaque guitariste occupe un côté de la scène alors que le
batteur/percussionniste trône au milieu, placé en avant ; il gère aussi
les quelques samples et il est le principal chanteur du groupe. Surtout sa
batterie n’en est pas vraiment une : la grosse caisse est posée à plat
devant lui donc pour taper sur sa caisse claire, ses cymbales ou autres il est
obligé de s’arcbouter par-dessus la grosse caisse, j’avais mal au dos rien
qu’en le regardant faire…
… Mais ce garçon et ses petits camarades savent
comment tenir un salle, un public et comment mener un bon concert. La Terre
Tremble !!! c’est de l’énergie avant tout mais une énergie au service
d’une musique riche et incroyablement luxuriante : beaucoup de voix (tout
le monde chante – bien – dans le groupe) et de belles guitares finement
ciselées et joyeusement tranchantes ; les compositions flirtent souvent avec l’extraordinaire, touchent à l’inventivité d’un Beatles en
fin de vie mais pas encore décrépi, tout en déchainant la fée électricité pour
un tourbillon pop rock aux saveurs psychédéliques fortement épicées. Je ne suis
pas loin de la jouissance.
SHIELD YOUR EYES est un groupe un peu trop méconnu et/ou boudé à mon goût. Emmené
par le guitariste/chanteur Stef Ketteringham, le trio anglais est pourtant la
générosité même. S’éloignant de plus en plus des figures de style propres aux
musiques noise à base de guitares déchirantes – figures dont Shield Your Eyes
n’a de toutes façons jamais été le plus ardent des défenseurs –, le trio
s’améliore d’album en album et de concert en concert. Epaulé par le batteur
Henri Grimes (également dans le rôle de bucheron un rien psycho) et du bassiste
Dan Pedersen (la valse des bassistes a toujours été le principal problème de
Shield Your Eyes mais il est dans le groupe depuis un an aussi cela fait le
deuxième concert consécutif de Shield Your Eyes que je vois avec lui), ce
guitariste/chanteur explose sans cesse les limites de la guitare et chante avec une absence
totale de complexes.
C’est brut, bruyant mais c’est également d’une
finesse qui laisse pantois – il faut voir Stef Ketteringham coincer son médiator
contre sa paume pour continuer à jouer en fingerpicking, il faut le voir aussi
au fur et à mesure du concert enlever des cordes de sa guitare pour jouer
radicalement dans les aigus… il faut voir enfin Henri Grimes battre comme un
forcené mais avec un sens de l’à-propos et de la complicité qui fait
radicalement plaisir lui aussi. Shield Your Eyes est tout simplement un grand
groupe et lorsqu’il s’attaque aux standards de la musique anglaise ou plutôt aux
vieilleries que ces satanés rosbifs pillaient sans vergogne dans les 60’s – Young Man Blues allègrement repris en
leur temps par les Who (il y a une bonne version en ouverture de Live At Leeds) et I’M So Glad popularisé par Cream mais il s’agit en fait d’un vieux blues
de Skip James –, le trio leur rend parfaitement hommage tout en transcendant
complètement le truc : qui dit mieux ?
[les photos du concert c’est ici]