Vendredi 2 novembre 2012 : c’est la date de la
réouverture officielle de GRRRND ZERO,
dans un nouvel espace contigu à celui déjà occupé par le collectif comme ateliers
de création ou locaux de répétitions. On nous promet une bonne grosse semaine
de musiques aussi abracadabrantes qu’exigeantes, avant que la programmation ne se stabilise un peu plus (avec
tout de même un rythme de deux à trois concerts par semaine). On pourrait
appeler cela une démonstration de force mais les intentions de Grrrnd Zero,
bien que radicales, ne sont pas aussi belliqueuses : il s’agit juste pour
cette salle de faire preuve de son existence, de son utilité, donc de son désir
de pérennité et de dire merde aux institutions culturelles œcuméniques,
populistes et forcément de bon goût.
Car, rappelons-le, Grrrnd Zero n’est qu’un lieu en
sursis : son autorisation d’ouverture ne court que jusqu’à la fin de
l’année 2012 ; après un aménageur/investisseur immobilier à grande
échelle, propriétaire des lieux, peut faire valoir ses droits sur le hangar
désaffecté qui pendant deux mois va abriter les concerts programmés par Grrrnd
Zero. On sait que la viabilité d’un projet culturel à la marge ne pèse en
général pas bien lourd face aux impératifs financiers et aux promesses de
bénéfices immobiliers issus de la restructuration high-tech de quartiers
entiers pourtant tombés en déshérence pendant des années.
Ayant eu vent de quelques uns des noms de groupes
ou de musiciens programmés, c’est avec un retard conséquent que j’arrive au 40
rue Pré Gaudry avec le secret espoir d’en avoir peut-être raté certains ; hélas les
concerts n’ont pas encore commencé. Et il est plus de 22 heures lorsque sur la
gauche de la scène une curieuse machine, jusque là plongée dans l’obscurité, se met en branle. Ses automatismes
génèrent des rythmes saccadés sur lesquels un bassiste solitaire se lance dans
de longues suites d’accords répétitifs ; une séquence de film avec des
voitures de course est projetée en boucle sur le mur juste derrière et les
vrombissements déformés des moteurs de la bande-son s’intègrent également au
kraut minimaliste et mécanique de PIED GAUCHE.
Sous cette appellation certains auront reconnu Super Jean-François Plomb que l’on avait
déjà pu croiser au
sein de 300 mA en compagnie de Damien Grange et il aurait été vraiment
dommage que je rate cette vingtaine de minutes de bricolage bruitiste et
inquiétant : Pied Gauche, dont j’ignorais jusqu’à l’existence même et a fortiori la présence sur l’affiche du jour, est une vraie bonne découverte… Plus jamais (jamais ?) je ne prendrai le risque d’arriver en
retard à un concert.
Suit LUDIVINE
CYPHER. Un vieux projet d’un musicien lyonnais et activiste de Grrrnd Zero,
remis en activité fin 2011/début 2012 et qui se détache de ses
expérimentations/bidouilles électro-poétiques d’avant pour se recentrer davantage
sur des pop songs un rien psychédélique et encombrées par des soli de guitare.
De nombreux problèmes techniques viennent entacher ce concert et précipite même
sa fin ; des problèmes gérés de manière assez drôle par l’intéressé, ce
qui me fait temporairement oublier que je déteste la pop, exercice musical
périlleux s’il en est – d’ailleurs prendre la pop uniquement comme un exercice
de style est à mon sens la meilleure façon de se planter.
Je ne m’attends pas non plus à grand-chose avec RAMONA CORDOVA. Mais il se dégage
pourtant de la musique de ce garçon lunaire un sentiment intrigant
proche de l’affection que l’on porterait à un petit animal sauvage mais
séduisant ; la pop étoilée de Ramona Cordova (il parait qu’il a pris comme nom
de scène celui de sa grand-mère) finit par être touchante. Et Ramona Cordova me
ferait presque oublier que ce début de soirée manque cruellement d’électricité.
De l’électricité on va enfin en avoir avec les
trois italiens de FATHER MURPHY.
Après l’expérience presque malheureuse du disque Anyway Your Children Will Deny It
(dont je me suis parfaitement remis, merci) j’étais assez curieux de découvrir
cette musique en concert ; malheureusement Father Murphy c’est encore pire
avec l’image.
Musicalement on pourrait situer la musique du
groupe comme un croisement électrique entre un Extra Life des débuts en version
straight et un Winter Family noisy et goy ; mais sans la préciosité délicate
du premier ni la profondeur mystique du second. La liturgie désaxée mais trop
appuyée de Father Murphy tourne irrémédiablement au pathos – alors que
j’imagine que le trio visait plutôt le pathologique – et le trio s’enfonce constamment
dans une ornière cérémonieuse dont il ne ressort presque jamais.
On ne dira pourtant pas que Father Murphy est un
mauvais groupe, il est juste extrêmement ennuyeux. D’un certain point de vue sa
prestation tenait pourtant très bien la route – le batteur, pilier et clef de
voute de toute cette construction religieuse, était très impressionnant à
regarder – mais je n’ai que faire de tout ce lyrisme plus dark que dark et qui
tente désespérément de rattraper le gothique et le macabre par la peau des
couilles. Pénible et complètement vain.
Deuxième grosse interrogation de la soirée :
SKOAL KODIAK. Kryptonym Bodliak, le deuxième album
de ce groupe américain, aurait pu être bien meilleur qu’il ne l’est en réalité et
surtout il ne laisse qu’imparfaitement entrevoir toutes les possibilités d’une
musique à la fois dansante et psychotique. En concert les jeux sont malgré tout
rapidement faits : le funk mutant et malade de Skoal Kodiak joue d’entrée
la carte de l’efficacité voire du festif à outrance ; après la séance de
larmes de sang obligatoires de Father Murphy le public massé devant la scène
est comme rassuré et s’en donc à cœur joie : ça dance, ça braille et ça
monte même sur scène.
Une dynamique qui ne faiblira pas durant tout le (long)
concert de Skoal Kodiak bien que le groupe utilise toujours les mêmes
ingrédients (couple basse/batterie vicieux, machines en coordonné parallèle,
samples rigolos ou incongrus et chant halluciné sous perfusion de canard vécé)
tout simplement parce que ces trois là sont réellement redoutables et
imparables sur scène. Un bon concert de la part d’un groupe qui se fout complètement
de la profondeur de sa musique et prend un plaisir terrible à manipuler les bas
instincts des foules en liesse. Très américain, donc.
[quelques photos de cette soirée ici]