LES SUCE PENDUS sont morts. Et s’ils sucent encore
quelque chose, c’est plutôt les racines des herbes folles qui prolifèrent au
dessus d’une fosse commune : ce groupe originaire d’Amiens s’est en effet
auto-immolé après un ultime concert le 18 novembre 2011 ; il ne reste de
lui que les souvenirs de celles et ceux qui ont eu la chance un jour de le voir
en concert ; il restera pour toujours également ce LP sans titre et donc
posthume, publié par Label Brique
(la boite à rondelles d’Headwar).
Et il n’est jamais trop tard pour parler d’un
disque comme celui-ci ; pas seulement parce que le groupe n’existe plus,
on s’en fout complètement d’être en retard sur l’« actualité » car ce
qui compte c’est bien ce qu’arrive encore et toujours à déclencher cette
musique aussi noire et déglinguée que possible. Quatre (longs) titres seulement
et des paroles en français qui laissent entrevoir, toujours au plus mauvais
moment, des insanités, des horreurs, des chuchotements, des grognements, des
hurlements, des cris de douleurs, des appels dans le vide : Les Suce
Pendus aimaient appuyer là où ça fait mal mais, c’est plus une conviction
qu’autre chose, ils étaient aussi les premiers jouets de leurs maux et de leurs
souffrances.
Voilà donc un disque qui ne laisse pas vraiment le
choix : ce sera le malaise, la violence et la boue de l’existence ou
rien ; par contre – et c’est précisément sur ce point précis que Les Suce
Pendus étaient un groupe sans aucun doute inestimable – ce disque est
incroyablement fascinant et addictif. Oui, il nous traine là où on ne veut
jamais aller, oui il nous montre ce que l’on ne veut pas voir, oui il nous
malmène et nous perturbe… mais on aime ça et on en redemande.
C’est que la musique, tout aussi noire que le
reste, est incroyablement belle et forte. Violemment belle et violemment forte,
même. Les Suce Pendus piochent du côté du Berlin et du New-York du début des
années 80, pillent Einstürzende Neubauten, The Birthday Party et les Virgin
Prunes, réaniment la no-wave et le post punk, font glisser les guitares vers
leur plus simple fonction de machines à bruits, martèlent des rythmes
douloureux, jouent avec nos nerfs et nos désirs, malaxent les sons comme ils
pétrissent les chairs, brulent le peu d’atmosphère respirable qui restait
encore et nous abandonnent là, comme des pauvres merdes, désemparés, meurtris
mais comblés, et seuls.
Un disque contre lequel le seul remède est de le
réécouter. Encore, encore, encore, encore. Encore.