Si je m’étais écouté ou plutôt si j’avais réécouté Silent Partner, l’album que Neptune a
publié fin 2011, juste pour vérifier si tout le
mal que j’en ai pensé jusqu’ici était toujours d’actualité et bien je ne
serais pas allé au Sonic. Je serais resté à la maison, en bon père de famille
que je suis, j’aurais continué ma lecture de Fargo Rock City de Chuck Klosterman (un bouquin
inutile mais plutôt drôle sur un sujet qui
n’en vaut pas toujours la peine) et puis je me serais couché de bonne heure. Un
programme de rêve.
Au lieu de
ça et puisque je n’ai donc pas voulu réécouter ce disque bancal et décevant, je
suis monté dans ma voiture, j’ai constaté avec plaisir en regardant la jauge
qu’il y avait encore de l’essence dans le réservoir, j’ai démarré comme le
jeune conducteur apprenti que je resterai jusqu’en novembre 2012, j’ai effectué
tout le trajet jusqu’au Sonic sans avoir d’accident, je me suis garé à un
endroit interdit et lorsque je suis descendu – triomphalement – de ma
magnifique voiture, je suis tombé nez à nez avec l’un des tauliers du Sonic,
lequel n’a pas pu faire autrement que d’éclater de rire puisque depuis vingt
ans que l’on se connait, c’est la première fois qu’il me voyait conduire tout
seul comme un grand et presque comme un adulte. La soirée commençait mal. Mais
des fois la vie est tout de même bien faite. Car maintenant je ne saurais
regretter d’être allé à ce concert de Neptune au Sonic.
Évidemment il y avait une première partie.
Celle-ci était assurée par Dubai, duo franco-américain dont me semble-t-il
c’était le tout premier concert. Je refais les comptes, sans trop y croire :
un garçon, une fille, un laptop, de la bidouille, une basse, deux micros et une
musique quasi invertébrée et flottante. Quelques part entre un Labradford sans
guitare – mais si c’est facile à imaginer, faites donc un effort bordel !
– et le HTRK de maintenant, la version duo berlinois donc, celle que je
déteste.
J’étais précisément en train de m’impatienter et
de me demander si j’allais rejoindre le fond de la salle en me retournant par
la droite ou par la gauche lorsque Dubai a terminé son concert. Vingt minutes
au total. Quand je vous dis que la vie peut être bien faite.
Place ensuite au trio de Boston et à son bricolage
insensé. Trio ? Oui : Silent
Partner a bien été enregistré à quatre mais depuis Neptune est revenu à une formation à
trois. Le line-up est ainsi constitué de Jason Sanford (seul membre d’origine),
de Mark Pearson (dont j’avais entendu dire fut un temps qu’il avait quitté
Neptune mais l’information était donc et fort heureusement totalement fausse)
et du nouveau venu Kevin Micka aka Animal
Hospital.
Sur scène le groupe installe un bordel toujours
plus envahissant : les guitares en metal – dont une, jouée par Jason
Sanford, complètement dénudée – sont toujours là mais on remarque les
percussions greffées sur un pied de micro, l’attirail à bidouille planqué juste
derrière, un autre dispositif à côté de la batterie, la batterie justement qui
n’en est pas vraiment une, un synthétiseur bricolé, etc… Neptune c’est déjà le
plaisir des yeux, un spectacle toujours étonnant de nouveauté : tous ces
instruments on ne peut les regarder qu’avec les yeux ébahis d’un gamin qui
vient juste de faire la découverte de sa vie (et ce au moins jusqu’au
lendemain).
Et puis il y a l’attitude des trois musiciens :
un soupçon de théâtralité, un rien d’exagération, une dosette d’excentricité,
un peu d’arrogance et pour finir une certaine distance que l’on accepte
volontiers. Il y a de la mise en scène mais pas trop. Il y a des intentions,
des déclarations mais au bout d’un moment on ne s’y arrête plus. Neptune sait
abandonner son statut d’hydre arty pour devenir un groupe de scène. Et même un
sacré groupe de scène.
La majeure partie du répertoire de ce soir était
constitué par des nouveaux titres : Neptune vient très étonnamment de
publier msg rcvd, un deuxième album toujours
pour Northern Spy et au nom particulièrement cryptique, directement dans la
foulée de Silent Partner. Découvrir
ces nouveautés a été une belle expérience. Et la compréhension de là où Neptune
avait peut-être voulu en venir avec le changement de direction opéré lors de Silent Partner a finit par pointer le
bout de son nez. Lorsque le groupe s’est lancé dans ce très long titre – à moins
qu’il ne s’agissait de plusieurs compositions enchainées – certains ont même senti
et apprécié les liens qu’il pouvait y avoir entre Neptune et le Einsturzende
Neubauten des années 2000 : une sorte d’apesanteur tendue, des percussions
minimales claquant de façon belle et forte, un chant profond à la limite du
parlé, des bruits et autres zigouigouis surgissant de nulle part.
Plus percussif et plus axé sur les clignotements
synthétiques, Neptune sort désormais les guitares moins souvent mais le groupe ne
les sort pas pour rien et ne fait pas semblant dès qu’il s’agit de renouer avec
le post punk dissonant de ferrailleurs qui avait fait la renommée du groupe à
l’époque de l’album Intimate Lightning.
Le concert a donc été un mélange de l’ancien Neptune, plus bouillonnant, et surtout
du nouveau, plus cérébral. Mais ce fut tout aussi fracassant.
Deux titres en guise de rappel – après que Mark
Pearson en ait demandé l’autorisation au homeboy du Sonic – et l’inévitable confirmation
post concert que Neptune est un bien meilleur groupe de scène que de studio. Il
n’en demeure pas moins que, enthousiasme et redécouverte aidant, cette soirée m’a
donné envie de réécouter Silent Partner.
Peut être cet album malaimé sera-t-il désormais éclairé par un jour
nouveau ?